Lors de la publication des résultats trimestriels d'Air France-KLM, jeudi 7 mai, le directeur général du groupe, Ben Smith a rendu public ce que lui et la directrice générale d'Air France, Anne Rigail, avaient déjà dit en interne. Avec la crise sans précédent qui frappe le transport aérien, il y aura inévitablement des suppressions de postes à Air France. Et ce, à un niveau largement plus élevé que les 1.500 prévus d'ici à fin 2022 dans la gestion prévisionnelle pour l'emploi et les compétences (GPEC) présentée fin février.
Faisant état de l'évolution des ressources et des besoins dans un contexte de croissance, ce document est désormais obsolète avec la crise sans précédent qui frappe le transport aérien. Face à une demande en chute libre qui va mettre plusieurs années à retrouver son niveau d'avant-crise, l'activité d'Air France est appelée à diminuer fortement, créant de facto un sureffectif important.
Les besoins en personnel vont fondre d'autant plus drastiquement que le sureffectif sera gonflé par les gains de compétitivité du plan de transformation, qui sera focalisé sur trois axes forts : réduire les coûts fixes d'une manière générale, optimiser les fonctions support, et restructurer le réseau intérieur déficitaire à hauteur de 200 millions d'euros par an. Des négociations avec les syndicats pour identifier et traiter le sureffectif ont déjà débuté dans certaines catégories de personnel. Elles vont s'étendre aux autres à partir de cette semaine. Une nouvelle GPEC et le plan de transformation seront présentés en juin et juillet.
Des départs massifs
Quelle sera l'ampleur des suppressions de postes ? 5.000, 7.000, 10.000 suppressions de postes, ou plus encore ? Chacun y va de son évaluation. Une chose est sûre. Le plan de départs sera massif. Un simple regard sur ce qui se passe ailleurs en Europe donne déjà une idée. SAS va réduire ses effectifs de 50%, Icelandair de 43%, British Airways de près de 30%, soit 12.000 postes. Même si son profil est différent de celui d'Air France, le cas de la compagnie britannique est le plus parlant.
Avec 45.000 salariés, sa taille se rapproche en effet de celle de la compagnie française dont les effectifs diffèrent selon que l'on parle de la compagnie Air France seule, du groupe Air France avec ses filiales HOP (2.700 personnes) et Transavia (1.200 personnes), des salariés en CDI ou de l'ensemble les personnels, CDD ou autres inclus. Si la compagnie Air France emploie 41.230 salariés en CDI selon les chiffres de la GPEC de février, les effectifs du groupe Air France indiqués dans le document de référence s'élèvent à 52.000 salariés (CDI, CDD et autres). L'évaluation des besoins de la compagnie est globale et inclut non seulement les CDI mais aussi les autres contrats.
Baisse des capacités de 20%
L'annonce d'Air France-KLM d'une réduction structurelle des capacités de 20% en 2021 donne également une indication de l'ampleur du sureffectif à venir. Et ce, même si le lien entre la baisse des capacités et celle des effectifs (qui se traduirait par environ 10.000 suppressions de postes) n'est pas forcément automatique.
En effet, toutes les catégories de personnel ne seront pas touchées de la même manière par la réduction des effectifs. Tout dépendra en effet des positions de l'entreprise sur ses différents marchés et de l'état du sureffectif dans chacune de ses activités. Par exemple, il n'y aura pas de suppressions de postes chez Transavia, dont l'activité est appelée à se développer.
Les fonctions support et le personnel en escale menacés
La situation entre les différentes catégories de personnel. Au "sol" (par opposition aux navigants), l'emploi des les fonctions support et celui dans les escales sont menacés. Un chiffre a commencé à transpirer. Celui d'une baisse de plus de 30% au moins des effectifs des fonctions support de la compagnie Air France. Selon des sources internes, cette diminution aurait été évoquée en conseil d'administration d'Air France en précisant que les effectifs des fonctions support s'élevaient aujourd'hui à 6.000 personnes.
Or, la GPEC de fin février précise qu'ils s'élèvent à 7.360, sur les 25.220 personnels au sol en CDI que compte la compagnie Air France. Si la volonté de la direction de réduire de 30% les fonctions support se vérifiait, 2.800 postes seraient ainsi supprimés dans ces métiers. Les personnels au sol travaillant dans les escales sont également menacés. Notamment ceux des escales régionales. Malgré la baisse des effectifs ces dernières années, leur coût est largement supérieur à ceux des entreprises d'assistance en escale que sous-traitent les concurrents d'Air France. L'avenir des escales dépendra de l'ampleur de la baisse de voilure qui sera décidée sur le réseau domestique.
Air France Industrie (plus de 8.000 personnes) pourrait être en revanche épargnée. Effectuant les activités de maintenance d'Air France et de compagnies concurrentes, elle pourrait bénéficier de la stratégie des transporteurs de conserver plus longtemps leur appareil plutôt que d'acheter des avions neufs.
Plan de départs volontaires et ruptures conventionelles collectives
Les suppressions de postes pour le personnel au sol passeront par un plan de départs volontaires (PDV). Ce qui ne sera pas le cas pour les navigants (pilotes et hôtesses et stewards). Pour ces derniers, la direction compte utiliser des ruptures conventionnelles collectives, qui ont l'avantage d'être plus simples et de permettre à l'entreprise de pouvoir réembaucher ultérieurement si besoin, contrairement à un PDV.
Le sureffectif PNC estimé à 1.800 personnes en 2021
Les négociations avec les hôtesses et stewards d'Air France n'ont pas encore commencé, mais le sureffectif des personnels navigants commerciaux (PNC) pour 2021 est, selon nos informations, estimé par la direction à 1.800 salariés. Soit 15% des effectifs. Près de 1.200 départs naturels étaient d'ores et déjà prévus au cours des trois prochaines années. La direction va essayer de les convaincre de partir plus tôt et d'en inciter d'autres (parmi ceux qui n'arrivent pas à l'âge de la retraite) à quitter l'entreprise. Au-delà des suppressions de postes, la direction n'entend pas toucher aux conditions de travail figurant dans le contrat collectif signé en 2017 et qui court jusqu'en 2022.
Départ anticipé à la retraite pour 300 pilotes?
Quant aux pilotes (3.800 personnes), il n'y aura pas de grandes coupes dans les effectifs en raison de leur système de rémunération, qui permet de gérer un certain niveau de sureffectif. En effet, la rémunération des pilotes d'Air France est composée d'une partie fixe représentant 20 à 25% de leur rémunération et d'une partie variable liée à l'activité réalisée. Depuis l'arrêt quasi-total des vols en avril, les pilotes ne perçoivent que leur partie fixe et un complément garanti qui leur permettent de conserver 70% de leur rémunération. Autrement dit, celle-ci a diminué de 30% depuis le début de la crise.
"Avec ce système, un sureffectif de 20% environ ne coûte rien à la compagnie", assure un pilote.
Au-delà, il commence à l'être. Par conséquent, les négociations sur le nombre de postes supprimés porteront sur le sureffectif au-delà de ce seuil de 20%. La pyramide des âges est favorable. L'idée est donc de faire partir tous les pilotes qui étaient susceptibles de prendre leur retraite d'ici à trois ans. La GPEC de février avait identifié 300 départs naturels chez les pilotes. Selon plusieurs sources, ce chiffre reste évidemment d'actualité.
En février, 3.800 départs naturels avaient été identifiés
La pyramide des âges est un atout pour la compagnie. La GPEC de février avait pointé 3.800 départs naturels d'ici à 2022, toutes populations confondues. Si la direction avait prévu d'en remplacer 2.500, l'heure n'est plus aux embauches (à l'exception des pilotes qui ont déjà commencé leur formation).
A ces départs naturels s'ajouteront tous ceux que la direction va inciter à partir. Les conditions financières devront être intéressantes. Car au regard de l'environnement économique, il n'est pas certain que les volontaires au départ se bousculent au portillon. Auquel cas, des départs contraints seraient une première à Air France. La dernière fois qu'un tel scénario a été évoqué, c'était en 2015. Il avait débouché sur des grosses tensions sociales.
Inquiétudes chez HOP
Et HOP dans tout cela ? La filiale régionale d'Air France s'attend à des jours difficiles. La restructuration du réseau intérieur va entraîner de nombreuses suppressions de lignes. Si son activité d'alimentation du hub de Roissy sera conservée, celle au départ d'Orly ou entre certaines lignes régionales pourraient être remplacée par Transavia. Les syndicats de HOP dénoncent le procès qui leur est fait par certains d'être responsables des pertes d'Air France sur le réseau court-courrier.
Rappelant que les pertes existaient avant la création de HOP en 2013, l'intersyndicale de HOP estime dans un communiqué que "la part de HOP dans cette perte abyssale est une goutte d'eau" et que "la rentabilité du réseau court-courrier Air France est d'abord et avant tout un problème Air France. HOP est une compagnie agile, flexible, qui a depuis longtemps prouvé sa capacité à s'adapter. Ses modules de 100 places sont une véritable opportunité sur un réseau adapté".
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