Moins d'un an après le rejet de la proposition de loi d'une quinzaine de députés, dont François Ruffin (LFI) et Delphine Batho (Génération Ecologie), qui demandaient la suppression de vols intérieurs au profit du train, Bruno Le Maire a repris l'idée dans les conditions environnementales imposées à Air France en contrepartie du sauvetage de l'Etat pour passer la crise du Covid-19. Mais, si elle demande à être précisée sur certains points, la proposition du ministre des Finances évite les principaux inconvénients du projet Ruffin qui rendaient celui-ci insoutenable pour le groupe Air France.
Les critères du transfert des lignes au train allégés
Deux critères dans la formule retenue aujourd'hui changent la donne et évitent une catastrophe pour le groupe français. La première se situe dans la définition du curseur à appliquer pour passer de l'avion au train. Alors que François Ruffin proposait d'interdire l'avion sur toutes les routes sur lesquelles le train "permettait un temps de trajet équivalent au temps de trajet de l'avion + 2h30" (soit sur les lignes où la durée du voyage en train va de 3h20 à 4h selon les axes), le gouvernement va nettement moins loin en exigeant de supprimer l'avion "dès lors qu'il y a une alternative ferroviaire d'une durée de 2h30". Cette différence est cruciale : dans la formule de François Ruffin, un très grand nombre de vols domestiques passaient à la trappe, à l'exception de quelques-uns comme Nice, Toulouse ou Biarritz.
Dans celle de Bruno Le Maire, les principales lignes domestiques de point-à-point au départ de Paris-Orly, par exemple, sont préservées : outre Nice, Toulouse ou Biarritz, Mulhouse, Marseille, Toulon, Montpellier, Brest, Clermont-Ferrand, Limoges... qui étaient condamnées dans la proposition de François Ruffin, sont maintenues dans le projet du gouvernement. Seules en fait les lignes vers Lyon, Bordeaux et Nantes seront supprimées, sachant que la fermeture d'Orly-Nantes avait été annoncée avant la crise du Covid.
Dans les deux formules, le réseau transversal (région-région) n'est pas touché. En l'absence de lignes à grande vitesse sur cette partie du réseau, les temps de parcours du train sont en effet très longs. Pour autant, ces vols aériens, en tout cas ceux de HOP, sont appelés à diminuer avec la restructuration à venir du réseau intérieur du groupe Air France pour redresser la situation financière.
La règle des "2h30" ne concerne pas les transferts vers les hubs
La deuxième grosse différence entre le projet de loi rejeté l'an dernier et les mesures du gouvernement aujourd'hui se situe dans la prise en compte du trafic de correspondance. La règle des "2h30" ne s'appliquera pas pour les vols reliant un "hub". Ainsi un vol Lyon-Paris Charles de Gaulle serait maintenu puisqu'il permettrait aux passagers lyonnais souhaitant se rendre en Asie ou aux Etats-Unis de prendre un vol en correspondance à Roissy. Ne pas tenir compte de ce type de trafic aurait pénalisé Air France sans pour autant réduire les émissions de CO2 de l'aviation. En effet sans vol vers Roissy, un Lyonnais voulant se rendre en Asie ou aux Etats-Unis aurait pu prendre un vol de British Airways vers Londres ou de Lufthansa vers Francfort ou Munich pour prendre sa correspondance. De tels vols de pré-post acheminements restent beaucoup plus rapides et moins contraignants en termes de transfert des bagages qu'un acheminement en TGV jusqu'à Roissy.
Des points à clarifier
Néanmoins, il y a des zones floues dans le discours de Bruno Le Maire. La notion de "hub" et de vols en correspondance, beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît, devra être clarifiée. En effet, ces "transferts vers un hub" seront-il uniquement réservés à ceux qui pourront justifier un billet long-courrier en correspondance? Ou resteront-ils possibles pour des passagers dits de point-à-point? Sur les lignes reliant Nantes et Rennes à Roissy, ces derniers représentent 20% du trafic.
Autre interrogation : le hub de Lyon d'Air France HOP connectant des vols de courte distance, essentiellement des vols intérieurs, bénéficiera-t-il lui aussi de l'exception à la règle des 2h30 ?
Et Orly ? L'exception des vols en correspondance s'appliquera-t-elle aussi à l'aéroport du sud de Paris d'où part l'essentiel de l'offre vers les Antilles, la Guyane, et la Réunion ? Auquel cas il entraînerait, sur le papier du moins, la possibilité de maintenir une offre aérienne vers Bordeaux et Lyon. Pas certain néanmoins que cela soit dans l'esprit du projet du gouvernement. D'autant plus que la concurrence des hubs européens pour le cas de la desserte des DOM TOM n'existe pas. Et qu'une gare TGV à Orly est en projet, à condition qu'il ne soit remis en cause par la crise.
Enfin, le gouvernement doit préciser si ces nouvelles règles s'appliqueront au groupe Air France seulement ou à toutes les compagnies.
Une première étape
Au final, la mesure annoncée par Bruno Le Maire est loin d'être catastrophique pour Air France. En revanche, il est clair qu'elle acte le principe du transfert de l'avion vers le train sur les liaisons de courte distance. Autrement dit, il s'agit d'une première une étape qui risque d'être étendue à terme sur une partie plus large du territoire. Est-ce pour autant une victoire pour le climat comme l'ont déclaré certains écologistes ? Pas sûr. Même dans le cas d'un scénario extrême où tous les vols intérieurs de point-à-point seraient transférés au transport ferroviaire. Cela permettrait, certes, de baisser les émissions de CO2 liées à l'activité aérienne domestique. Mais pas celles de l'aérien en général. Car tous les vols domestiques supprimés seront remplacés par des vols vers des destinations étrangères. Si Air France réduit la voilure à Orly, les créneaux horaires de décollage et d'atterrissage seront transférés à sa filiale low-cost Transavia pour desservir des destinations étrangères.
Au regard de l'évolution des politiques environnementales, il ne serait peut-être pas inutile pour Air France de ressortir son vieux projet de créer une société ferroviaire pour la desserte du marché français au départ des gares parisiennes. Enterré en 2008 par les conséquences de la crise financière et l'incertitude sur l'ouverture du marché ferroviaire, ce projet de société avec Veolia Transports, à l'époque, aurait tout son sens dans la problématique environnementale actuelle, et dans celle de l'ouverture du marché ferroviaire de la grande vitesse. Problème, ce projet est coûteux. Il était évalué à l'époque à un milliard d'euros.
Encadré : l'obligation d'utiliser des biocarburants interpelle
Une autre mesure du gouvernement interpelle davantage : celle d'obliger tous les vols d'Air France à utiliser 2% de biocarburants à partir de 2025. Sans harmonisation à l'échelle mondiale, ces carburants alternatifs, qui sont deux à cinq fois plus chers que le kérosène, entraîneraient un déficit de compétitivité entre les compagnies basées dans des pays obligeant une telle incorporation et celles basées dans des pays qui n'appliqueront pas une mesure similaire. Et ce, même si la mesure était appliquée à l'ensemble des transporteurs opérant en France. Car Air France serait "taxée" sur une partie beaucoup plus importante de son activité.
Au final, parmi toutes les mesures énumérées par Bruno Le Maire pour qu'Air France réduise de 50% ses émissions de CO2 par passagers kilomètres sur le réseau intérieur par rapport à 2005, c'est le renouvellement de la flotte d'avions qui apportera le plus gros gain. A partir d'octobre 2021, Air France commencera à remplacer la moitié de sa flotte court-courrier composée d'avions de la famille A320 par des A220 extrêmement efficaces sur le plan énergétique.
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