Embouteillages à Lille et « péage positif » : la fausse bonne idée de rémunérer les automobilistes ?

Cette année, la Métropole européenne de Lille compte mettre en place un péage positif. Le principe ? Rémunérer les automobilistes pour qu'ils laissent leur voiture au garage (2 euros par trajet évité, soit 4 euros par jour, avec un plafond mensuel de 80 euros), en heures de pointe et sur certains trajets. Sauf que le dispositif a déjà été testé et... abandonné dans différentes agglomérations des Pays-Bas dès 2013 et même à Boulogne-Billancourt en 2017, en région parisienne.
Objectif initial de la relance du « péage positif » à Lille : améliorer l'accessibilité et les mobilités dans une métropole fortement embouteillée (comme ici,  le 26 février 2019, à titre d'exemple, pour illustrer la densité de la circulation à Lille sur la RN356).
Objectif initial de la relance du « péage positif » à Lille : améliorer l'accessibilité et les mobilités dans une métropole fortement embouteillée (comme ici, le 26 février 2019, à titre d'exemple, pour illustrer la densité de la circulation à Lille sur la RN356). (Crédits : Reuters)

Annoncé en 2015, voté une première fois en 2018, puis repoussé... À Lille, le « péage positif » vient enfin d'être relancé, après plusieurs années d'atermoiements ! Cet « écobonus » (un système de récompenses financières proposé aux automobilistes pour chaque trajet évité), aussi appelé « péage inversé », est l'un des dix engagements du mandat de Damien Castelain, président de la Métropole européenne de Lille (MEL).

Objectif initial : améliorer l'accessibilité et les mobilités dans une métropole fortement embouteillée. Depuis, cette idée a été testée, notamment à travers plusieurs projets aux Pays-Bas, mais sans pour autant être pérennisée.

Payer les automobilistes pour laisser leur voiture au garage, est-ce vraiment une bonne idée pour la capitale des Flandres ?

Lecture des plaques d'immatriculation et atteinte à la vie privée

À Lille, le principal obstacle dans la mise en place de cet éco-bonus résidait jusqu'à présent dans le droit français et dans la notion d'atteinte à la vie privée.

Pour rappel, dans la métropole néerlandaise de Rotterdam, les plaques d'immatriculation étaient lues automatiquement lors des passages pour ensuite être croisées avec un fichier de candidats volontaires. Le système néerlandais avait prévu de ne pas conserver ces données personnelles. Mais, côté français, l'opération s'est révélée impossible pour la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

La Métropole européenne de Lille (MEL) a donc contourné le problème juridique de l'enregistrement des plaques d'immatriculation : elle va demander aux automobilistes volontaires de se déclarer au préalable sur un site internet dédié. Les inscriptions seront recueillies entre mars et mai prochains, avec un engagement à ne pas prendre sa voiture à certains horaires le matin et le soir, à partir de septembre 2023. Il n'y aura donc pas de lecture de plaques d'immatriculation.

Une appli pour que chaque automobiliste valide ses trajets effacés

Quels seront, du coup, les moyens de vérification ? Pour prouver les changements de comportement de mobilité, « l'usager devra apporter la preuve via une application sur son smartphone, de façon volontaire, sur une tranche horaire spécifique du matin et du soir, pour pouvoir valider ses trajets effacés ». Ce qui sous-entend que l'action doit être déclarée par l'automobiliste.

Le dispositif nordiste semble, sur ce point, un peu moins précis que, par exemple, le projet Spitsvrij dans la métropole de Rotterdam, qui visait à limiter la circulation dans le triangle des villes d'Utrecht, d'Hilversum et d'Amersfoort : pour bénéficier de ce « péage positif », avant le lancement de l'opération, il fallait que le numéro de plaque d'immatriculation soit détecté au moins 25 fois pendant l'heure de pointe du matin et/ou du soir, sur une période de cinq semaines.

Mais l'avantage avec le système lillois, qui reposera sur un smartphone, c'est qu'il va contourner les principales fraudes identifiées dans le système, comme celles repérées dans les villes d'Arnhem-Nimègue, d'Eindhoven et de Hertogenbosch, par exemple: utiliser un véhicule non connu du projet, esquiver les emplacements des caméras, ou saboter l'immatriculation...

Mode de rétribution différent

Autre différence notable, le dispositif néerlandais Spitsvrij fonctionnait avec un solde d'euros crédités dès le départ, et débités quand la voiture emprunte les zones délimitées justement pendant les heures de pointe, tout en tenant compte des distances parcourues. En clair, le système visait avant tout à différer les trajets, en partant d'une hypothèse de départ que cela coûtera beaucoup moins cher à la collectivité que de construire de nouvelles infrastructures, et que ces habitudes pouvaient devenir durables par la suite.

À Lille, le candidat au bonus est officiellement incité à utiliser les transports en commun tels que le train ou le bus, à prendre son vélo, à pratiquer le télétravail, le covoiturage ou à décaler ses horaires de travail, sans oublier les modalités dites « hybrides », comme utiliser son véhicule pour aller à une gare ou se stationner dans un parking relais. Même s'il pourra quand même simplement différer son trajet en voiture. La MEL précise quand même que « les modifications d'itinéraires ne seront pas éligibles au dispositif ».

5.000 trajets évités par jour aux heures de pointe à Rotterdam, mais...

La Métropole européenne de Lille met en avant dans son dossier de presse « une première en France » (alors que le dispositif a déjà été testé à Boulogne-Billancourt), ainsi que l'exemple de Rotterdam en 2014 avec «  jusqu'à 12.000 participants sur différentes zones de l'agglomération et permettant d'éviter jusqu'à 5.000 trajets aux heures de pointe par jour en moyenne sur les axes ciblés ».

Avec le « péage positif », la Métropole européenne de Lille vise, elle, une baisse de trafic de 6% sur les horaires les plus chargés, ce qui est, a priori, suffisant pour soulager un peu la congestion. Soit l'espoir de diminuer le trafic de 750 véhicules.

Sauf que, dans une synthèse datant de 2017, le ministère des infrastructures néerlandais, après avoir comparé les résultats de projets menés dans différentes agglomérations néerlandaises, conclut lui-même que le « péage positif » n'a pas rempli toutes ses promesses.

« La réduction de l'effet des projets d'évitement des heures de pointe était de 50% la première année, et de 10% par an ensuite en 2013. Nous estimons désormais que la rechute [la reprise de la voiture, Ndlr] après un an est à peu près la même dans les projets ultérieurs, à savoir 48% (contre 50% dans l'évaluation précédente). Deux ans après la participation, le taux de rechute est de 67%. »

La conclusion du ministère : l'instrument de rémunération pour éviter les heures de pointe a un rapport coût-efficacité mauvais sur le long terme, mais resterait plus indiqué lorsque la municipalité fait face à des travaux temporaires de voirie ou en cas d'indisponibilité de certain transports en commun (métro, bus, tram...).

« De plus, il est important de porter une attention particulière sur l'efficacité dans l'élaboration : sélection des groupes cibles pertinents, choix de la technologie, conception du projet, ainsi qu'un appel d'offres efficace et un suivi des progrès. Il existe également des opportunités en recherchant une coopération plus explicite avec les employeurs. »

Contactée sur le sujet, la MEL n'a pas apporté son point de vue à cette analyse.

Élus divisés

Côté français, même si la mesure a été votée, certains élus de la métropole sont aussi sceptiques. Là où le parti écologiste (groupe politique Métropole Écologiste Citoyenne et Solidaire) parle d'une « usine à gaz », pointant le montant de l'investissement pour des résultats incertains (quelle sera l'impact réel sur la pollution ?), le parti d'opposition (Actions et Projets pour la Métropole) estime, lui, que « le postulat de départ repose sur l'idée que les automobilistes ont le choix et qu'ils peuvent déjà faire autrement aujourd'hui ».

En filigrane, tous avancent également l'urgence d'investir dans les moyens de transport collectif au sein de la métropole, avant la mise en place d'un péage positif.

Parmi les prochains projets, un appel va encourager le déploiement par les municipalités de vélos et de trottinettes électriques en libre-service. Deux futures lignes de tramways ont également été arrêtées (sur les axes Lille et sa petite couronne et Roubaix-Tourcoing), comme des lignes de bus rapides pour désengorger les portes de la métropole, avec des liaisons de Lille à Comines et d'Ascq à Orchies.

Les axes concernés

L'écobonus concernera d'abord deux axes : l'A1 dans le sens Paris-Lille (sens entrant vers Lille le matin, et sens sortant vers Paris le soir) et sur l'A23 dans le sens Valenciennes-Lille, également le matin et le soir (7h/9h et 16h30/18h30).

A raison de 6.000 véhicules par heure en période de pointe circulant en moyenne, le dispositif nordiste espère ainsi que 750 véhicules par jour n'empruntent pas ces deux axes entre 7h et 9h en direction de Lille le matin, et entre 16h30 à 18h30 en direction de Paris sur l'A1.

D'une durée globale de trois ans, cette opération devrait coûter environ 9 millions d'euros. Si les premiers tests sont satisfaisants, l'expérimentation pourrait même être étendue à l'A25 vers Dunkerque et à la RN41, artère vers Englos, puis à l'A22 qui relie Lille à Gand en Belgique.

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Commentaires 2
à écrit le 23/01/2023 à 15:21
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Je l'ai déjà dit, mais à chaque fois que je vais sur la Tribune, je tombe sur des articles surréalistes. On en a encore une fois la démonstration. Les Shadoks sont de plus en plus d'actualité

à écrit le 23/01/2023 à 9:12
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la gauche paye les automobilistes pour qu'ils ne prennent pas la voiture, elle paye les ecoliers pour qu'ils aillent a l'ecole, ils payent les deliquants pour qu'ils n'agressent pas trop les petites vieilles........la france devient vraiment un miser...

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