Le groupe Lufthansa fait-il une bonne affaire en rachetant ITA Airways ?

Après Swiss, Austrian Airlines, Brussels Airlines, Lufthansa continue d'étendre son emprise en raflant ITA Airways, la compagnie nationale italienne qui a succédé à Alitalia. De quoi encore accentuer son avantage sur ses concurrents IAG, et surtout, Air France-KLM, qui fut un temps candidat. Est-ce le coup du siècle pour autant ? Au vu du passif accumulé par Alitalia en matière de reprise ratée et des débuts compliqués d'ITA Airways, le doute est permis.
Léo Barnier
ITA Airways vise une flotte de 94 appareils en 2027.
ITA Airways vise une flotte de 94 appareils en 2027. (Crédits : REMO CASILLI)

Au lendemain de l'annonce du rachat de 41% d'ITA Airways, les dirigeants de Lufthansa se sont présentés devant les analystes et la presse. Objectif, exposer leurs plans pour la compagnie nationale italienne, héritière de la défunte Alitalia. Carsten Spohr a présenté la complémentarité des réseaux, les opportunités de synergies et le potentiel de croissance. Soit le laïus habituel dans ce type d'opérations. Le président du directoire du groupe allemand s'est aussi attaché à mettre en avant le faible niveau de risques pris par Lufthansa dans ce rachat.

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Une telle insistance n'est pas anodine. Si l'acquisition d'ITA Airways est séduisante sur le papier, elle n'est pas sans susciter une certaine méfiance. Il y a tout d'abord le poids de l'histoire. Les expériences passées de prises de participation d'Air France ou d'Etihad Airways dans Alitalia sont loin d'avoir été des réussites. Elles incitent donc à la prudence au moment d'investir dans une compagnie d'Etat italienne. Les deux groupes avaient fini par lâcher l'affaire face aux difficultés structurelles : pertes récurrentes, poids écrasant de la dette, division des forces entre les hubs de Rome et de Milan, recul inexorable face à la concurrence du low-cost sur le marché intérieur, ingérence politique et poids de l'Etat italien au capital...

ITA Airways n'est pas Alitalia, du moins selon Lufthansa

Autant de raisons qui font que Carsten Spohr s'est voulu clair sur ce point : ce n'est pas Alitalia que Lufthansa rachète.

« L'Italie est un marché que nous considérons comme clé depuis de nombreuses années et où nous avons bâti certaines forces. Bien sûr, cela a été rendu possible par la faiblesse du prédécesseur d'ITA, c'est-à-dire Alitalia. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous n'avions pas investi dans Alitalia, car nous pensions que ce n'était pas un bon investissement pour nos actionnaires. Mais aujourd'hui, avec le changement de combinaison, nous sommes convaincus que cela créera de la valeur », a-t-il ainsi déclaré.

Il estime même arriver dans un marché plutôt accueillant, en comparaison de l'hostilité qu'a pu rencontrer Lufthansa lors de ses précédentes prises de participation. C'est d'ailleurs déjà le cinquième marché du groupe, derrière ses marchés domestiques et les Etats-Unis.

Le patron de Lufthansa est allé plus loin dans la démonstration : « ITA n'a vraiment rien en commun avec l'ancienne Alitalia, si ce n'est son marché. La nouvelle compagnie aérienne ne porte aucun des fardeaux hérités d'Alitalia. Elle a été entièrement restructurée, elle a maintenant la bonne taille et, ce qui est essentiel pour notre industrie, elle a une base de coûts compétitive. » Pour lui, la restructuration a déjà été faite par rapport à Alitalia, avec un dégraissage massif (un nombre de salariés divisés par trois et un coût du travail abaissé de 30%), des modes de fonctionnement et de gouvernance remis à plat et simplifiés, une dette d'à peine 1 milliard d'euros uniquement liée aux contrats de location d'avions, ou encore l'externalisation de la maintenance. L'objectif est désormais de développer la compagnie.

Pour rappel, le gouvernement italien ne pouvant plus renflouer Alitalia à coups d'aides d'Etat, il avait créé avec l'aval de la Commission européenne une nouvelle compagnie, ITA Airways, en 2021. En contrepartie de ce montage, qui a permis d'épurer la dette, des éléments de « discontinuité » ont été imposés par Bruxelles : abandon de la marque et d'une partie des actifs, réduction de l'activité et des emplois.

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Lufthansa prend ses précautions

Pourtant, en dépit de cette séparation claire faite entre ITA et Alitalia, Lufthansa a établi un certain nombre de garde-fous afin de minimiser le risque financier. Des précautions somme toute nécessaires au vu des performances financières d'ITA Airways. Ainsi, le groupe allemand ne s'engage que sur 41% du capital. Des options existent pour devenir majoritaire à moyen terme, mais cela lui permettra d'évaluer d'abord l'évolution de la situation. L'acquisition des actions restantes se fera « à la discrétion du groupe Lufthansa », avec un prix ajusté en fonction des performances financières, par rapport au plan d'affaires convenu.

« Nous avons tout fait pour minimiser les risques financiers », insiste Carsten Spohr, président du directoire de Lufthansa.

Pour l'instant, le montant investi par Lufthansa est relativement modeste avec 325 millions d'euros, loin des sommes envisagées au départ. En outre, cette somme a été investie via une augmentation de capital, et non un rachat des parts de l'Etat. Rome participe d'ailleurs à ce renforcement du bilan d'ITA Airways. Il investit 250 millions d'euros, soit le solde des 1,35 milliard d'euros d'aides publiques autorisées par Bruxelles pour le lancement de la compagnie. D'un côté, cela réduira les prétentions de Rome à influer sur la stratégie de la compagnie. De l'autre, ITA Airways ne peut désormais plus compter sur des aides étatiques pour compenser ses pertes, à l'image des 400 millions d'euros lâchés par Rome fin 2022 pour permettre à la compagnie de passer l'hiver.

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Cela va prendre du temps

Cette participation minoritaire va également éviter au groupe de consolider les résultats d'ITA Airways dans ses comptes pour le moment. Et cela tombe bien, car la compagnie italienne enchaîne les pertes depuis sa création. En 2022, elle a accusé un déficit net de 486 millions d'euros, soit près d'un tiers de son (modeste) chiffre d'affaires.

Cette barrière semble d'autant plus nécessaire qu'il faudra « encore un peu temps » avant qu'ITA Airways revienne à l'équilibre, à en croire Remco Steenbergen, le directeur financier du groupe Lufthansa. Il précise « qu'il y aura une montée en puissance et le flux de trésorerie disponible sera encore négatif dans les années à venir ». La compagnie italienne devra ensuite adopter des objectifs identiques au reste du groupe, que ce soit en termes de rentabilité avec une marge opérationnelle de 8%, ou en termes de discipline financière en s'alignant sur le ratio d'endettement (traditionnellement faible) de Lufthansa.

« Le plus important est de s'assurer que l'ITA Airways devienne rentable le plus rapidement possible », Remco Steenbergen, directeur financier du groupe Lufthansa.

Pour limiter l'envolée des dépenses, Lufthansa prévoit d'ailleurs de poursuivre le recours à des locations d'avions pour renforcer la flotte d'ITA Airways - avant que celle-ci ne puisse à l'avenir bénéficier des commandes communes avec les autres entités du groupe. En revanche, cela va faire passer son passif lié aux contrats de location de 1 milliard d'euros aujourd'hui à 2,6 milliards d'euros en 2027. Partie de 52 avions en 2021, la compagnie est aujourd'hui à 66 appareils. Elle doit passer à 94 d'ici quatre ans. Elle retrouverait ainsi le niveau d'Alitalia avant la crise. Sa future flotte sera composée d'une majorité d'avions de nouvelle génération (Airbus A220, A320 NEO, A321NEO, A330 NEO et A350).

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Un potentiel de croissance

Malgré ces précautions, qui vont forcément entraîner quelques fuites dans les retombées potentielles pour Lufthansa, Remco Steenbergen est persuadé que des synergies arriveront très rapidement. De même, Carsten Spohr est convaincu de l'apport opérationnel d'ITA Airways. Il met ainsi en avant la taille du marché italien, le troisième d'Europe. Lufthansa compte ainsi sur Rome-Fiumicino pour devenir le « hub sud » du groupe, ce qui peut-être un avantage pour la desserte de l'Amérique du Sud, de l'Afrique ou encore de certaines destinations en Asie (d'autant plus avec l'interdiction de survol de la Russie). ITA Airways desservira aussi l'Amérique du Nord depuis la capitale italienne et sera intégrée à la coentreprise transatlantique A++. Celle-ci comprend aussi United Airlines et Air Canada. A l'inverse, Milan-Linate sera recentré sur la desserte de l'Europe avec une offre point-à-point centrée sur le trafic affaires et le loisir premium.

La stratégie a été concertée pendant les longs mois de discussions avec le gouvernement de la Première ministre italienne, Giorgia Meloni. Elle souhaitait continuer à avoir son mot à dire sur la destinée de l'entreprise, ce qui devrait être le cas. De fait, l'Etat italien reste majoritaire et nomme trois des cinq administrateurs. En contrepartie, Lufthansa pourra toujours se targuer d'être décisionnaire sur le choix du futur directeur général d'ITA Airways. Reste à savoir si cela suffira pour imposer ses vues.

Léo Barnier

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Commentaires 3
à écrit le 28/05/2023 à 13:30
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Le marché italien est juteux, la position géographique dans le bassin méditerranéen aussi mais ITA née des cendres d Alitalia un peu beaucoup ....moins, ITA n arrive pas à gagner de l argent au contraire elle en perd la faute de qui??? Des politiques...

à écrit le 28/05/2023 à 13:29
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Le marché italien est juteux, la position géographique dans le bassin méditerranéen aussi mais ITA née des cendres d Alitalia un peu beaucoup ....moins, ITA n arrive pas à gagner de l argent au contraire elle en perd la faute de qui??? Des politiques...

à écrit le 26/05/2023 à 16:58
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Et maintenant, que compte faire Skyteam / AirFRance-KLM pour ne pas se faire éjecter du juteux marché italien ??

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