Le monde de l'aérien pousse les gouvernements à accélérer la transition énergétique

Grand-messe auto-proclamée de l'aviation verte, le sommet d'Airbus consacré à l'exploration de l'aviation durable était aussi l'occasion pour l'industrie aéronautique de pousser plusieurs messages vers les décideurs politiques. Au milieu des présentations sur l'optimisation des opérations, l'électrification ou l'introduction de l'hydrogène, les prises de paroles se sont multipliées pour appeler les gouvernements à prendre les mesures nécessaires pour permettre à l'aviation de tendre vers le zéro émission nette d'ici 2050.
Léo Barnier
(Crédits : Regis Duvignau)

Voilà un an, Airbus présentait son projet d'avion moyen-courrier zéro émission (ZEROe) avec l'objectif d'une mise en service en 2035. Lors du sommet sur l'exploration de l'aviation durable organisé par l'avionneur européen les 21 et 22 septembre à Toulouse, son président exécutif Guillaume Faury n'a pas tardé à donner le ton alors qu'il était interrogé sur l'évolution de cette ambition depuis douze mois : « Nous sommes de plus en plus confiant sur le fait que cet avion est un objectif réalisable. Mais dans le même temps, nous avons réalisé, en travaillant tous les jours sur les différents aspects, qu'avoir l'avion disponible en 2035 n'est qu'une partie de ce défi. Il ne s'agit pas seulement d'un avion, mais d'avoir les bons carburants, de l'hydrogène, à la bonne place, à la bonne quantité et au bon prix. Ce n'est pas quelque chose que l'aviation peut gérer seule. Au vu du niveau de rupture et de changement que nous apportons, nous devons aussi embarquer les régulateurs. »

Un point de vue pleinement partagé par les autres intervenants, à commencer par Johan Lundgren. Le directeur général d'Easyjet n'a pas hésité lui non plus à affirmer que les gouvernements avaient un rôle prépondérant à jour dans la décarbonation de l'aérien et a appelé à une coopération renforcée. Parmi les sujets évoqués tour à tour par les différents dirigeants, la disponibilité des nouvelles énergies, la création d'infrastructures adaptées, les coûts, les conditions de concurrence équitable ou l'amélioration de la gestion du trafic aérien sont ainsi revenus régulièrement sur la table.

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Créer des infrastructures lourdes

Au centre des revendications avancées par les acteurs de l'aéronautique, la disponibilité de l'hydrogène apparaît donc en haut de la liste. Pour Johan Lundgren, qui s'est montré plus enthousiaste que par le passé pour cette solution, il relève de la responsabilité des gouvernements de s'assurer que les infrastructures nécessaires soient mises en place pour la distribution d'hydrogène sur les aéroports lorsque les premiers avions arriveront.

L'implémentation de l'hydrogène dans l'aviation nécessite en effet la mise en place d'infrastructures entièrement nouvelles au sein des aéroports, afin de permettre le stockage et l'avitaillement des avions tout en respectant les exigences de sécurité et les demandes opérationnelles des compagnies, notamment sur les temps de rotation - qui peuvent aujourd'hui de l'ordre de 30 minutes pour une compagnie à bas coût pour un vol moyen-courrier.

Difficulté supplémentaire, ces nouveaux réseaux devront ne devront pas remettre en cause le fonctionnement des réseaux actuels de kérosène, qui continueront à fonctionner pendant plusieurs décennies après l'arrivée de l'hydrogène - si tant est qu'elle se généralise - pour assurer le service des avions des précédentes générations jusqu'à leur remplacement. Johan Lundgren pointe également la connexion entre les réseaux de distribution et les plateformes aéroportuaires. Enfin, le dirigeant d'Easyjet estime que les Etats doivent aussi intégrer la production d'hydrogène vert dans le dimensionnement des moyens de production d'électricité renouvelable.

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Les SAF tardent à décoller

Si cette question apparaît prééminente dès aujourd'hui, c'est que l'exemple des carburants durables pour le transport aérien (SAF) n'est pas franchement concluant. Leur utilisation plafonne aujourd'hui à moins d'un pourcent du kérosène utilisé à travers le monde. Les avions sont pourtant certifiés pour incorporer jusqu'à 50 % de SAF dans leur réservoir sans modification, comme l'a rappelé à plusieurs reprises Guillaume Faury. Des expérimentations sont même menées pour aller au-delà, ce qui ne nécessite pas non plus des évolutions majeures.

L'utilisation de ces carburants durables est pour l'instant limité par leurs coûts, de l'ordre de 5 à 7 fois supérieurs à ceux du kérosène classique. Thomas Reynaert, directeur général de l'association A4E (qui regroupe entre autres Air France-KLM, IAG, Lufthansa, Ryanair et Easyjet), affirme pourtant « avoir réellement besoin de SAF à un prix abordable et très rapidement dans de grandes quantités ».

Il salue ainsi assez largement les mesures prises par la Commission européenne dans son paquet « Fit for 55 » dévoilé cet été, notamment la volonté de Bruxelles de pousser les Etats membres à développer leurs capacités de production et l'adoption de mandats d'incorporation (de 2 % en 2025 à 63 % en 2050). Ces mesures pourraient permettre à l'aviation de sortir du dilemme actuel de « l'œuf et de la poule », à savoir une faible demande des compagnies en raison de coûts trop élevés face à des prix élevés de la part des producteurs en raison de la trop faible demande.

En revanche, Thomas Reynaert dénonce les taxes qui pourraient s'appliquer au kérosène classique en parallèle, qu'il voit comme le moyen le moins efficace de réduire les émissions. Il est rejoint sur ce point par Johan Lundgren qui estime que certains politiciens veulent régler la question de la pollution en « étranglant la demande ».

La plupart des acteurs militent donc pour des systèmes d'incitations financières à même de réduire le surcoût engendré par l'incorporation de SAF, estimant que cela favoriserait largement leur développement. Ce type de dispositif était également attendu en France dans le cadre la feuille de route publiée début 2020 par Élisabeth Borne, alors ministre de la transition écologique et solidaire, et Jean-Baptiste Djebbari, son secrétaire d'Etat aux transports (devenu ministre délégué depuis). En vain jusqu'à présent.

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Le Ciel unique, près de 30 ans de promesses

Le dernier point de revendication est l'amélioration de la gestion du trafic aérien, qui pourrait générer des baisses de consommation de carburant pouvant aller jusqu'à 10 % en Europe. Johan Lundgren a ainsi exprimé fortement son mécontentement face aux atermoiements européens dans la mise en place du Ciel unique depuis près de trente ans : « C'est absolument déplorable de n'avoir vu aucun progrès dans ce domaine-là. C'est un sujet majeur depuis tant d'années. Uniquement sur notre réseau, nous avons fait le calcul que si nous avions juste fait une réforme de notre système de gestion de l'espace aérien, nous aurions réduit instantanément nos émissions de 15 %. C'est massif alors que nous chassons des kilos sur chaque vol pour réduire notre consommation. Tout le monde sait ce qui se passe, tout le monde en parle, mais personne ne fait rien. Nous espérons que les décideurs fassent enfin quelque chose à ce sujet. »

Léo Barnier

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Commentaires 4
à écrit le 24/09/2021 à 7:46
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Il faut taxer le kerosene pour réduire le trafic aerien et le voir disparaitre à terme

à écrit le 23/09/2021 à 10:57
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De la com, du vent. Le petrole a encore de beaux jours devant lui.

à écrit le 23/09/2021 à 10:01
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Comme quoi, il sera bien plus facile de faire toute transition en prenant pour base "le local" plutôt que continuer la spécialisation mondialiste!

à écrit le 23/09/2021 à 10:01
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La bonne solution, c'est de réduire le transport aérien. L'avion "vert" est un fantasme.

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