
C'est une feuille de route de décarbonation, telle que prévue par l'article 301 de la loi « Climat & Résilience », qui devrait être publiée dans les prochains jours : celle du transport routier de marchandises. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, les professionnels sont encore en train de discuter des objectifs 2030.
Selon une source proche du dossier, les transporteurs semblent s'accorder sur un pourcentage de 22% de véhicules électriques neufs dans le parc roulant en 2030. A contrario, pour ceux roulant au gaz et au biogaz, « point moins consensuel entre constructeurs et énergéticiens », leur part varierait de 5 à 25% entre 2025 et 2030. S'agissant enfin de ceux propulsés à l'hydrogène, « ce serait anecdotique d'ici à 2030 », avec moins de 3% des véhicules à cet horizon.
Tous les poids lourds français sont recensés au gazole
D'autant qu'au 31 décembre 2021, selon les chiffres de l'Union routière française, sur les 596.000 poids lourds immatriculés, c'est-à-dire supérieurs à 3,5 tonnes, tous sont recensés au gazole.
« Les poids lourds propulsés avec d'autres énergies sont trop peu nombreux pour être isolés », écrit le président de la Confédération des grossistes de France (CGF), Philippe Barbier, dans son rapport sur la décarbonation de la logistique urbaine, remis au ministre des Transports Clément Beaune le 28 mars lors de la Semaine internationale du Transport de la Logistique (SITL).
100 millions d'euros sur la table
Ce jour-là, le représentant du gouvernement Borne avec ses collègues Agnès Pannier-Runacher (Transition énergétique) et Roland Lescure (Industrie) ont donc annoncé le lancement d'un appel à projets doté de 60 millions d'euros dont 55 millions pour les camions électriques et 5 millions pour les autocars électriques. Objectif gouvernemental : « faciliter l'acquisition de 500 poids lourds électriques ».
Une somme à laquelle il faut ajouter 40 millions d'euros d'un appel à projet lancé en février par les ministres Le Maire (Economie, Finances et Souveraineté industrielle et numérique), Lescure et Beaune en « soutien aux projets d'investissements pour produire en France les véhicules routiers de demain et leurs composants ». Soit 100 millions d'euros au total.
Travailler sur un plan économique de déploiement d'avitaillement
Outre ces espèces sonnantes et trébuchantes, le gouvernement affirme également « soutenir » le déploiement de bornes électriques haute puissance pour les poids lourds à travers un appel à projets France 2030 dédié aux bornes de recharge.
« Ce n'est pas avec cette enveloppe que l'on va convertir le parc français de 550.000 camions mais ça envoie un signal, une logique d'amorçage. Il faut travailler plus généralement sur un plan économique de déploiement d'avitaillement, réagit, pour La Tribune, Olivier Poncelet, délégué général de l'Union TLF.
Ne mettons pas tous les œufs dans le même panier et encourageons l'électricité certes mais aussi les biocarburants, le biogaz et des diesel moins polluants », ajoute le porte-parole de l'organisation représentative des 2.000 entreprises du transport et de la logistique.
La HVO, nouvel eldorado ?
Il ne croit pas si bien dire. L'opérateur XPO Logistics (1,286 milliard d'euros de chiffre d'affaires en France, 2,9 milliards d'euros en Europe) s'apprête à commercialiser sur le marché hexagonal une offre visant à remplacer le diesel par de l'huile végétale hydrotraitée (HVO).
Selon TotalEnergies, qui fournit ce carburant, la HVO est d'origine « 100% renouvelable », fabriquée à partir d'huiles végétales durables ou de retraitement des déchets (graisses animales, huiles de cuisson, huiles résiduelles...). A tel point qu'elle permettrait de réduire d'au moins 50% et jusqu'à 90% les émissions de CO2 par rapport à un carburant standard.
Du côté de XPO, « il n'y a pas d'investissement supplémentaire car ce carburant est miscible avec le diesel », déclare, à La Tribune, le directeur général France
Un petit surcoût
En revanche, pour ses clients, le « petit surcoût », comparé au diesel et selon le flux, est de l'ordre de 20% par palette, « mais ils ne paieront que ce qu'ils consommeront », poursuit Bruno Kloeckner.
« C'est le prix à payer pour un carburant plus écologique et pour une solution premium qui fait baisser fortement les émissions de CO2 », enchaîne-t-il.
« Le calcul CO2 est vérifié par l'Ademe et notre process certifié par Dekra. Cela va nous permettre d'atteindre nos objectifs ambitieux de baisser nos émissions GES de 5,3% par an », dit encore Bruno Kloeckner.
Le dirigeant français de l'opérateur américain assure en effet avoir obtenu de Dekra, qu'il présente comme « le leader mondial des services aux véhicules », une certification de sa démarche de développement durable en tant que « fournisseur de carburant alternatif. Cet audit « valide » le processus de traçabilité de son carburant et lui permettra de délivrer des certificats aux clients chaque fin d'année « attestant de la réduction de leurs émissions ».
« Si nous ne le faisons pas, nous serons rejetés des appels d'offres »
« Tous les transporteurs s'engagent dans cette voie [de décarbonation] », confirme, à La Tribune, Luc Nadal, directeur de la région Europe de Ceva Logistics (9 milliards de chiffre d'affaires en Europe, filiale de CMA CGM).
« Tous ne sont pas prêts à payer un prix extravagant à tel point qu'il y a un écart entre le discours et la réalité, mais tous sont prêts à adapter les tournées et les temps de charge pour faciliter la mise en œuvre. De toute façon, si nous ne le faisons pas, nous serons rejetés des appels d'offres », ajoute-t-il.
Une offre déjà lancée en mars
Le patron parle en connaissance de cause. Avec le concessionnaire autoroutier Sanef (1.957 kilomètres) et l'énergéticien Engie, ils ont lancé, début mars, l'« European Clean Transport Network Alliance », afin de construire et d'exploiter des infrastructures de recharge bas-carbone pour les poids lourds qui transportent des marchandises sur autoroute.
« La décarbonation massive sur la courte ou longue distance suppose de concevoir le camion propre comme un système global. Elon Musk a fait les deux : les voitures et les superchargeurs. A nous de créer des systèmes de charge », justifie-t-il.
Entre Lille et Avignon, en passant par Paris, vingt tracteurs, c'est-à-dire les véhicules motorisés qui tractent les semi-remorques, vont donc circuler au biogaz, à l'électricité ou à l'hydrogène vert, entre cinq terminaux. Sur les modèles des diligences qui changeaient de cheval au relais de poste, les cargaisons vont passer de camion en camion, sur des distances d'environ 300 kilomètres.
Tant est si bien que les camions ne devraient plus rouler à vide et que les conducteurs ne feront plus que des aller-retours et ne passeront plus leur nuit sur des parkings. Le tout dans le courant de l'année 2023 pendant près de deux ans.
« L'ensemble du secteur est motivé depuis plusieurs années et a bien conscience qu'il va falloir autre chose que le diesel classique, mais c'est très compliqué et coûteux », résume Constance Maréchal-Dereu, directrice générale de la méta-association France Logistique.
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