Logistique : la route de la décarbonation du transport de marchandises est encore longue

A la suite des annonces de la Commission européenne sur la décarbonation des camions, le concessionnaire autoroutier Sanef, l'énergéticien Engie et l'opérateur Ceva Logistics viennent d'annoncer leur alliance entre Lille, Paris et Avignon pour réduire les émissions de CO2. Leur homologue Vinci Autoroutes étudie, lui aussi, la mise en place de « couloirs de décarbonation » quand APRR revendique l'ouverture de la première station multi-énergies. Décryptage.
César Armand
(Crédits : Reuters)

C'est un objectif ambitieux fixé aux transporteurs routiers par la Commission européenne. Le 14 février, l'organe exécutif de l'Union européenne a assigné aux poids lourds - et aux cars - le double objectif de réduire leurs émissions de CO2 de 45% en 2030 et de 90% en 2040. Et ce dans la continuité de la commission des Transports et du Tourisme du Parlement européen qui, dès octobre 2022, a adopté, dans le cadre du « Fit for 55 », de nouvelles règles visant à déployer tous les 60 kilomètres des bornes de recharge électrique rapides, et tous les 100 km, des stations d'avitaillement en hydrogène. L'objectif est le même : atteindre la neutralité carbone en 2050, alors que les camions représentent près d'un quart des émissions de gaz à effet de serre du secteur.

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Sans attendre l'audition, le 22 mars à l'Assemblée, du ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, et du ministre des Transports Clément Beaune le 22 mars en commission des Finances et en commission du Développement durable et de l'Aménagement du territoire, les concessionnaires, qui gèrent 12.000 kilomètres d'autoroutes, doivent donc avancer dans ce sens pour atteindre ces objectifs.

Une alliance entre trois acteurs - Lille, Paris et Avignon -

Sanef (1.957 km) vient d'annoncer, avec l'énergéticien Engie et l'opérateur Ceva Logistics, filiale de CMA CGM, le lancement de l'« European Clean Transport Network Alliance », afin de construire et d'exploiter des infrastructures de recharge bas-carbone pour les poids lourds qui transportent des marchandises sur autoroute.

« C'est un projet pilote visant à trouver un compromis entre la capacité de distribuer de l'énergie à haute puissance, d'établir les temps de recharge et de définir les emplacements. A nous trois, nous menons actuellement des études sur des zones, les coûts et les flux que nous pourrons capter », explique, à La Tribune, François-Xavier de Froment, directeur Mobilité durable chez Engie.

Entre Lille et Avignon, en passant par Paris, vingt tracteurs, c'est-à-dire les véhicules motorisés qui tractent les semi-remorques, vont donc circuler au biogaz, à l'électricité ou à l'hydrogène vert, entre cinq terminaux. Sur les modèles des diligences qui changeaient de cheval au relais de poste, les cargaisons vont passer de camion en camion, sur des distances d'environ 300 kilomètres. Tant est si bien que les camions ne devraient plus rouler à vide et que les conducteurs ne feront plus que des aller-retours et ne passeront plus leur nuit sur des parkings. Le tout dans le courant de l'année 2023 pendant près de deux ans.

« Nous ne savons pas encore combien cela va coûter, mais il y a fort à parier qu'il y aura besoin d'investissements en infrastructures dans des ampleurs et des proportions inégalées », déclare, à La Tribune, Edouard Fischer, directeur Innovation et transformation chez Sanef.

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Une expérience qui a vocation à être dupliquée en Europe

D'autant qu'aujourd'hui, le concessionnaire assure que le déploiement de points de charge pour véhicules légers sur ses 72 aires d'autoroute, prévu pour fin 2022 conformément à la réglementation, s'achèvera fin mars. Son partenaire énergéticien, qui assurera le financement, la conception, la construction et l'exploitation de leurs stations communes, revendique, lui, 12.000 bornes en France et en Belgique sur 67 aires ainsi qu'un partenariat avec les 340 hôtels B&B. Dans les deux cas, le modèle économique est le suivant : 30 à 40% de l'investissement fléché vers la borne, les 60 à 70% restants vers les transformateurs et le tirage des câbles.

Une expérience européenne qui a vocation à être dupliquée. « Nous sommes en avance de phase pour étudier de longs corridors de façon transfrontalière. L'axe d'expérimentation a vocation à s'étendre sur le reste du continent », avance le directeur Mobilité durable d'Engie, François-Xavier de Froment.

« Cela nous permettra d'offrir de meilleurs bilans carbones aux produits transportés », appuie le directeur Environnement et RSE de Sanef, Julien Pointillart.

Outre Ceva Logistics, le réseau est prévu, à terme, pour être ouvert à tous les chargeurs et transporteurs, avec une solution informatique adéquate pour planifier les itinéraires et les horaires de recharge in situ.

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Vinci étudie la mise en place de « couloirs de décarbonation »

Leur homologue Vinci Autoroutes (4.443 km), qui a été le premier à communiquer sur la décarbonation des autoroutes en novembre dernier et à la chiffrer entre 60 et 70 milliards d'euros, étudie, lui, aussi la mise en place de « couloirs de décarbonation » sur son réseau. Son premier site à l'étude se situe sur un triangle composé des axes A7-A8-A54-A9, où se trouve la plus grosse densité de camions parcourant de longues distances.

« C'est la bonne étape provisoire pour maximiser l'usage des infrastructures de recharge/alimentation des véhicules décarbonés en s'appuyant sur une flotte de véhicules captifs », souligne, auprès de La Tribune, Christophe Hug, son directeur général adjoint et directeur de la maîtrise d'ouvrage.

Plus généralement, la filiale de la major du BTP affirme travailler sur un schéma directeur d'alimentation des poids lourds décarbonés. Deux sites pilotes sont à l'étude en région lyonnaise et dans les Pays de la Loire, avec, en ligne de mire, une première station en 2024 de 4 à 8 bornes de 350 kilowatts avant de basculer à 750 kW. Pour ses 180 aires, elle prévoit même plus de 3.000 bornes d'ici à 2035, un tiers à 1MW pour la charge de jour et deux-tiers à 100-150 kW pour la charge de nuit.

« Les stations de recharge pour poids lourds en itinérance ressembleront à des stations pour véhicules légers et vont évoluer dans le temps en fonction du nombre de poids lourds électriques et de leur capacité à prendre des charges de très haute puissance », dit encore le numéro 2 de Vinci Autoroutes, Christophe Hug.

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Une station-service en hydrogène vert sur le point d'être ouverte

Avant cela, en mai prochain, ses équipes auront mis en service une station-service en hydrogène vert sur l'aire de Toulouse Sud Sud, alimentée par la plateforme Hyport située à l'aéroport Toulouse-Blagnac (sous concession Eiffage, Ndlr). Si une autre station est en cours d'étude sur l'A64, ils anticipent, à horizon 2035, 180 stations de distribution - une par aire - dont 3 à 5 avec production sur site compte tenu du besoin incompatible avec l'approvisionnement par camion.

« Le transport d'hydrogène nécessite en effet sept fois plus de poids lourds que les camions citernes pour l'essence et le gasoil pour délivrer la même quantité d'énergie », concède Christophe Hug, qui envisage déjà des pipelines pour l'horizon 2050.

Ce dernier planche également sur la route électrique, c'est-à-dire reposant soit sur un caténaire, soit sur un rail, soit sur de l'induction. Pour le caténaire, les camions disposent d'un pantographe pour s'y connecter ; pour le rail, les poids lourds possèdent des patins conductifs qui se collent à un rail affleurant dans la chaussée ; et pour l'induction, des bobines présentes dans la route comme dans le tracteur s'échangent de l'électricité. Des innovations poussées dès 2021 par la Direction générale des Infrastructures, des Transports et des Mobilités (DGITM, ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires). Cette administration centrale ayant préconisé de lancer, d'ici à 2025, des expérimentations, avant de déployer la solution adéquate.

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 APRR revendique l'ouverture de la première station multi-énergies

En attendant, APRR (Autoroutes Paris-Rhin-Rhône, groupe Eiffage, 2.323 km) a revendiqué, dès décembre 2020, l'ouverture de la première station multi-énergies sur autoroute, tant pour les voitures individuelles que pour les camions. Depuis cette date, tous les utilisateurs roulant à l'essence, au gasoil, au gaz naturel liquéfié (GNL) ou à l'électricité, peuvent se ravitailler à la station Shell de Mionnay-Saint-Galmier (A46) en direction de Lyon, mais aussi à Plaine de Beauce, Chien Blanc et Cestas, ouverts en février et octobre 2022.

« En 2022, ce sont près de 5.000 transactions qui ont été effectuées sur nos 4 stations. Soit l'équivalent à 275 tonnes de CO² évitées en comparaison avec le carburant diesel », relève, pour La Tribune, Mickael Littiere, Business Development Manager LNG chez Shell

De fait, ces professionnels n'ont plus le choix. La stratégie nationale bas-carbone impose, rien que pour les mobilités et les transports, une baisse de 28% des émissions de gaz à effet de serre dès 2030. « Il ne s'agit pas uniquement d'aller vers la neutralité carbone, mais d'atteindre la neutralité climatique, c'est-à-dire celle qui préserve l'environnement dans son ensemble », a l'habitude de répéter Patrice Geoffron, professeur d'économie à Paris-Dauphine et spécialiste de la transition bas carbone.

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Continental s'allie à un Français pour accélérer sur le télépéage

Hasard du calendrier, l'équipementier allemand et le « spécialiste du télépéage » français Axxès viennent de communiquer, le 6 mars, sur leur coopération; afin de faciliter le télépéage des poids lourds.

Au regard du Paquet mobilité de la Commission européenne, tous les camions en circulation pour le transport international devront en effet être équipés, d'ici à 2025, de nouveaux tachygraphes « intelligents de deuxième génération ». Aujourd'hui, tous les chauffeurs sont équipés d'unités embarquées enregistrant leur temps de conduite et de repos. Demain, leur position pourra être suivi par satellite.

« A la technologie embarquée du chronotachygraphe, nous allons ajouter une brique de péage pour simplifier le paiement. Nous allons y intégrer l'information sur l'usage du véhicule pour moins consommer, mieux rouler et in fine contribuer à la décarbonation du transport de marchandises », promet, auprès de La Tribune, le président d'Axxès, Frédéric Lepeintre.

« Maintenant que nous utiliserons le tachygraphe pour le télépéage, nous pourrons également utiliser ses données pour économiser de l'argent, du carburant et donc du CO2 », confirme Adrien Eymard, directeur des organisations de ventes européennes, chez Continental Smart Mobility.

Quasiment tous les poids lourds qui font du fret utilisent déjà le télépéage, mais ceux qui s'arrêtent perdent environ 4 litres, sachant qu'un camion consomme en moyenne 34 litres aux 100 et que son réservoir en compte 500.

César Armand

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Commentaires 6
à écrit le 09/03/2023 à 12:44
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Le train et la relocalisation de la production est suffisant pour vendre ses surplus !

le 09/03/2023 à 15:52
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Un grand nombre de poids lourds ne font que transiter sur nos routes et autoroutes en provenance ou à destination d'un autre pays par exemple 20.000 camions transitent par jour entre les frontières allemande et espagnole .

à écrit le 09/03/2023 à 10:23
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Le système de rail/caténaire semble le plus simple à déployer. On peut imaginer des camions électriques disposant d'une batterie leur conférant une autonomie de 200km hors autoroute et utilisant le rail/caténaire sur autoroute.

le 09/03/2023 à 13:30
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Dans les années 60 il y avait en région parisienne des trolley bus .

à écrit le 09/03/2023 à 9:07
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Sous couvert de progrès, voilà comment la technologie contrôle et suit à la trace les conducteurs. D'autre part , la Sanef qui communique si bien sur ces sujets devrait plutôt s'occuper du confort de ses usagers en mettant des couvertures au niveau ...

le 09/03/2023 à 12:46
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Merci, de ne pas confondre "progrès" et "innovations" !;-)

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