
La Commission européenne a tranché. Objectif : 90% de réduction des émissions de CO2 pour 2040 et 45% d'ici 2030 pour les poids lourds et les cars. Les bus urbains devant être, quant à eux, 100% propres d'ici 2030. Une décision dans la lignée de celle des voitures avec l'interdiction de la vente de véhicules thermiques pour 2035. Ce texte satisfait à moitié l'association Transport et Environnement qui aurait préféré la même mesure pour les voitures que pour les poids lourds. En effet, les camions ne représentent que 2% des transports, mais 27% des émissions de ce secteur.
Le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, a estimé que la filière des poids lourds devait avoir un peu de marge pour se développer, étant donné qu'elle part de plus loin que les voitures. Aujourd'hui, 95% des camions ont des moteurs thermiques. Retour en 3 points sur les grands défis à affronter pour pouvoir atteindre cet objectif.
Développer les infrastructures
Premier frein au développement : les infrastructures de recharge. Si elles sont déjà peu développées pour les voitures, c'est encore pire pour les camions. Selon Martin Lundstedt, directeur général du groupe Volvo, réduire de 45% les émissions sur les poids lourds d'ici 2030 signifierai atteindre 400.000 camions zéro-émission sur la route et 50.000 chargeurs électriques publics dont 35.000 super-chargeurs en Europe. À cela devra s'ajouter 700 bornes à hydrogène. Actuellement, seulement une dizaine de bornes de recharge sont disponibles et aucune en super-chargeur.
Pour un des représentants de Mercedes, le manque d'infrastructures est le point bloquant principal pour les clients. Pourtant, en octobre dernier, le Parlement européen a défini les premières règles pour inciter les États membres à déployer les bornes de recharge en fixant une borne électrique rapide tous les 60 km, mais uniquement sur le réseau transeuropéen de transport, et une borne tous les 100 km pour l'hydrogène.
Un objectif difficile à atteindre sans une aide financière importante des États. D'autant que d'autres freins à ce déploiement viennent s'ajouter : « Les fournisseurs d'énergie disent qu'ils ne peuvent pas tout faire, et les communes, où l'on voudrait installer les bornes, ne sont pas toujours d'accord pour financer ces projets », explique un représentant de Mercedes.
Réduire les coûts
Autre limite à franchir pour la filière des poids lourds : les coûts des véhicules. Sur le secteur des voitures, on estime déjà que les prix ont augmenté de 20% entre 2019 et aujourd'hui, en partie lié à l'électrification. Problème : sur les camions, le retard est encore plus grand et les coûts seront donc plus élevés au début. Les camions électriques et à hydrogène coûtent entre 2 et 4 fois plus chers par rapport à leurs équivalent thermiques. Une situation qui pourrait mettre en péril des PME de transport estime la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) car celles-ci se voient refuser des prêts bancaires pour le financement de camions électriques.
La question est : qui paiera la facture pour accélérer cette transition ?
Bruno Le Maire a indiqué vouloir produire « 2 millions de véhicules zéro émission et développer une mobilité sobre, souveraine et résiliente, pour lequel 3,6 milliards d'euros de moyens financiers sont prévus » dans le cadre du plan France relance 2030. Pour y parvenir, le ministre de l'économie a également annoncé lancer un appel à projets pour financer les productions françaises de véhicules routiers. Mais aucun chiffre concernant les poids lourds et les autocars n'a été spécifié.
Contrairement aux voitures des particuliers, l'achat d'un poids lourd ou d'un autocar électrique ne bénéficie pas de subvention de l'État. « Nous recommandons de mettre en place un bonus pour l'achat de ces véhicules », estime le syndicat de la mobilité, Mobilians.
Augmenter l'autonomie
Enfin, le dernier point bloquant reste l'autonomie de ces véhicules. Les poids lourds et les autocars effectuant généralement de longues distances, l'autonomie et le temps de recharge des véhicules ne peuvent pas être considérés de la même manière que pour les voitures. Actuellement, les camions lourds dit « tracteurs » ont une autonomie autour de 350 km pour un temps de charge compris entre 4 heures et 8 heures sur une borne rapide. Un temps important qui n'est pas un problème pour les poids lourds revenant à leur point de départ le soir mais qui est impensable dans le transport de marchandises, en particulier de denrées périssables. Pour ces trajets longue distance, l'hydrogène pourrait être un atout, à condition qu'il soit décarboné et que son développement soit rapide.
Le groupe Mercedes, qui possède les camions Daimler, assure que la technologie permettra de répondre à cette limite et déclare travailler sur de nouvelles batteries lithium-fer-phosphate qui permettrait une autonomie de 500 km. Ces camions devraient voir le jour en 2024 et les 3,5 tonnes, plus petits, sont déjà sur le marché.
Pour les bus urbains, l'autonomie ne sera pas un problème car les distances sont courtes. En revanche, les autocars longue distance devront également trouver des solutions pour les longs trajets. C'est le cas de la compagnie de transport Flixbus qui effectue des recherches sur les batteries avec Mercedes. Si la compagnie se réjouit de ce texte adopté par la Commission européenne, elle admet des difficultés de chargement et un problème d'autonomie sur un de ses trajets tests entre Paris et Amiens effectué en 2018. Elle reste néanmoins confiante sur la capacité d'innovation des constructeurs.
Il reste encore beaucoup d'obstacles à franchir pour atteindre l'objectif fixé par la Commission européenne et il faudra plusieurs aides de la part des États pour parvenir à engager correctement la transition écologique des poids lourds et des autocars.
Autre question qui reste en suspens : quid des biocarburants ou du biogaz ? Si les associations environnementales considèrent qu'il ne faut pas aller vers ces technologies qu'elles estiment être « de transition », le secteur des poids lourds souhaite de son côté que ce mix énergétique soit pris en compte dans la réduction des émissions. La Commission n'en a pas parlé de son côté, affaire à suivre donc...
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