
A première vue, difficile de déterminer un vainqueur dans le match que se sont à nouveau livrés Air France-KLM, Lufthansa et IAG en 2022, année de la sortie de crise. Les trois groupes majeurs du transport aérien européen traditionnel, qui viennent de publier leurs résultats annuels, affichent des niveaux d'activité et de chiffre d'affaires relativement différents en raison de leur taille respective, mais se tiennent dans un mouchoir de poche en termes de rentabilité opérationnelle : 1,19 milliard d'euros pour le groupe allemand, 1,19 milliard pour le groupe français, et 1,26 milliard pour le groupe britannico-espagnol.
Pourtant des différences se font sentir. S'il juge que les situations sont à peu près similaires entre Air France-KLM et Lufthansa, un analyste note que la génération de cash est supérieure chez le groupe allemand. De fait, ce dernier a généré un flux de trésorerie disponible de près de 2,9 milliards d'euros, soit une amélioration de plus de 3 milliards d'euros par rapport en 2021 où le résultat était négatif. Déjà légèrement positif en 2021, le groupe français améliore son résultat avec près de 2,8 milliards d'euros mais la progression est assurément plus faible - de 500 millions d'euros - que celle de son concurrent.
IAG doit rattraper son retard
Bon dernier, IAG ferme la marche avec un peu moins de 1,4 milliard d'euros après avoir été en négatif l'an dernier. Le cash généré par les activités opérationnelles des trois groupes étant relativement équivalent, cette différence s'explique en grande partie par les forts besoins d'investissement du groupe britannico-espagnol. Au contraire de ses concurrents, celui-ci a largement coupé ses investissements en 2021 et a pris du retard dans le renouvellement de sa flotte. D'où un rattrapage en 2022, avec par exemple prendre en compte 15 appareils long-courriers, 12 Airbus A350 et trois Boeing 787-10, soit autant que ses deux concurrents réunis.
Conséquence, IAG a dû faire face à un flux de trésorerie négatif de près de 3,5 milliards d'euros pour ses activités d'investissement là où Air France-KLM et Lufthansa sont limités à un peu plus de deux milliards d'euros. Et cela devrait continuer dans les prochaines années, IAG devant poursuivre ses efforts d'investissement supérieurs à ceux de ses concurrents et donc consommer davantage de cash. Sans compter qu'il lui faut financer le rachat de la compagnie espagnole Air Europa, annoncé en février, à hauteur de 500 millions d'euros.
Lufthansa et Air France-KLM ont profité de cet apport de cash pour se désendetter sensiblement, en coupant près d'un quart de leur dette nette chacun et retrouve des positions tout à fait confortables après les difficultés des années précédentes. A fin 2022, l'endettement du groupe Lufthansa est repassé sous la barre de 6,9 milliards d'euros, soit 2,3 fois son Ebitda ajusté (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement, retranché d'éléments non récurrents), tandis qu'Air France-KLM est retombé à 6,3 milliards soit 1,8 fois l'Ebitda reporté dans ses comptes (sans ajustements). IAG n'a pas pu faire de même et malgré un petit abaissement, il est encore endetté à hauteur de 10,4 milliards d'euros.
Ce retard du groupe composé de British Airways, Iberia et Vueling, entre autres, se fait enfin sentir dans le résultat net. Là où Lufthansa engrange 791 millions d'euros et Air France-KLM atteint 744 millions, IAG doit se contenter de 431 millions d'euros. Au passage, le groupe français signe tout de même la plus belle progression avec une amélioration de plus de 4 milliards d'euros par rapport à 2021, où il était le plus déficitaire des trois.
Air France-KLM a besoin de volume
Au vu de ces différents résultats, le même analyste estime que Lufthansa possède un meilleur contrôle sur les prix et les capacités grâce à son travail réalisé sur les coûts fixes avant même la pandémie, là où Air France-KLM a encore besoin de faire croître ses volumes pour améliorer sa rentabilité. Ce besoin de volume est encore plus sensible pour IAG. Le groupe a certes limité les coûts pendant la crise en coupant fortement dans ses effectifs, mais il se voit contraint de réembaucher massivement. Et son chiffre d'affaires par passager s'avère très faible.
Cela se ressent dans la stratégie des différents groupes. Après avoir bien anticipé la reprise, Air France-KLM a remis en ligne 82 % de ses capacités d'avant-crise dès 2022. De fait, il vise une fourchette comprise entre 90 et 95 % cette année avec un maintien des coûts unitaires, puis à 100 % en 2024. A moyen terme, le groupe dirigé par Ben Smith a pour objectif d'arriver à faire repartir les coûts unitaires à la baisse pour dégager une marge d'exploitation de 7 à 8 %, contre 4,5 % aujourd'hui
Dans cette optique, les contraintes imposées à KLM avec la limitation des mouvements et la hausse des redevances sur son hub d'Amsterdam-Schiphol pourraient peser très lourd. Déjà au dernier trimestre 2022, ces restrictions ont coûté 170 millions d'euros de recettes à la compagnie néerlandaise et contribué à son résultat d'exploitation négatif.
Lufthansa a dû faire face à un manque de personnel préjudiciable et a dû annuler nombre de vols en 2022. Sur l'ensemble de l'année 2022, le groupe n'a pu revenir qu'à 72 % du niveau de 2019. Depuis, il réembauche massivement, mais reste prudent. Il vise 85 à 90 % cette année, puis 95 % en 2024. Cela ne l'empêche pas de vouloir améliorer son résultat opérationnel significativement dès cette année, puis viser une marge d'au moins 8 % dès 2024. Ce qui tendrait à confirmer son avance sur Air France KLM.
IAG est lui lancé dans une course pour retrouver 96 % de ses capacités d'avant crise dès le premier trimestre 2023, et 98 % sur l'année. C'est 20 points de plus qu'en 2022. Le groupe vise une rentabilité tout de même confortable avec un objectif de bénéfice opérationnel avant éléments exceptionnels compris entre 1,8 et 2,3 milliards d'euros.
Lufthansa a de la marge
Le même analyste estime que Lufthansa dispose d'une marge de manœuvre un peu plus importante que celle d'Air France. Et celle-ci devrait s'accroître une fois que le groupe allemand aura céder une participation de l'ordre de 20 % dans sa très lucrative division de maintenance Lufthansa Technik et vendu ses filiales de catering LSG Group et de services de paiement et de facturation pour les voyages d'affaires Airplus International dans le cadre de son recentrage stratégique. Des opérations qui pourraient rapporter plus de deux milliards d'euros. « Ce niveau d'endettement très bas va leur permettre de saisir des opportunités que personne d'autre ne pourra saisir sur le marché européen », analyse un connaisseur du secteur.
Cela est déjà le cas pour ITA Airways, la compagnie nationale italienne, pour laquelle Lufthansa négocie une prise de participation à hauteur de 40 %, pour un montant compris entre 250 et 300 millions d'euros selon la presse transalpine. Le groupe allemand a notamment devancé Air France-KLM, un temps en position favorable mais qui ne pouvait pas investir directement - au moins dans un premier temps - faute d'une situation financière suffisamment forte et toujours empêché d'investir par les restrictions européennes liées au remboursement des aides d'Etat.
La situation pourrait être différente sur le prochain gros dossier : TAP Air Portugal. Le gouvernement, qui a racheté l'ensemble de la compagnie pour la sauver de la faillite, veut vendre une partie de sa participation, probablement majoritaire. Au vu de sa très forte position vers le Brésil, TAP a de quoi aiguiser les appétits de Lufthansa comme d'Air France-KLM. Mais apparemment, c'est le groupe français qui se montre le plus enclin à bouger tandis que son concurrent allemand se veut plus mesuré, notamment en raison du niveau de valorisation voulu par Lisbonne.
IAG aurait pu être intéressé, mais seulement en cas d'échec dans son rachat d'Air Europa. Et encore, à condition de pouvoir s'aligner. « IAG est dans situation plus délicate, qui va l'empêcher de saisir les opportunités », note un analyste. Selon lui, le groupe va être obligé de passer par « la case augmentation de capital » en se finançant sur les marchés au contraire de ces deux concurrents qui se sont déjà recapitalisés, même s'il estime que les dirigeants feront tout pour que cette opération arrive le plus tard possible.
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