Ciblé comme l'un des « moments cruciaux » du procès de l'accident du vol AF447, l'interrogatoire d'Air France restera sans doute comme un moment de grande frustration pour les parties civiles. Réparti sur deux jours, il ne renversera vraisemblablement pas les convictions de chacun. Et pour cause, Pascal Weil, ancien pilote, instructeur et DRH de la Direction générale des opérations aériennes qui représente la compagnie lors des audiences, s'est refusé à trancher entre une responsabilité d'Air France dans la chaîne causale de l'accident du vol Rio-Paris et une défaillance pure et simple de l'équipage.
Déjà interrogé cinq heures durant par les juges du tribunal correctionnel de Paris mercredi, Pascal Weil a été poussé dans ses retranchements par les questions des avocats des parties civiles ce jeudi. Et s'il s'est aventuré à un certain nombre de digressions, il ne s'est pas départi de la ligne de défense tracée par Air France depuis le début du procès, à savoir que la compagnie n'a pas commis de faute ayant un lien causal avec l'accident sans pour autant enfoncer les pilotes.
Choix cornélien pour l'ancien pilote
Comme souvent, les avocats de l'association de familles de victimes « Entraide et Solidarité AF447 » ont été parmi les plus vindicatifs dans leurs questions. Reconnaissant pour la première fois « qu'il y a indubitablement un facteur humain » dans les causes de l'accident alors que l'association rejetait jusque-là toute responsabilité des pilotes, Maître Alain Jakubowicz a posé Pascal Weil devant une alternative fermée : soit les « pilotes avaient été très mauvais et que s'ils avaient été bon, on ne serait pas là », soit « les pilotes se sont retrouvés en défaut à l'insu de leur plein gré », « qu'ils n'y pouvaient rien » et donc que la responsabilité « se reporte nécessairement vers leur entraînement » dispensé par Air France. Sommé de « faire un choix », l'ancien DRH s'en est tiré en proposant une troisième voie.
Au cours d'une longue réponse, jugée très politique, si ce n'est politicienne par l'avocat l'ayant questionné, Pascal Weil a expliqué qu'il ne pouvait réduire la question de la responsabilité à une telle. Pour lui, les pilotes ne sont pas « consubstantiellement mauvais » car ils ont été sélectionnés et formés, et formés qui plus en ligne avec les standards de l'industrie à l'époque « et même au-delà ».
Une troisième voie, celle du doute
Pour se sortir de cet écueil, le représentant d'Air France s'est astucieusement appuyé sur un élément érigé en point central du procès par la présidente du tribunal elle-même, à savoir le modèle qui « associe une réaction équipage à une panne ». En effet, la juge Sylvie Daunis ainsi que l'une de ses assesseurs ont plusieurs fois posé la question de savoir s'il était pertinent d'avoir fait reposer la résolution des incidents de perte d'indication de vitesse - dont la nature est matérielle comme dans le cas de l'AF447 avec le givrage des sondes Pitot - sur une procédure à appliquer par l'équipage et donc sur une action purement humaine. C'est d'ailleurs grâce à l'existence de cette procédure que le risque induit par une perte d'indication de vitesse a été classé comme « majeur » et non « critique ».
« Est-ce la bonne manière de faire que de conférer à un équipage un rôle quasiment mécanique, avec une réaction attendue, répétitive et totalement fiable pour faire face à une situation donnée ? N'est-ce pas un modèle qui fait fi des facteurs humains ? », a ainsi argumenté Pascal Weil. Il n'a pas non plus entièrement condamné le système aéronautique, déjà mis à mal à plusieurs reprises durant les procès, qui fait reposer la résolution d'un certain nombre de situations sur l'application de procédure, déclarant ainsi que « cette troisième voie était une voie du doute ». L'ancien pilote et instructeur a également rappelé que, selon lui, l'AF447 était avant tout un événement précis, certes grave, mais qui ne devait pas remettre en cause l'ensemble des progrès faits par la sécurité aérienne.
Un mystère persistant
Cette « voie du doute » est d'ailleurs intervenue à un autre moment dans sa défense, toujours sous le feu des questions de Maître Jakubowicz déterminé à savoir si Air France assumait une part de responsabilité dans les causes de l'accident ou si la compagnie estimait qu'il y avait une erreur de pilotage de la part de son équipage.
Face à ce dilemme, Pascal Weil - avant tout pilote et qui avait lui-même rappelé la veille son appartenance au Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) - a estimé qu'il ne savait tout simplement pas pourquoi l'équipage avait pris la décision d'appliquer de telles actions à cabrer après la perte des indications de vitesse. Celles-ci ont conduit à une prise d'altitude de près de 3.000 pieds (900 m), une perte d'un tiers de sa vitesse et un angle d'incidence de 16° en moins d'une minute, ce qui a eu pour conséquence de placer l'avion dans une situation de décrochage dont il ne sortira plus.
Pour le représentant d'Air France, les différents rapports d'expertise ainsi que les débats lors du procès, n'ont « pas fait émerger autre chose qu'une description pas très détaillée des actions de l'équipage ». Il juge donc - et par lui Air France - que « les raisons qui ont poussé l'équipage à agir tel qu'il a agi restent en grande partie mystérieuse. » Pascal Weil dit ainsi n'être « convaincu par aucune des différentes hypothèses » qui ont pu être exposées depuis quatre semaines, que ce soit la volonté des pilotes de récupérer l'écart (fictif) de 300 pieds (90 m) par rapport à leur altitude de croisière - l'altimètre est corrigé en fonction de la vitesse indiquée, ou bien de sortir de la couche nuageuse par le haut, ou encore de suivre les directeurs de vol qui indiquent de monter. De même, il conteste la notion « d'équipage déstructuré » mise en avant par le Bureau d'Enquêtes et d'Analyses (BEA) dans son rapport. Et en l'absence de conviction, Pascal Weil se refuse donc à trancher sur les causes de l'accident.
Connaissances limitées
Quant à la responsabilité d'Air France, l'ancien DRH des opérations aériennes a bien sûr plaidé l'absence de culpabilité de la compagnie, « récusant fermement » toute faute même simple. Pour lui, Air France disposait de standards de sécurité élevés, supérieurs à la réglementation, avec des pilotes formés et informés, soit les deux griefs portés contre Air France. Dans le détail, la compagnie doit répondre d'un manque de formation pour les pilotes pour faire face à ces situations, ainsi que d'un manque d'information des équipages suite à la multiplication d'occurrences similaires chez Air France et d'autres compagnies.
Si Pascal Weil reconnaît que tout n'avait pas été « parfaitement bien fait », il n'était pas possible à l'époque de savoir ce qui aurait pu être mieux fait pour prévenir la catastrophe. Il rappelle ainsi que les connaissances météorologiques des cristaux de glace en haute altitude étaient encore faibles, que les simulateurs étaient moins représentatifs qu'aujourd'hui sur les conditions de vol en haute altitude ou encore que la formation ne peut pas couvrir l'ensemble des événements potentiels mais se doit d'essayer de couvrir le plus de situations possibles en conférant des méthodes aux pilotes.
Enfin, il a affirmé à plusieurs reprises que les rapports d'incident rédigés par les pilotes (ASR) ne permettaient pas de juger de la dangerosité de la situation au vu de la maîtrise affichée par les équipages dans des cas similaires précédents.
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