Lufthansa vient de frapper un grand coup pour son redressement. Le groupe allemand a annoncé, le 12 novembre, avoir remboursé l'intégralité des sommes que lui avait versées l'Etat fédéral d'Allemagne pour lui permettre de surmonter l'effondrement du transport aérien en 2020. Le groupe retrouve donc sa liberté stratégique, notamment pour réaliser des opérations capitalistiques significatives, et reprend ses distances avec Air France-KLM.
Carsten Spohr, directeur général de Lufthansa, avait fait de ce remboursement une priorité dès la fin de l'année 2020. Il a donc tenu son plan de marche, même si le groupe allemand s'est plu à dire dans un communiqué que cela a été « beaucoup plus rapide que prévu ». Les aléas de la reprise du trafic, qui ne s'est concrétisée réellement que cet été, ou le maintien des restrictions de voyage vers les Etats-Unis (levée le 8 novembre) et l'Asie n'auront en tout cas pas perturbé cette opération.
En juin 2020, le groupe Lufthansa avait obtenu du gouvernement fédéral allemand, via le Fonds de stabilisation économique (ESF), un paquet d'aides et de prêts à hauteur de 9 milliards d'euros. Il n'en aura finalement utilisé que 3,8 milliards, annulant ainsi le reste à tirer. Ce montant inclut 306 millions d'euros investis par l'ESF dans le capital de Lufthansa, avec une prise de participation à hauteur de 20 %.
Près de 8 milliards d'euros levés depuis fin 2020
Pour rembourser l'Etat, Lufthansa s'est largement appuyé sur l'ouverture des marchés de capitaux avec plusieurs émissions d'obligations d'entreprise depuis fin 2020 : 1 milliard d'euros en novembre 2020 (plus 600 millions d'euros d'obligations convertibles), 1,6 milliard en février 2021, 1 milliard en juillet et finalement 1,5 milliard il y a quelques jours. Il faut y ajouter une augmentation de capital de 2,2 milliards d'euros en octobre, soit un total de près de 8 milliards d'euros levés en un an.
En dépit de la crise du transport aérien, le groupe allemand a donc su se montrer attractif sur les marchés et attirer des capitaux. Les mesures d'économies rapides ont contribué à cette attractivité dès fin 2020. Lufthansa revendique actuellement l'implémentation de réductions de coûts de l'ordre de 2,5 milliards d'euros annuels, dont la suppression de près de 30 000 postes. La bonne tenue du trafic cet été, avec une génération de cash, a aussi contribué à renforcer ses positions.
Cela lui permis de rembourser 1 milliard d'euros à la banque publique KfW dès février, puis une première tranche de 1,5 milliard à l'ESF en octobre et enfin 1 dernier milliard en novembre. Soit 3,5 milliards d'euros sur 3,8 milliards.
Certes, ce remboursement des aides étatiques ne permet pas au groupe de se désendetter, et le niveau de dette nette reste élevé. Il était de l'ordre de 9 milliards d'euros fin septembre. Mais, comme le note un analyste, ce transfert vers les marchés de capitaux permet à Lufthansa de disposer de taux bien plus abordables que ceux des supports étatiques. Ces derniers étaient de 4 % en 2020 et 2021, et devaient s'accroître par la suite.
La dernière étape du désengagement de l'Etat allemand sera la vente par l'ESF de la participation qu'il détient encore dans le capital de Lufthansa. Le fonds s'est déjà défait de 6 % en août et il a désormais jusqu'en octobre 2023 pour écouler les 14 % restants.
Nouvelles perspectives
Avec ce remboursement, Lufthansa s'affranchit également des contreparties exigées par l'Etat allemand et surtout la Commission européenne. Bruxelles interdisait ainsi au groupe toute opération capitalistique d'envergure tant qu'il n'avait pas remboursé 75 % des sommes étatiques perçues. Aucune opération n'est en vue à court terme, mais Carsten Spohr avait prévenu que les mouvements pourraient s'accélérer à partir de 2022, une fois la période « d'hibernation » passée. La remise en ligne d'importantes capacités l'an prochain va nécessiter pour les compagnies de brûler à nouveau du cash et donc ouvrir des opportunités.
Lufthansa pourra alors disposer des produits de ces éventuelles cessions pour réduire sa dette et préparer de nouveaux investissements. Le groupe allemand réfléchit actuellement à valoriser sa branche de maintenance Lufthansa Technik soit par une cession partielle à un investisseur financier ou industriel, soit par une cotation. La décision sera prise d'ici la fin de l'année, en vue d'une opération l'an prochain. Le groupe étudie également la cession de sa filiale de catering LSG et de sa plateforme de gestion de voyages d'affaires Airplus. Toujours selon un analyste, cela pourrait générer des rentrées de liquidités de l'ordre de deux à trois milliards d'euros l'an prochain.
Lufthansa reprend l'avantage sur Air France-KLM
Lufthansa remet donc de la distance avec Air France-KLM. Après avoir été tous deux dépendants des aides d'Etat pendant la crise, les deux groupes ne sont plus sur une marche d'égalité. Malgré un été positif, le groupe français n'a toujours pas remboursé les aides étatiques reçues et reste donc limité dans ses marges de manœuvre. Il s'est certes désendetté de 3 milliards d'euros depuis le début de l'année, mais cela tient essentiellement à l'augmentation de capital largement portée par l'Etat français et à la conversion du prêt direct de ce dernier en quasi-fonds propres perpétuels.
Alors que Lufthansa n'est plus dépendant de l'Etat allemand et se finance désormais entièrement sur les marchés, Air France-KLM va devoir passer par une nouvelle recapitalisation avant de pouvoir espérer faire de même.
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