Vols intérieurs : l'interdiction entre officiellement en vigueur mais ne change finalement rien

Mesure symbolique, militante, pour les uns, victoire écologique pour les autres. L'interdiction des vols intérieurs en cas d'alternative ferroviaire de moins de 2h30 est désormais officielle trois ans après que le principe ait été posé par la Convention citoyenne pour le Climat. Dans les faits, elle est déjà effective depuis 2020 et l'abandon des liaisons concernées par Air France.
Léo Barnier
Le gouvernement a déjà contraint Air France à fermer les liaisons concernées en mai 2020 en contrepartie d'un soutien financier, au moment de la crise du Covid. Il avait également interdit aux concurrents de les opérer.
Le gouvernement a déjà contraint Air France à fermer les liaisons concernées en mai 2020 en contrepartie d'un soutien financier, au moment de la crise du Covid. Il avait également interdit aux concurrents de les opérer. (Crédits : Reuters)

C'était la dernière pierre à l'édifice. Ce matin, Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports a annoncé la publication du décret d'application « mettant en œuvre l'interdiction des lignes aériennes quand il existe une alternative de moins de 2h30 en train ». Après un long cheminement institutionnel entre la France et l'Europe, cette mesure est désormais pleinement effective. Son entrée en vigueur condamne désormais officiellement les vols entre Paris-Orly et Bordeaux, Nantes et Lyon. De quoi se tresser des lauriers pour certains, quand d'autres poussent des cris d'orfraie en dépit de l'impact réel limité de cette mesure.

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Et pour cause, Air France, durement touchée par le Covid 19 et sous perfusion de l'Etat, avait anticipé l'interdiction et acté la suppression des liaisons entre Orly et Lyon, Nantes et Bordeaux, sachant que Nantes devait déjà s'arrêter avant la crise sanitaire. Le coup le plus dur est donc pour la capitale girondine, qui perd ses dix allers-retours quotidiens et 560.000 passagers annuels d'avant la crise.

Sans compter que les vols en correspondance sur Paris-CDG restent protégés grâce à un subtil montage législatif.

« Il s'agit là d'une étape essentielle et d'un symbole fort dans la politique de réduction des émissions des gaz à effet de serre. Cette mesure est une première mondiale qui s'inscrit pleinement dans la politique du Gouvernement d'encourager le recours à des modes de transport moins émetteurs de gaz à effet de serre », s'est néanmoins félicité Clément Beaune par voie de communiqué, suite à la parution du décret au Journal officiel du 23 mai. Conformément à un accord passé avec Bruxelles, celui-ci s'appliquera pour trois ans.

Parcours du combattant

Il aura fallu trois ans pour y arriver. Issue des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, présentées en 2020, cette mesure d'interdiction des vols domestiques, lorsqu'il est possible de réaliser le même trajet en train en moins de 2h30 plusieurs fois par jour, a été inscrite dans la loi Climat et résilience de 2021. Elle avait alors fait face à des levées de boucliers de la part des acteurs de l'aérien. Suite à la publication de la loi, une plainte avait, en effet, été déposée auprès de la Commission européenne par l'Union des aéroports français (UAF) et la branche européenne du Conseil international des aéroports (ACI Europe) en septembre 2021, puis par le Syndicat des compagnies aériennes autonomes (Scara).

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C'est n'est que fin 2022 que Bruxelles est parvenu à trouver un compromis avec Paris, soit plus d'un an plus tard. Après avoir émis des doutes sur la compatibilité du décret d'application français avec la législation européenne, la Commission a alors validé une nouvelle version qui pose trois conditions. Elle implique, en effet, que la liaison ferroviaire soit naturellement assurée dans les deux sens dans le temps imparti « entre des gares desservant les mêmes villes que les aéroports respectivement concernés ». Les conditions suivantes établissent que la liaison ferroviaire doit être « sans changement de train entre ces gares, plusieurs fois par jour et avec un service satisfaisant ». En somme, « les fréquences doivent être suffisantes et les horaires appropriés ». Enfin, elle doit permettre « plus de huit heures de présence sur place dans la journée, tout au long de l'année », ce qui nécessite donc des départs matinaux et des retours en soirée.

Le texte introduit, en outre, une subtilité aux conséquences majeures : dans le cas où l'aéroport est directement desservi par une gare TGV, c'est cette gare qui sera prise en compte dans le calcul sous prétexte d'intermodalité. Ce qui réduit considérablement les possibilités d'alternative ferroviaire suffisante en moins de 2h30. Dans les faits, cela permet avant tout de protéger le trafic en correspondance des deux hubs d'Air France à Paris-CDG et Lyon-Saint-Exupéry. Ce qui était aussi souhaité par Paris. En effet, il n'était pas question de fragiliser les bastions d'Air France, à commencer par Roissy.

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Des doutes sur l'efficacité

Reste à connaître les effets réels d'une telle mesure pour lutter contre le réchauffement climatique, que ses opposants jugent avant tout symbolique. Selon les calculs fournis par Paris à la Commission européenne, la fermeture des liaisons Orly-Bordeaux, Orly-Lyon et Orly-Nantes « aboutit à une diminution totale des émissions de CO2 dues au transport aérien de 55.000 tonnes » par an sur la base du trafic de 2019. Si Air France a déjà supprimé les lignes concernées depuis 2020, en contrepartie des aides d'Etat reçues pendant la crise sanitaire, ce décret va empêcher des concurrents de s'engouffrer dans la brèche. Ce qu'aucun d'entre eux n'a fait jusqu'ici.

Dans leurs plaintes respectives, l'UAF, l'ACI Europe et le Scara avaient ainsi dénoncé l'absence d'étude d'impact suffisamment conséquente. Selon les calculs avancés par les deux associations aéroportuaires, les lignes concernées ne représentent que 0,24 % des émissions de CO2 du transport aérien intérieur français, soit 0,04 % des émissions des transports en France. Les supprimer « n'a pas grand sens » dénonçait l'an dernier Olivier Jankovec, directeur général de l'ACI Europe, qui rappelait alors que la loi Climat et résilience impose de compenser les émissions de CO2 des vols domestiques à hauteur de 50% en 2022 et 100% en 2024.

Il faudra sans doute encore attendre pour avoir le fin mot de l'histoire. Bruxelles a en effet imposé que la mesure soit soumise à une évaluation de la part du ministère au bout de 24 mois et que celle-ci lui soit transmise. De ces résultats dépendra probablement la prorogation du décret au-delà des trois années initiales.

Léo Barnier

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Commentaires 6
à écrit le 23/05/2023 à 17:48
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Si les écolos sont honnêtes dans leur conviction, alors ils seront d'accord avec ceci : Si l'avion court courrier 100% électrique sort, ils soutiendrons l'interdiction de voies ferrées zébrant nos territoires dès lors qu'une offre aérienne 100% élec...

le 25/05/2023 à 9:23
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Hâte de voir la sortie de l'avion 100% électrique alors !

le 25/05/2023 à 14:24
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Non car il n'y a pas que le carburant utilisé n'est pas la seule nuisance de l'aviation...

à écrit le 23/05/2023 à 16:36
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Les verts et Bruxelles commencent à nous les briser menu.

le 25/05/2023 à 16:08
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Et quand il fera 50 degrés dans la moitié de la France, vous vous plaindrez de qui ?

à écrit le 23/05/2023 à 15:50
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Plus les déplacement sont rapides moins on hésite à les prendre, alors qu'il faut les bannir parce qu'inutiles ! ;-)

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