
« La Bretagne regorge de vie, elle est active et veut rester active. Elle pourrait choisir de s'enfermer et de ne produire que pour elle-même ; mais c'est une région ouverte sur le monde et sur l'Europe qui souhaite participer aux enjeux de souveraineté. Nous avons besoin des entrepreneurs pour continuer à la développer ».
Vendredi 23 juin à Rennes, lors de l'escale bretonne de la tournée Transformons la France organisée par La Tribune, Loïg Chesnais-Girard, le président de la Région Bretagne s'est montré optimiste quant à la capacité de sa région à concilier une stratégie de l'équilibre fondée sur la devise « plus d'emplois et moins de carbone ».
Interrogé lors d'un dialogue d'ouverture consacré à la stratégie de la Bretagne pour la transformation économique, l'élu ne s'est pas montré abattu par l'électrochoc qu'a provoqué il y a quelques semaines dans les milieux économiques l'abandon du projet d'usine Bridor à Liffré, sur fond d'opposition écologique.
Moins de bras que de dossiers d'implantation d'usines
« J'étais allé le chercher avec les dents ce dossier, un échec sept ans après, ce n'est pas agréable » reconnaît Loïg Chesnais-Girard. « En même temps, cela nous enseigne beaucoup sur la manière de piloter un dossier. Cette usine aurait consommé trois fois moins d'eau que la même il y a quinze ans, installé des emplois sur un territoire et une activité utilisant des produits agricoles français. Il y a des centaines de dossiers d'industries agroalimentaires en Bretagne. La région présente une dynamique qui est extraordinaire, il nous manque plus de bras que de dossiers » assure l'élu.
Avec un taux de chômage de 5,8 %, le plus faible des régions françaises, avec les Pays de la Loire, et très en deçà du taux national de 7,2%, la Bretagne se porte en effet plutôt bien. En 2022, l'activité économique est restée « dynamique » note l'Insee Bretagne. Première région française agricole, agroalimentaire et de pêche, elle est également dotée d'un tissu industriel diversifié dans des secteurs comme la métallurgie, l'électronique, le maritime/naval ou l'énergie. Et elle se positionne aussi en pole position en matière de R&D dans le numérique, les biotechnologies marines et la cybersécurité.
Si l'attractivité touristique fait partie de ses atouts économiques, la Bretagne n'entend toutefois pas « devenir une riviera ou une maison de retraite » pour des parisiens en mal de mer, et souhaite répondre aux enjeux de souveraineté française et européenne dans les secteurs industriels clés.
« Assumer les transitions sans détruire le modèle »
« La Bretagne est une région qui assume déjà plus que sa part dans la souveraineté, en matière de défense nationale, de construction et de réparation navale » relève Loïg Chesnais-Girard.
« Elle est aussi leader dans la souveraineté alimentaire. Son chemin est d'assumer les transitions, de décarboner sans détruire le modèle. Je ne peux pas dire aux pêcheurs, on va fermer pendant un an ou deux, on va inventer un nouveau modèle puis on va rouvrir. C'est pareil pour la transformation du modèle agri-agro. Si l'Amérique du Sud décide de ne plus vendre de soja en Europe, en 5-6 jours on n'a plus de quoi nourrir le cheptel. Tout cela ne se fait pas du jour au lendemain » ajoute-t-il, défendant un rôle de « manager de l'équilibre »
Comme l'a rappelé Youenn Lohéac, professeur associé en économie à Rennes School of Business, « sur la question de souveraineté, il faut trouver les bons arbitrages, entre le choix de nourrir le monde et d'avoir une spécialisation ou celui d'être autonome, diversifié dans une vision moins productiviste » donc plus écologique.
« On est tendu entre les deux. La Bretagne est forte en technologie, forte en termes de développement économique et intellectuel, on a des réseaux puissants (pôles de compétitivité, réseau Produit en Bretagne), tous vont dans ce sens d'associer les deux. Cela renvoie au fait que chacun doit pouvoir s'adapter. La difficulté stratégique, c'est de trouver cette agilité pour rebondir. Si en Bretagne, on n'a pas eu de grand crash industriel, c'est grâce à cette souplesse qui existe sur le territoire » souligne l'enseignant.
Plan cyber en trois volets
Autre souveraineté, à l'échelon européen, dans laquelle la Bretagne se démarque : le numérique et la filière cyber. Alors qu'Orange a fêté ses 60 ans d'implantation à Lannion, fief des télécoms, la cyber valley bretonne représente plusieurs milliers d'emplois, de Brest à Rennes.
Loïg Chesnais-Girard a confirmé l'annonce cet été d'un plan cyber en trois volets pour développer la formation, l'innovation duale civile et militaire, le rayonnement et l'accompagnement des entreprises.
« Qu'il s'agisse d'énergie, d'alimentation ou de cyber, il faut trouver les ressources, recruter les talents. Notre politique est d'accompagner la formation, ouvrir des BTS, des masters, on y travaille. De même qu'il faut faire rayonner la cyber, au-delà du marché rennais qui est saturé » détaille le patron de la région.
En matière d'enseignement, Youenn Lohéac confirme que les bonnes écoles bretonnes, les universités développent des filières et formant des jeunes, bretons et européens, dont l'expérience revient, par la suite, alimenter les entreprises. « On revient sur nos territoires pour des attaches familiales mais aussi car c'est un territoire agréable et qui soutient ces populations » assure le professeur.
La qualité de vie est un thème cher à la Bretagne, mais qui de plus en plus se confronte à la question du logement.
Manque de foncier et « vrai sujet » social sur le logement
La chute de la construction de logements publics provoque une surchauffe des prix et une pénurie de 6 à 7.000 logements par an, notamment dans les zones tenues des métropoles et du littoral.
« C'est la répercussion d'une politique » analyse Loïg Chesnais-Girard. « Soit l'État gère tout avec ses bras musclés depuis Paris et l'on voit ce que cela donne, soit il nous donne la main avec les euros qui vont avec la capacité de décider, y compris sur les décrets et arrêtés, pour savoir comment on pilote nos territoires. Alors on trouvera des solutions. Là, on frôle les tensions sociales dans un certains nombres de territoires Si la solution, c'est encore de déverser de l'argent depuis Bercy en espérant, qu'en cascade, ça arrive jusqu'à Paimpol, Douarnenez ou Concarneau, et bien bon courage » s'agace-t-il.
Sur le plan foncier, la Bretagne est la région de France qui consomme le plus de terres agricoles par milliers d'habitants. Il lui reste 9.000 hectares à utiliser d'ici à 2031. L'objectif régional est donc de « diviser par deux » cette consommation tout en continuant le développement, l'accueil de l'industrie et des nouveaux habitants.
Et tout en répartissant ces hectares entre des territoires en hyper croissance (Rennes, Lorient-Vannes, Brest) et le centre Bretagne (pays de Fougères, Concarneau).
« C'est très compliqué » assure le président de région. « Soit on voit ce plan comme un horrible objectif commun et on va tous souffrir, soit on le prend avec optimisme et on va inventer des solutions. Il y a trois millions de poulaillers abandonnés en Bretagne, il y a aussi des friches dans nos industries et dans nos villes. Il y a plein de choses à bâtir » ajoute-t-il. Pour Loïg Chesnais-Girard, l'intégration des contraintes, naturelle, environnementale, humaine, dans le modèle doit passer par un pacte social.
Donner la main aux territoires
Pour « entraîner positivement » la population, soulever les énergies, le président de la Région Bretagne estime que « s'il n'y pas de démocratie, il n'y pas de souveraineté ».
« C'est la ligne de la Bretagne, celle que je conduis au quotidien. Il faut en finir avec le Paris-Lyon-Marseille et la règle du 80/20 comme dans les entreprises lorsque j'étais commercial, Le 80/20 depuis Paris, c'est penser qu'on a réglé le problème en transports, en logements en sujets de sécurité sur un seul axe, et plus le reste c'est pffuit ! Donc il faut donner la main aux territoires. C'est un sujet de sécurité et de salubrité démocratique. »
Afin d'inciter les entreprises à continuer d'investir en Bretagne, Loïg Chesnais-Girard a souhaité, vendredi, tracer un chemin « piloté par l'enthousiasme » et construit sur « un projet de société », garant de cohésion sociale. Seule manière selon lui de permettre à « nos enfants de garder la maîtrise des choses dans un monde en plein chaos ».
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