Marrakech, Bonn, Katowice, Madrid... et maintenant Glasgow. La vingt-sixième conférence climat des Nations-Unies, décalée d'un an du fait de la crise sanitaire, démarrera ce dimanche dans la métropole écossaise, et se tiendra jusqu'au 12 novembre. C'est peu dire qu'elle concentre les espoirs autour de la conclusion un nouvel accord global ambitieux. Et pour cause, son enjeu est existentiel : sauver le monde, ou « condamner l'humanité à un avenir infernal », a alerté il y a quelques jours le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres. Mais alors que ni Vladimir Poutine, ni Xi Jinping n'ont répondu présents, la partie semble loin d'être gagnée. D'autant que le contexte international, excité par la crise de l'énergie et les tensions sino-américaines, ne facilitera pas la tâche aux négociateurs. Jusqu'à nourrir de nombreuses craintes sur un échec probable - son hôte, le premier ministre britannique Boris Johnson s'étant lui-même déclaré « très inquiet » quant à l'issue des pourparlers.
Il faut dire que depuis le retentissant accord de Paris signé en 2015 lors de la COP21, ces rencontres en grande pompe sonnent plutôt comme une succession de promesses non tenues. Après l'échec du protocole de Kyoto de 1997, les cartes avaient pourtant été rebattues à Paris. Presque 200 pays s'étaient engagés à maintenir les températures en-dessous de 2°C, si possible de 1,5°C, d'ici à la fin du siècle par rapport à l'ère pré-industrielle, et à atteindre la neutralité carbone à mi-chemin. Une avancée diplomatique majeure, signe que les Etats pouvaient voir loin et agir de concert afin de répondre à l'urgence environnementale. Et six ans plus tard, force est de constater que le monde a bien infléchi ses émissions de gaz à effet de serre, avec une baisse de 7% de celles-ci en 2020.
Ultime chance pour agir
Mais la préservation du climat n'est pas entrée dans l'équation : après le plus dur de l'épidémie de Covid-19, la courbe est repartie à la hausse, pour atteindre en 2021 son niveau d'avant-crise. Aucun réel tournant n'a été opéré : en tout, les plans de relance n'ont fléché que 3% des investissements vers les énergies bas carbone, a fait savoir jeudi l'Agence Internationale de l'Energie (AIE). « La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent », disait Albert Enstein. A Paris, le résultat souhaité était clair... les moyens beaucoup moins.
« Il y a eu un avant et un après d'un point de vue prise de conscience, avec une résonance énorme. Mais rien en termes de trajectoire d'émissions de CO2 dans l'atmosphère. Cela reste une simple déclaration d'intention », analyse Emmanuel Fages, consultant Energie et Environnement chez Roland Berger.
Sans surprise donc, depuis cette COP21 saluée comme une victoire pour le climat, les prévisions se sont encore assombries, et les effets du dérèglement se font déjà sentir. Publié au creux de l'été, entre incendies géants et autres pluies diluviennes, le dernier rapport du groupe d'experts climat de l'ONU (GIEC) table désormais sur une augmentation de 1,5°C des températures dès la fin de la décennie actuelle. Alors que chaque degré de plus apportera son lot de catastrophes pour « toutes les régions du monde », il appelle à réduire « immédiatement », « drastiquement », et « à grande échelle » les émissions de gaz à effet de serre... sans quoi, l'objectif sera définitivement « hors de portée ». Le dernier Emissions Gap Report de l'ONU, présenté mardi, n'est guère plus rassurant : « l'objectif 1,5°C » en 2100 ne peut désormais plus être atteint qu'au prix d'une division par deux en huit ans des émissions mondiales de gaz à effet de serre, fait-il valoir. Un avertissement qui sonne plus que jamais comme un ultime appel à l'action, dernière chance à saisir avant qu'il ne soit trop tard.
Mise à plat des actions
A cet égard, la COP26 représente une opportunité cruciale pour les pays d'accroître leurs ambitions en la matière, bien plus que lors des quatre réunions précédentes. Et pour cause, la COP21 a mis en place une dynamique inédite, même si elle n'est pas contraignante : l'accord de Paris s'est construit en cycles successifs de cinq ans, au moment desquels les Etats sont sommés de remettre à plat leurs actions, afin de les rehausser progressivement... jusqu'à parvenir à une trajectoire souhaitable. La première échéance arrivant, chacun devait remettre à l'ONU avant la fin de l'été sa contribution déterminée au niveau national (CDN), décrivant les efforts prévus à son échelle. Et ce, afin d'entrer dans un deuxième cycle plus vertueux.
Mais pour l'heure, le coup de fouet tant attendu se fait attendre : seules 145 ont été soumises sur les 191 signataires, dont plusieurs retardataires. Attendue au tournant, l'Australie, plus gros exportateur mondial de charbon, s'y est pliée jeudi. Suivie par la Chine, premier émetteur mondial de gaz à effet de serre. Mais l'Inde n'a elle toujours pas publié de nouvelle CDN à ce jour. Surtout, même les CDN soumises à temps restent très loin du compte, y compris pour les Etats qui se sont engagés à la neutralité carbone d'ici à 2050 ou 2060. Selon une estimation de Climate Watch, 64 pays ont présenté un plan égal ou inférieur au précédent en termes d'ambition par rapport à celles de 2015, parmi lesquels le Mexique ou le Brésil.
« Il y a des grandes déclarations politiques, mais on voit que cela devient complexe dès qu'il s'agit de soumettre de réelles propositions », commente Emmanuel Fages.
Résultat, selon l'ONU : en prenant en compte le total des CDN, rehaussées ou non, les émissions devraient quand même augmenter de 16% en 2030, alors qu'il faudrait les réduire de 40% d'ici à la moitié du siècle pour rester sous les +1,5°C. Ainsi, en l'état des engagements actuels (si ceux-ci étaient bien honorés) le monde se dirigerait vers un réchauffement « catastrophique » entre +2,7°C et +3°C. Un élément clé de cette COP sera donc de combler le fossé, pour mettre à la hauteur les CDN actuelles, avant un bilan global prévu d'ici à 2023.
La question brûlante des crédits carbone
Pour verdir ce bilan, des points techniques devront également être résolus. Glasgow devra notamment servir à relancer les discussions visant à instaurer ou non l'échange de crédits carbone entre pays, pour que ces derniers atteignent plus facilement leurs objectifs - et donc, in fine, qu'ils puissent les rehausser lors du prochain cycle. Ce mécanisme, au coeur de l'accord de Paris mais remis à plus tard, est complexe. Concrètement, il consiste à permettre à un pays "A" d'acheter un crédit d'émission à un pays "B" dans lequel il construirait, par exemple, un parc éolien en remplacement d'une centrale à charbon. Ainsi, le pays "B" bénéficierait d'une énergie plus propre, et le pays "A" pourrait utiliser ce crédit correspondant aux émissions évitées, afin de compenser sa propre pollution en l'incluant dans la trajectoire vers sa CDN. L'objectif : débloquer des financements pour les énergies bas carbone aux Etats qui en manquent, et réduire le coût de la réduction des émissions pour ceux qui investissent.
Mais un accord à tout prix pourrait conduire les signataires à mettre en place des règles peu exigeantes, conduisant pays et entreprises à se soustraire à la réduction de leurs propres émissions, en se contentant de les compenser. Surtout, il ferait naître le risque d'un double-comptage, à la fois par les pays "A" et "B".
« Eviter ce biais implique des chaînes de déclarations et de vérifications très robustes. Certains pays le refusent, d'autres ne peuvent tout simplement pas le faire », avance Emmanuel Fages.
Conscient de ces problématiques, Alok Sharma, président de la COP26, a promis de résoudre ce blocage et de se mettre d'accord sur un règlement pour l'échange international de droit d'émission. Mais plus qu'un accord global, cela pourrait se traduire par des accords multilatéraux voire bilatéraux sur le commerce du carbone.
Des promesses non tenues sur l'aide aux pays du Sud
Un autre sujet promet d'être explosif : celui sur la solidarité entre le Nord, historiquement responsable du dérèglement, et le Sud, en première ligne face à ses effets. Car une énième promesse n'a pas été tenue. En 2009, les pays riches s'étaient en effet engagés à porter à 100 milliards de dollars par an (86,25 milliards d'euros) d'ici à 2020 l'aide aux autres Etats pour lutter contre le changement climatique, mais aussi s'adapter aux impacts à venir. En 2019, seuls 79,6 milliards avaient été effectivement rassemblés. Et malgré l'absence de données suffisantes pour l'instant, il semble très improbable que les 20 milliards manquants aient été trouvés en 2020. « L'objectif a presque certainement été manqué », a admis cette semaine le président de la COP26, Alok Sharma. Un « terrible coup pour le monde en développement », a dénoncé le président de l'alliance des petits Etats insulaires (AOSIS), Walton Webson. Dans ce contexte tendu, le but serait d'ouvrir la discussion à Glasgow pour aller au-delà des premières ambitions, et passer à 200 à 300 milliards annuels.
A cet égard, les regards seront rivés vers la réunion du G20, qui s'ouvre aujourd'hui à Rome. Car le sujet devrait imprégner la rencontre des dirigeants des pays les plus riches, qui concentrent 80% des émissions de gaz à effet de serre. D'autres obstacles majeurs sur la route de la neutralité carbone devraient être abordés, le G20 restant divisé sur des questions essentielles telles que la sortie progressive du charbon et la limitation du réchauffement climatique à +1,5°C. De quoi donner un avant-goût de la COP26.
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