Ce n'est pas la première fois qu'il tire la sonnette d'alarme, mais cet avertissement sonne plus que jamais comme un ultime appel à l'action, dernière chance à saisir avant qu'il ne soit trop tard. Car l'actualisation des connaissances sur la science du climat par le GIEC (Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat), publiée ce lundi à 10 heures, étaye encore les prévisions désastreuses sur un dérèglement climatique aux conséquences désormais imminentes. Et envoie un message clair à l'humanité, à moins de trois mois de la COP26 à Glasgow : afin de respecter l'accord de Paris et limiter le réchauffement « bien en-deçà » de +2°C, si possible +1,5°C, d'ici à la fin du siècle par rapport à l'ère pré-industrielle, une seule réponse est possible. Celle de réduire immédiatement, drastiquement, et à grande échelle les émissions anthropiques de gaz à effet de serre - sans quoi, l'objectif sera définitivement hors de portée. Et ce, alors même que chaque fraction de degré supplémentaire « aura des effets clairs » pour « toutes les régions du monde ».
De fait, les impacts se font déjà sentir. En témoigne le contexte catastrophique dans lequel tombe ce nouveau rapport, marqué par une succession d'événements extrêmes - des incendies géants en Grèce et en Californie aux pluies diluviennes en Allemagne ou en Chine.
« Le changement climatique induit par l'homme affecte déjà de nombreux phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes dans toutes les régions du monde. Les preuves des changements observés dans les extrêmes tels que les vagues de chaleur, les fortes précipitations, les sécheresses et les cyclones tropicaux, et, en particulier, leur attribution à l'influence humaine, se sont renforcées depuis AR5 [le dernier rapport du GIEC publié en 2014, Ndlr] », soulignent ainsi les auteurs du document.
La faute, affirment-ils, au réchauffement du climat, alors que celui-ci a déjà gagné 1,1°C en moyenne sur la dernière décennie par rapport à 1850-1900. Car les observations ne laissent plus de place au doute : « Chacune des quatre dernières décennies a été successivement plus chaude que toutes les décennies qui l'ont précédée depuis 1850 », « la température de surface mondiale a augmenté plus rapidement depuis 1970 qu'au cours de toute autre période de 50 ans au cours des 2.000 dernières années au moins » et « en 2019, les concentrations atmosphériques de CO2 étaient plus élevées qu'à tout autre moment depuis au moins 2 millions d'années », rapportent les scientifiques du GIEC.
À cause des effets systémiques, chaque fraction de degré compte
Surtout, la situation ne va pas aller en s'arrangeant : indépendamment des émissions futures, la température de la surface mondiale « continuera d'augmenter au moins jusqu'au milieu du siècle », notent les auteurs. « En moyenne, le niveau de réchauffement va atteindre ou dépasser les +1,5°C sur le court terme, entre 2021 et 2040 », précise Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et coprésidente du groupe 1 du GIEC depuis 2015. Et même à +1,5°C, prévient le GIEC, les canicules, inondations et autres événements extrêmes vont augmenter de manière « sans précédent » en termes d'ampleur, de fréquence, d'époque de l'année où elles frapperont et de zones touchées.
Mais si cette hausse du mercure est inévitable, son niveau sera déterminant : chaque 0,5°C supplémentaire provoquera des augmentations « clairement perceptibles » de l' « intensité et de la fréquence » des événements extrêmes - vagues de chaleur, précipitations et sècheresses.
Concernant les pluies torrentielles, par exemple, « pour chaque degré de plus, la quantité de pluie supplémentaire augmentera d'environ 7% », explique la climatologue française. Même chose pour les sècheresses : tandis que leur durée moyenne autour de la Méditerranée s'élève à 40 jours par an environ (soit 50% de plus par rapport au 20e siècle), ce chiffre sera porté à 60 jours dans un monde à +1,5°C, et à 70 jours si les +2°C étaient atteints. Par ailleurs, au-delà des événements extrêmes, le degré de hausse des températures déterminera l'évolution de composantes lentes, comme la montée du niveau de la mer, qui a progressé « plus rapidement depuis 1900 qu'au cours de tout autre siècle précédent au cours des 3.000 dernières années au moins » - à cause notamment de la fonte des glaces. Au cours des 2.000 prochaines années, le niveau moyen mondial de la mer devrait ainsi augmenter d'environ 2 à 3 mètres si le réchauffement est limité à +1,5 °C, de 2 m à 6 mètres s'il est limité à +2 °C et de 19 à 22 mètres avec un réchauffement de +5 °C.
Réduction drastique, soutenue, et extrêmement rapide
Bonne nouvelle : l'homme peut encore agir sur le niveau de hausse des températures, et ainsi limiter le dérèglement et ses conséquences. En cas d'émissions de gaz à effet de serre faibles dès aujourd'hui, « un réchauffement global de +2°C est peu susceptible d'être dépassé », avancent les scientifiques. Concrètement, un tel scénario conduirait à des effets « perceptibles en quelques années » sur les concentrations de gaz à effet de serre et d'aérosols, et sur la qualité de l'air, « par rapport aux scénarios d'émissions de GES élevées et très élevées ».
« D'un point de vue purement physique, même si c'est impossible en pratique, en arrivant à net zéro d'émissions aujourd'hui, on pourrait stabiliser l'augmentation de la température à peu près au niveau où il est actuellement. Mais un scénario de réduction drastique, soutenue et extrêmement rapide des émissions permettrait tout de même d'arriver à seulement quelques dixièmes de degrés de réchauffement en plus d'ici à 2100 », fait valoir Sophie Szopa, co-autrice et chercheuse en chimie de l'atmosphère.
En plus des émissions de dioxyde de carbone (CO2), le rapport s'attarde sur le méthane (CH4), deuxième contributeur au dérèglement climatique - un gaz moins concentré que le CO2 mais au pouvoir réchauffant 25 fois plus puissant. Car, contrairement au dioxyde de carbone, qui, une fois dégagé dans l'atmosphère, y reste pendant des centaines voire des milliers d'années, le méthane a une courte durée de vie. « Si on abaisse drastiquement ses émissions, on peut espérer faire baisser ses concentrations, et ainsi limiter l'effet du réchauffement et améliorer la qualité de l'air », affirme Sophie Szopa.
Certains changements déjà irréversibles, d'autres imprévisibles
Reste que certains changements sont déjà considérés comme irréversibles, peu importe l'action humaine. Acidification des océans, fontes des calottes glaciaires et montée de la mer : pour plusieurs composantes, le train est lancé pour au moins des siècles, voire des millénaires.
« Les glaciers de montagne et polaires sont déterminés à continuer de fondre pendant des décennies ou des siècles », « la perte de carbone après le dégel du permafrost est irréversible à des échelles de temps centenaires » et « le niveau de la mer est déterminé à augmenter », précise le rapport.
Et les conséquences sur le long terme sont difficiles à appréhender. Des résultats à faible probabilité, tels que l'effondrement de la calotte glaciaire, des changements brusques de la circulation océanique, certains événements extrêmes composés et un réchauffement nettement plus important que la plage très probable évaluée de réchauffement futur font partie de l'évaluation des risques.
« Une instabilité des calottes de glace peut survenir dans un scénario d'émissions élevées, et aurait des effets importants sur le niveau de la mer. Mais il est très difficile de l'établir aujourd'hui », avance Gerhard Krinner, directeur de recherche au CNRS et auteur principal du chapitre sur l'océan, la cryosphère et le changement du niveau de la mer.
Par ailleurs, le GIEC n'exclut pas la possibilité d'un réchauffement plus fort que prévu, entraînant des « réactions brutales » et des « points de basculement » du système climatique. D'autant que des événements naturels imprévisibles et rares non liés à l'influence humaine sur le climat peuvent toujours arriver, comme une séquence de grandes éruptions volcaniques explosives, provoquant d'importantes perturbations climatiques mondiales et régionales sur plusieurs décennies.
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