« La loi climat oublie l'eau » (Fédération professionnelle des entreprises de l'eau)

ENTRETIEN. Les Français ont bien conscience du lien entre changement climatique et perturbations du cycle de l'eau. Pourtant, la loi « Climat et résilience » oublie cet enjeu, dénoncent les professionnels du secteur.
Nous sommes convaincus que la loi climat est le contexte idéal pour des mesures favorisant la contribution du secteur de l'eau et de l'assainissement à la lutte contre le changement climatique et à l'adaptation à ses effets. Ce serait dommage de ne pas y prévoir des dispositions satisfaisantes pour les acteurs de l'eau, plaide la fédération qui les réunit.
"Nous sommes convaincus que la loi climat est le contexte idéal pour des mesures favorisant la contribution du secteur de l'eau et de l'assainissement à la lutte contre le changement climatique et à l'adaptation à ses effets. Ce serait dommage de ne pas y prévoir des dispositions satisfaisantes pour les acteurs de l'eau", plaide la fédération qui les réunit. (Crédits : Pixabay / CC)

Malgré la grande variété de sujets abordés par le projet de loi "Climat et résilience", inspiré par les propositions de la Convention citoyenne sur le climat et en cours d'examen au Parlement, la protection de la ressource en eau n'y figure pas. Il s'agit pourtant d'un élément essentiel de la lutte contre le changement climatique, et de l'adaptation à ses effets. La Fédération professionnelle des entreprises de l'eau (FP2E), qui dénonce cet oubli, réclame des mesures permettant aux acteurs du secteur de verdir leurs activités et de jouer pleinement son rôle. Son délégué général, Tristan Mathieu, explique à La Tribune comment les parlementaires pourraient améliorer le texte.

LA TRIBUNE - Vous déplorez que le projet de loi "Climat et résilience" néglige l'enjeu de l'eau, pourtant étroitement lié au changement climatique. Comment expliquez-vous cette absence?

TRISTAN MATHIEU, délégué général de la FP2E - Le processus législatif, original et intéressant, qui est à l'origine du projet de loi "Climat et résilience" y a sans doute contribué. L'objectif du texte est en effet de mettre en oeuvre, au moins partiellement, les propositions de la Convention citoyenne sur le climat. Or, ces dernières négligeaient déjà l'enjeu de l'eau. N'ayant pas été associés à l'exercice, nous n'en connaissons pas vraiment la raison. Peut-être que les Assises de l'eau ayant déjà eu lieu sous le mandat d'Emmanuel Macron, les organisateurs ont estimé que le sujet avait déjà été traité.

Nous sommes néanmoins surpris par cette absence car le baromètre 2020 du Centre d'information sur l'eau montre à quel point les Français sont conscients du lien entre le changement climatique et les perturbations du cycle de l'eau : au moins huit sur dix Français considèrent que le réchauffement influe sur le manque d'eau, la sécheresse, les inondations, l'augmentation du niveau de la mer et la dégradation de la qualité des ressources en eau. Il s'agit en effet de désordres qui non seulement constituent un important marqueur du changement climatique, mais qui sont aussi fortement ressentis au niveau local par la population.

Quelles mesures la loi climat devrait-elle prévoir en matière d'eau ?

Nous considérons qu'un levier fondamental est l'amélioration de la commande publique. Les propositions de la Convention citoyenne et le projet de loi prévoient d'ailleurs déjà de renforcer la prise en compte et le suivi du respect des critères environnementaux dans les marchés publics. Mais nous proposons d'aller plus loin, en étendant cette exigence aussi au deuxième type de contrats publics : les concessions de services publiques. Puisque ces concessions durent en moyenne une dizaine d'années, l'impact de clauses environnementales serait très important. Et elles permettraient aux collectivités locales de définir leurs critères environnementaux en fonction des exigences de leurs territoires. Ces dernières pourraient par exemple exiger que les entreprises concessionnaires soient capables de mesurer leurs émissions de CO2 et s'engagent à les réduire - comme on le fait déjà aujourd'hui en matière de prélèvements d'eau et de rendement des réseaux -, qu'elles mènent des campagnes de sensibilisation aux économies d'eau etc.

Avec l'association de collectivités territoriales Amorce, nous demandons également que la redevance pour pollution diffuse, aujourd'hui perçue par les agences de l'eau sur la vente de produits phytosanitaires, soit étendue aux micropolluants. Nous proposons notamment que le gouvernement remette au Parlement un rapport pour évaluer le financement d'un tel élargissement. Nous alertons enfin sur le risque que les articles de la loi climat visant à étendre à la pollution des sols et de l'air le délit existant en matière de pollution des eaux finissent par affaiblir la protection de l'eau, en exigeant des "atteintes susceptibles de durer au moins dix ans" difficiles à caractériser dans ce domaine.

Globalement, contrairement à de nombreux industriels, vous demandez donc un renforcement des contraintes...

Oui, nous demandons une loi climat avec plus d'impact. Ceci est cohérent avec notre rôle de gestionnaires des services publics, ainsi qu'avec notre capacité à aider les autres industriels à répondre aux attentes croissantes de protection de l'environnement.

Les parlementaires se sont-ils montrés ouverts à vos demandes ? Les amendements déposés les prennent-ils en compte ?

Oui. Ils comprennent bien la nécessité que les territoires limitent leur impact sur le changement climatique et s'y adaptent, ainsi que le caractère essentiel de l'enjeu de l'eau y compris pour le développement économique. Plusieurs amendements ont d'ailleurs été déposés afin de renforcer le verdissement de la commande publique. Ils ont reçu un avis positif du gouvernement comme du rapporteur de la commission spéciale chargée de préparer le texte pour les débats à l'Assemblée nationale.

Quelles forces politiques sont les plus sensibles à vos demandes ?

Nous constatons une sensibilité assez transversale sur ces sujets, dans les divers courants politiques comme dans la société. Même l'opposition traditionnelle entre gestion de l'eau en régie publique ou par des concessionnaires privées semble dépassée face à ces enjeux: on comprend désormais aisément que des entreprises privées jouent aussi un rôle important dans la lutte contre le changement climatique. Nos propositions sont toutefois sans doute plus proches d'une vision conciliant une limitation de l'impact des activités humaines et le recours à l'innovation, que d'une approche prônant un retour à un état antérieur de la société.

Êtes-vous donc plutôt optimiste sur l'aboutissement de vos revendications?

Oui, car nous sommes convaincus que la loi climat est le contexte idéal pour des mesures favorisant la contribution du secteur de l'eau et de l'assainissement à la lutte contre le changement climatique et à l'adaptation de ses effets. Ce serait dommage de ne pas y prévoir des dispositions satisfaisantes pour les acteurs de l'eau. Mais nous comptons aussi sur d'autres textes à venir, comme sur le projet de loi dit "4D" (décentralisation, différenciation, déconcentration, décomplexification, NDLR).

Qu'en est-il des mesures déjà approuvées sous le quinquennat, dans le cadre des assises de l'eau ou de la loi économie circulaire : êtes-vous satisfaits?

Nous constatons des avancées, comme par exemple la prévision, dans un règlement en cours d'adoption, d'un droit de préemption des collectivités locales sur les terrains situés autour des points de captage de l'eau. Il doit mettre en oeuvre une mesure approuvée lors des Assises de l'eau, prévoyant la nécessité que les collectivités aient une meilleure maîtrise de ces points de captage. Mais nous avons aussi des regrets : la généralisation de chèques eau destinés aux plus démunis, par exemple, bien qu'aussi prévue par les Assises de l'eau, n'a pas eu lieu.

Propos recueillis par Giulietta Gamberini.

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Commentaires 5
à écrit le 17/03/2021 à 22:23
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Et pourtant l'opposition a lancé une commission d'enquête sur ce sujet au parlement mais cela ne les interpellent pas! Quand c'est plus terre a terre cela les inquiètent car cela risque de casser une rente!

à écrit le 17/03/2021 à 20:43
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Erratum " le service PUBLIC" coûte moins cher que le privé. J'ajouterai qu'il fait beaucoup mieux...si on lui en donne les moyens !

le 18/03/2021 à 18:02
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Je me demande qui peut croire qui entreprise privée dont l'objectif est de faire de l'argent pour en reverser une part non négligeable à des actionnaires peut coûter moins cher que le service public. Qu'une grosse entreprise privée soit capable de ré...

à écrit le 17/03/2021 à 20:40
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Les "professionnels' de l'eau dont des opportunistes. En demandant un cadre contraignant, ils savent qu'ils seront les seuls à pouvoir financer d'importants investissements et ils se rattraperont en augmentant les prix de l'eau. Enfin et surtout pour...

à écrit le 17/03/2021 à 19:14
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Il faudrait revenir à des régies publiques concernant cette activité stratégique. Si Paris l'a fait, bravo Delanoé, une décision particulièrement courageuse, tout le monde peut le faire.

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