Le chanvre textile (re) creuse son sillon

Les fibres naturelles ont le vent en poupe. Une poignée d’agriculteurs normands cherchent à mécaniser la culture du chanvre textile dont le nylon avait creusé la tombe dans les années 50. Un projet tout sauf fumeux, en mode retour vers le futur.
Plante robuste peu gourmande en eau, le chanvre textile atteint deux mètres de haut à maturité. Il n'a besoin d'aucun désherbage, ni chimique, ni mécanique.
Plante robuste peu gourmande en eau, le chanvre textile atteint deux mètres de haut à maturité. Il n'a besoin d'aucun désherbage, ni chimique, ni mécanique. (Crédits : DR)

« Ici, poussent les jeans de demain ». La banderole, frappée du logo de la Coopérative linière du Nord de Caen, trône crânement en bordure du champ d'Henri Pomikal. Pourtant, le curieux cherchera vainement trace de la fleur bleue, caractéristique du lin, dans cet océan vert. Sur ces cinq hectares, se dressent en rangs serrés des hampes vigoureuses de cannabis : le nom latin du chanvre. Contrairement à ses homologues de Champagne Ardennes, principal bassin de production français, l'agriculteur ne le cultive ni pour ses graines, ni pour le bois de sa tige utilisé comme isolant. Lui convoite ses fibres longues dont les propriétés thermorégulatrices et la solidité étaient prisés des fabricants de vêtements avant que les tissus synthétiques ne les condamnent à l'oubli.

Henri Pomikal est l'un des dix agriculteurs normands impliqués dans le programme d'essai initié depuis 2017 par l'association Lin et Chanvre Bio (LCBio) qui fédère à la fois des liniculteurs, des transformateurs, de jeunes créateurs et des grandes marques. Co-financée par l'Agence de l'eau et la Région, elle s'est donnée pour ambition  de redonner vie à la filière du chanvre textile qui s'est éteinte en Europe dans les années 50. A première vue, la fenêtre de tir est idéale. La prise de conscience du niveau de pollution considérable dont est responsable la fast fashion suscite, en effet, un regain d'intérêt pour les matières naturelles telles que le chanvre.

Une plante aux multiples vertus

Sur le plan agronomique, la plante jouit en outre de multiples vertus. Contrairement au coton, elle est peu gourmande en eau et dispose de racines profondes qui travaillent le sol en le dépolluant. De plus, elle n'a besoin d'aucun désherbage chimique ou mécanique si bien que « sa culture est conduite de la même façon en bio et en conventionnel », comme le précise Nathalie Revol qui pilote les essais pour le compte de LCBio.

Autre avantage et non des moindres, ses fibres longues peuvent être transformées aisément en fil fin sur les installations linières opérant en Normandie et dans les Hauts de France. Un atout majeur pour Jacques Follet, président de LCBio. « Les entreprises de teillage et les filatures ont les yeux qui brillent quand on leur parle du chanvre qui leur permettra de diversifier leur source d'approvisionnement. Je peux même affirmer que cette perspective stimule la relocalisation de filatures* à laquelle on assiste », assure t-il.  « Cela répond à une demande sociétale forte de moins d'impact du vêtement et de moins de micro-particules de plastique issues des fibres synthétiques dans les océans », complète Nathalie Revol.

Le champ des possibles est ouvert

Reste toutefois un écueil, celui de la récolte du chanvre textile compliquée à mécaniser. Pour obtenir les fibres d'un mètre de long utilisables en routine par les teilleurs et les filateurs, aucune machine n'existe sur le marché. « J'ai bricolé deux faucheuses achetées en Chine mais cela ne donne pas entière satisfaction », indique Henri Pomikal. Pour pallier cette difficulté, LCBio se prépare à expérimenter plusieurs prototypes dans le courant de l'été. « L'enjeu est de parvenir à paralléliser le chanvre pour pouvoir le laisser rouir** au sol, méthode économe et écologique qui a fait ses preuves pour  le lin de Bayeux à Dunkerque, là où le climat alterne entre chaleur et pluie », détaille Jacques Follet.

Difficile de dire aujourd'hui si les résultats de cette expérimentation seront concluants. Pour autant, Nathalie Revol affiche une confiance d'airain. « Depuis vingt ans que je m'intéresse au développement de cette plante, on n'a jamais été aussi près du but », affirme t-elle. Si l'avenir lui donne raison, les grandes plaines linières du Nord de la France pourraient rapidement voir apparaître des champs de chanvre. C'est en tout cas ce sur quoi table Henri Pomikal qui n'exclut pas de passer bientôt « à la phase du semis industriel » pour remplacer ses plantations de betteraves hypothéquées par la fermeture de la sucrerie voisine. « Le chanvre ne représente que 0,2% des fibres mondiales. A ce niveau, on ne peut que mourir ou monter » conclut-il. Si la courbe suit celle du lin dont la consommation augmente de 10% par an depuis une décennie, il y a tout lieu de penser que  la seconde option tient la corde.

*Des filatures renaissent en France où elles avaient complètement disparu. Depuis 2019, trois projets ont vu le jour: en Alsace (où elle est déjà opérante), dans les Hauts de France et en Normandie.

**Contrairement au rouissage à l'eau interdit parce que polluant pour les rivières, le rouissage au sol permet à des bactéries de ronger la pectine qui colle les fibres à la tige

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 29/06/2021 à 8:18
Signaler
La chimie du pétrole a fait du mal, finalement. Le chanvre qui pousse tout seul, fait de l'ombre aux mauvaises herbes qui ne sortent pas de terre, on ne peut rêver mieux comme bilan écologique. Reste à le travailler chez nous et ne pas tout envoyer e...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.