
70 ans après les premières utilisations de l'énergie nucléaire en Europe, la gestion des déchets qui en découlent reste, malgré leurs volumes et leur danger, un défi ouvert. C'est le constat affligeant qui ressort du premier rapport international sur le sujet publié mardi 4 novembre. Rédigé par dix experts internationaux, il compare les données disponibles sur les types et les quantités de ces déchets, leurs risques, leurs coûts et leurs solutions de traitement dans 16 pays européens ainsi qu'aux Etats-Unis.
« L'accumulation de déchets radioactifs reste un problème non résolu dans la plupart des pays nucléaires », en conclut l'expert français Yves Marignac, chef du pôle Expertise énergies nucléaire et fossiles de l'Institut négaWatt, qui en souligne les « enjeux techniques et financiers énormes ».
6,6 millions de mètres cubes de déchets à prévoir
Ces déchets représentent en effet des quantités non seulement gigantesques, mais croissantes. Les seuls combustibles usés, qui concentrent l'essentiel de la radioactivité, représentent déjà en Europe plus de 60.000 tonnes - et ce sans compter la Russie et la Slovaquie, dont les données n'ont pas été jugées suffisamment fiables. Globalement, les réacteurs nucléaires européens pourraient produire, sur l'ensemble de leur durée de vie et en tenant compte de tous les types de déchets nucléaires, 6,6 millions de mètres cubes de déchets, calcule le rapport : soit l'équivalent d'un terrain de foot en surface, et de trois fois la Tour Eiffel en hauteur. 75% de ces déchets viennent de quatre pays, chapeautés par la France, qui en produit 30%, suivie par le Royaume-Uni (20%), l'Ukraine (18%) et l'Allemagne (8%).
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La transparence et les comparaisons sur ces quantités sont en outre entravées par des différences dans la classification et dans les détails des informations publiées. La France par exemple, qui a fait le choix de retraiter une partie de ses combustibles usés, distingue entre déchets et matières revalorisables.
Or, « une part importante des matières valorisables pourraient être requalifiées en déchets, en l'absence de perspectives réalistes de valorisation. C'est le cas de larges quantités d'uranium appauvri, mais également de certains combustibles usés, comme le MOX, pour lesquels aucune réutilisation n'est prévue à court ou moyen terme », note Manon Besnard, ingénieure nucléaire l'Institut négaWatt.
Ce qui risque par ailleurs un jour de faire exploser les volumes et les coûts des déchets à stocker, observe Yves Marignac.
Pas de sites de stockage géologique profond en exploitation
Toutefois, aucune solution n'a encore été trouvée pour le stockage des déchets les plus radioactifs. Si la solution préférée face à ce défi reste le stockage géologique profond, aucun pays ne dispose encore d'un centre de stockage en exploitation de ce type, rappelle Manon Besnard. Seule la Finlande est en train de construire un site de stockage définitif.
« En France, le projet d'enfouissement en formation géologique profonde (CIGEO), dont la construction doit débuter en 2023 ou 2024, se heurte à d'importants obstacles techniques et politiques. En Allemagne, un processus en trois phases s'appuyant sur la participation publique doit déboucher sur la sélection d'un site d'ici à 2031 », détaille l'experte.
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L'acceptabilité, la transparence et le caractère participatif de ces solutions posent aussi question, souligne l'ancienne députée européenne Rebecca Harms, initiatrice du rapport. L'état actuel de la recherche et du dialogue avec la société civile ne semble pas à la hauteur des enjeux, et la discussion autour des alternatives au stockage géologique profond pas suffisamment approfondie.
Résultat : les 60.000 tonnes de combustible usé européen ne sont aujourd'hui qu'entreposées, et 81% le sont dans des piscines, malgré les risques d'une telle forme d'entreposage, qui demande une surveillance constante et qui n'a pas été prévue pour durer définitivement. Les installations d'entreposage commencent en outre à être à court de capacité : en Finlande, par exemple, la saturation a atteint 93 %, note le rapport. En France, la saturation pourrait être atteinte en 2030, alors qu'un projet de construction d'une piscine centralisée proposé par EDF a pris du retard, note Manon Besnard. Le stockage à sec, qui demande moins de surveillance et a été soutenu dans le cadre du débat public autour des déchets radioactifs organisé en 2019, est écarté.
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Des coûts colossaux et sous-estimés
Enfin, les défaillances et le manque de transparence concernent également le financement du démantèlement, de l'entreposage et du stockage des déchets nucléaires. Dans la plupart des pays, ces coûts, colossaux, sont sous-estimés, car fondés sur des données obsolètes ou sur des prévisions exagérément optimistes, analyse Arne Jungjohann, coordinateur du rapport. Cela « entraîne d'importants déficits de financement des dépenses liées à la gestion des déchets ».
« Pas un seul pays en Europe n'a jusqu'à présent pris les dispositions suffisantes pour financer » ces coûts, observe Arne Jungjohann.
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En France, d'ailleurs, « les projets de stockage qui ne sont encore qu'à l'étude représentent 90% des coûts globaux à prévoir », souligne Yves Marignac. Et puisque les gouvernements n'appliquent pas pleinement le principe pollueur-payeur, censé rendre les exploitants responsables des coûts liés à la gestion, à l'entreposage et au stockage des déchets nucléaires, ces coûts finiront probablement par être supportés par les contribuables, alerte le rapport.
Un besoin de transparence
« Il faut alors plus de transparence sur le grand défi que représentent les déchets nucléaires, notamment en France », plaide Jens Althoff, directeur du bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll, partenaire de l'étude.
"Nous avons besoin de faits scientifiques sur les risques et d'estimations réalistes sur les coûts colossaux qui y sont liés, et nous devons savoir qui va payer la facture", ajoute-t-il, en rappelant que « le nucléaire va laisser un héritage très lourd aux générations futures et n'est absolument pas une énergie propre ».
"Alors qu'en France un cycle du nucléaire se termine avec la fermeture de Fessenheim, c'est le bon moment pour reposer l'ensemble de ces questions", souligne Yves Marignac.
Les auteurs du rapport ne comptent d'ailleurs pas s'arrêter là. Des élargissements périodiques sont prévus afin d'intégrer de nouveaux pays dans la comparaison: la Chine et la Russie devraient notamment figurer parmi ceux qui seront prochainement étudiés.
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