Photovoltaïque : pourquoi le géant australien Macquarie a déboursé 2,5 milliards d'euros pour acheter Reden Solar, une PME d'Agen

"La transition énergétique va arriver très vite, plus vite qu'on ne le pense, c'est inévitable", juge Stéphane Brimont, directeur France et Benelux de Macquarie, qui a piloté un consortium pour l'acquisition pour 2,5 milliards d'euros de la PME agenaise Reden Solar, spécialiste du photovoltaïque. Un prix surévalué ? Pas nécessairement tant il traduit la confiance des observateurs mais aussi désormais des investisseurs dans le marché des énergies renouvelables. Analyse.
Les projets de parc solaires se multiplient en France et en Europe, entraînant les montants des transactions à la hausse.
Les projets de parc solaires se multiplient en France et en Europe, entraînant les montants des transactions à la hausse. (Crédits : Agence APPA)

La mise en vente mi-mai par le groupe Casino de sa filiale GreenYellow suscite l'intérêt des poids lourds du secteur de l'énergie et de gros fonds d'investissement pour une transaction qui pourrait atteindre 1,5 milliard d'euros. Un montant qui confirme le changement d'échelle à l'œuvre dans le secteur des énergies renouvelables où TotalEnergies vient de s'offrir, coup sur coup, deux entreprises américaines : SunPower et Solar Core. Le rachat au printemps dernier de Reden Solar, une pépite du photovoltaïque pour 2,5 milliards d'euros, traduit également cette tendance.

Cette PME du Lot-et-Garonne qui "développe, finance, construit et exploite des centrales solaires photovoltaïques en Europe et en Amérique Latine" a été acquise par un consortium de fonds d'investissements internationaux mené par le géant australien Macquarie Asset Management avec BCI et MEAG. Et ce montant faramineux de 2,5 milliards d'euros n'effraie absolument pas ce fonds spécialisé dans les gros tickets notamment dans le domaine des infrastructures, des investissements verts et de l'agriculture. Avec 514 milliards d'euros sous gestion au 31 mars 2022, ce fonds a déjà mené des investissements remarqués ces dernières années : Macquarie Asset Management, dans les énergies renouvelables, a pris 50 % d'Island Green Power début 2022, ou encore Hedno, le gestionnaire grec du réseau d'électricité, pour 2,1 milliards d'euros à l'automne dernier. Fin 2021, c'est encore Macquarie qui était aux manettes pour le rachat de 90 % du capital du montpelliérain Apex Energies.

Il faut dire que ce fonds s'est fixé comme objectif d'atteindre une forme de neutralité carbone de son portefeuille d'investissements en 2040. Des objectifs qui supposent une transition énergétique accélérée par des investissements annoncés dans 30 GW de projets d'énergies renouvelables.

 "Un pipeline absolument gigantesque"

C'est précisément dans cette stratégie de verdissement à marche forcée que s'inscrit le rachat de Reden Solar. Dirigée par Thierry Carcel, l'entreprise basée à Roquefort, en Lot-et-Garonne, emploie 130 salariés et dispose au 31 décembre 2021 de 762 sites d'exploitation dans huit pays du monde totalisant 730 MW de puissance installée et 239 millions d'euros de produits d'exploitation. Mais, bien plus que le réalisé, c'est le volume conséquent de 15 GW de projets en portefeuille qui a fait la différence, d'autant plus que sa présence dans différents pays limite les risques liés aux aléas politiques et réglementaires.

"Ce qui est acheté ce n'est pas tant la boîte en elle-même, même si c'est une entreprise qui tourne, mais c'est son potentiel de développement. En quelque sorte, en achetant cette entreprise et les compétences de ses équipes, Macquarie achète du temps et va gagner des années de développement dans les énergies renouvelables", analyse Cédric Philibert, consultant indépendant et chercheur associé au centre énergie et climat de l'Ifri (Institut français des relations internationales).

Stéphane Brimont, le directeur de Macquarie pour la France et le Benelux, qui était en concurrence sur le dossier Reden Solar avec d'autres acheteurs potentiels dont Engie, China Three Gorges ou encore le fonds Sonnedix, ne dit pas autre chose. Il assure à La Tribune que le prix payé est cohérent :

"Reden Solar dispose d'un impressionnant pipeline de projets solaires de très grande qualité. Qu'est-ce qu'un bon projet solaire ? C'est un terrain, un raccordement au réseau, un permis et une structure de financement. Certains projets ont déjà tous ces éléments, d'autres sont à des stades de développement moins avancés. Fondamentalement, nous investissons dans la capacité de Reden Solar à développer leur pipeline de projets : à horizon d'une dizaine d'années, on peut envisager jusqu'à 15 GW."

Aux yeux de l'investisseur, si ce potentiel de 15 GW se réalise effectivement, alors ce sera une très bonne affaire. Même à 2,5 milliards d'euros.

Une placement jugé sûr

Mais au-delà de Reden Solar et GreenYellow ou encore Urbasolar, c'est l'ensemble de la filière du solaire qui connaît une poussée d'accélération alors même que les énergies renouvelables, et singulièrement le photovoltaïque, apparaissent comme des placements de plus en plus sûrs.

Un marché tricolore très concurrentiel


  • Reden Solar n'est pas seul sur ce marché avec des concurrents tricolores de poids tels que EDF Renouvelables, Neoen, Engie, Voltalia mais elle se situe dans le haut du panier et maîtrise toute la chaîne d'un projet de centrale solaire ce qui lui permet de s'améliorer en permanence grâce au retour d'exploitation. L'entreprise lot-et-garonnaise n'est que 20e en puissance remportée en France sur les dix tranches de l'appel d'offres lancé par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), selon le décompte du cabinet Finergreen de novembre 2021. Derrière les plus gros poissons, on trouve aussi des acteurs néo-aquitains tels que Valorem et Sergies.

C'est ce contexte structurel qui explique aussi les montants très importants en jeu comme le rappelle Cédric Philibert : "Le savoir-faire de Reden Solar coïncide avec le besoin des investisseurs institutionnels de trouver des investissements sûrs et de long terme, c'est-à-dire ne proposant pas une rentabilité exceptionnelle mais extrêmement sûre, quasi-garantie car, aujourd'hui, le risque technologique sur le solaire a quasiment disparu. En ce sens, Reden Solar constitue donc un investissement dérisqué."

Sans compter que la guerre en Ukraine impose désormais à l'Union européenne de s'affranchir du gaz russe et donc de revoir l'ensemble de sa politique énergétique.

Vers une accélération sans précédent

Ce mouvement de consolidation et d'accélération dans le renouvelable ne fait donc que commencer et son ampleur pourrait en surprendre plus d'un, comme le fait remarquer Stéphane Brimont : "Nous sommes convaincus que la transition énergétique va arriver plus rapidement que dans les scénarios actuels. La conscience des efforts à mener sur les énergies renouvelables pour tenir les objectifs de décarbonation de nos économies est encore insuffisante et les projections actuelles vont donc devoir être dépassées. S'engager au côté d'un acteur très bien positionné, comme Reden Solar, c'est idéal !"

Cet engouement est pleinement partagé par Cédric Philibert qui prédit pour les installations solaires "une croissance exponentielle avant de diminuer une fois que les capacités de production seront largement installées". Et pour le chercheur associé à l'Ifri, l'impact des signaux politiques envoyés notamment par la Commission européenne ne sont pas à sous-estimer

"On peut la juger trop ou pas assez ambitieuse, mais la stratégie zéro carbone de la Commission européenne en 2050 représente un tournant considérable. D'une part, parce que ce scénario suppose une croissance énorme de l'éolien et du solaire et, d'autre part, parce que c'est désormais le scénario de référence pour tout le monde. C'est-à-dire qu'il joue le rôle de réassurance mutuelle à la fois entre les Etats et entre les entreprises selon le principe du : « je me mets aux énergies renouvelables parce que tu le fais et inversement ! »."

Les projets se multiplient déjà

D'ores et déjà, les mises en service de centrales photovoltaïques de plus en plus vastes se multiplient en zone urbaine comme à Bordeaux, avec JPEE, ou sur les toits de coopératives agricoles, comme à Limoges avec Apex Energies. D'autres projets sont plus polémiques quand il s'agit de couvrir des étendues d'eau ou quand il est prévu de construire une centrale de 1.000 hectares sur des surfaces boisées, en Gironde.

Mais, pour Cédric Philibert, le processus est lancé et ne s'arrêtera plus :

"Il va falloir mécaniquement quadrupler le rythme de projets ENR pour passer d'environ 250 GW/an dans le monde actuellement à 1.000 GW/an en 2030. Le croisement des capacités de production d'énergies fossiles et d'énergies renouvelables devrait intervenir autour de 2032 puis ne plus s'inverser par la suite."

La direction de Reden Solar n'a pas souhaité s'exprimer sur cette opération.

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