Spiro, fais-moi peur  !

Quand Kafka et Beckett rencontrent la comédie italienne et le néoréalisme, Spiro Scimone n'est jamais bien loin. Car ce dramaturge italien n'a pas son pareil pour regarder la société glisser vers la peur dans un rire violent, dévastateur, qui ne soigne jamais les blessures de l'âme, mais au contraire les met à vif.Dans « la Festa », présenté l'an dernier au théâtre du Vieux-Colombier à Paris, Scimone nous montrait une famille de monstres quotidiens, genre affreux, sales et méchants. De ceux que l'on rencontrait dans les comédies de Dino Risi. Sauf que ceux-là sont piégés par l'angoisse d'exister.Avec « Nunzio », première pièce écrite par l'auteur, on est dans le même registre. Deux hommes vivent dans un appartement. L'un est malade, souffreteux, le corps anéanti par la vie. Il tousse tout en priant devant son réfrigérateur sur lequel est posé une photo du Christ, demandant à celui-ci de le délivrer de ses douleurs. L'autre ne fait que passer, toujours en déplacement, directif, autoritaire. Entre eux, peu de mots. Mais des mots qui blessent. C'est presque rien, mais Scimone, par une maîtrise des silences, nous introduit au c?ur de la solitude avec dans les ténèbres la mort qui attend son heure. Beckett n'est pas loin.faux martyr et vrai tyranAvec « la Busta » (« l'Enveloppe »), sa dernière pièce en date, le ton est toujours le même mais la peur, petit à petit, envahit le moindre geste, le moindre mot. Elle exsude à tout instant. Un homme a reçu une enveloppe. Il ne sait pas pourquoi. Alors il vient dans une institution pour en connaître la raison et parler à un certain président. Que rencontre-t-il ? Un factotum qui un jour est secrétaire et dans la minute qui suit bourreau. Il y a aussi dans ce lieu deux êtres tout aussi dérangeants et menaçants. Faux martyrs et vrais tyrans. Petit à petit le piège se referme sur l'homme à l'enveloppe, conciliant jusqu'à la lâcheté, perdu, n'ayant rien à quoi se raccrocher. C'est toute une société agressive qui le broie, sans qu'il puisse prendre la parole et se défendre.On est là chez Kafka. Et pour ne pas sombrer dans la folie, le rire devient libérateur, l'arme absolue contre le désespoir. C'est toute la puissance du théâtre de Spiro Scimone.Ce sont là deux courts textes. Deux textes qui mettent la chair à vif et la raison en péril. Mutilés de la vie, les personnages la subissent sans vraiment la comprendre. Leur existence est déjà un tombeau. Chaque mot est un appel au secours. Ce théâtre demande de la part des comédiens une véritable abnégation. Être banal jusqu'à l'oubli. Spiro Scimone, qui joue dans ses propres pièces, et ses autres compagnons le sont jusqu'au trouble le plus total. C'est eux, c'est nous. Les autres aussi. La beauté de ce spectacle vient de là, de cet engagement pour l'homme face à ses propres terreurs. Et de l'amour qu'on lui porte.Octave de LA ChesnayeThéâtre du Rond-Point, 2 bis, av. Franklin-Roosevelt (VIIIe). ? Tél. : 01.44.95.98.21. Tous les jours sauf lundi, « Nunzio » à 19 heures, dimanche à 15?h?30, « la Busta » à 21 heures, dimanche à 17?h?30. En sicilien et italien surtitré. Jusqu'au 30 novembre.
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