Une entreprise qui doit retrouver le sens des réalités

Pour engager le dialogue avec les cheminots sur de nouvelles bases, Loïk Le Floch-Prigent renverse la vapeur : plutôt que de mettre sur pied un contrat de plan qui servirait de cadre ensuite à un plan d'entreprise, il commence par ce dernier, et réduit donc le premier à une sorte d'extrapolation de celui-ci. Mais le changement par rapport au processus antérieur est plus que symbolique. Revenir aux problèmes concrets Dans un contrat de plan, les deux signataires sont l'Etat et une société. Dans un plan d'entreprise, une direction est face aux partenaires sociaux. En donnant la priorité au plan d'entreprise, Loïk Le Floch-Prigent semble vouloir montrer aux cheminots que les montages abstraits et complexes définissant la stratégie de l'entreprise à moyen terme sont pour l'instant gelés, et qu'il est temps de revenir aux problèmes concrets de gestion, sur le terrain. Et qu'il vaut mieux commencer par chiffrer les évolutions salariales et les réductions d'effectif que de manier des centaines de milliards de francs de dettes impalpables et laisser les précédentes questions sans réponse. A cause notamment du gouvernement qui en avait fait un pôle de crispation dans son dispositif de politique générale, la SNCF avait perdu le fil de sa mission et le discours sur l'entreprise était bien loin de parler aux cheminots de leur activité et de leur avenir. Loïk Le Floch-Prigent, qui n'est passé ni par l'ENA ni par l'inspection des finances, cadre le discours au plus près de leur réalité, et renvoie pour l'instant l'Etat - et le gouvernement - à un rôle passif de spectateur, afin qu'aucun paramètre politique ne vienne perturber la reprise de l'activité et la réouverture du dialogue. C'est, pour le nouveau président, le seul sauf-conduit possible à un poste excessivement exposé (quatre de ses prédécesseurs sur les cinq derniers présidents de la SNCF ont été contraints à la démission). C'est aussi le seul moyen de se plonger dans une réalité de l'entreprise qui a semblé échapper au contrôle de ses prédécesseurs. Ainsi, à force de réduction d'effectif (192.000 cheminots fin 1993, 186.000 en 1994 et moins de 180.000 en 1995), un cheminot sur quatre seulement est âgé de moins de trente-cinq ans. Cette dégradation de la pyramide des âges s'accompagne d'un gonflement du taux d'encadrement : 45 cadres et agents de maîtrise pour 100 agents d'exécution aujourd'hui, au lieu de 28 en 1986. Le tout dans une phase d'incer- titude, le recrutement du personnel statutaire ralentissant for- tement, alors que, à l'inverse, le recrutement du personnel contractuel s'accroît, notamment en CDD (8.900 contrats à durée déterminée contre 348 à durée indéterminée, en 1994, selon le Conseil national des transports). On est loin, à ce stade, des problèmes inhérents à la dette de la SNCF que l'Etat a lui-même contribué à gonfler en engageant l'entreprise dans des investis- sements colossaux, sans jouer son rôle d'actionnaire. Autant la dette ne concerne pas le cheminot dans son activité quotidienne, autant l'évolution des conditions sociales dans l'entreprise le touche. En renversant les priorités dans les négociations, Loïk Le Floch-Prigent rétablit une hié- rarchie qui tient compte de cette réalité. G. B.
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