Le virus Internet a gagné la planète

L'Internet Society peut se flatter d'avoir réussi au-delà de toutes ses espérances. Lors de sa création en 1992, elle voulait favoriser le développement d'un nouveau système de communication : Internet. Depuis, il a conquis le monde. En juin dernier, le nombre d'usagers s'élevait à 2 milliards d'individus sur les quelque 6,9 milliards que compte la planète.La révolution du Net a pris son essor à l'occasion d'une conférence réunissant quelque 400 chercheurs à Genève en Suisse, en 1994. On y découvre un nouvel outil issu d'Internet qui permet d'échanger des documents de travail de façon rapide sous la forme de fichiers : le World Wide Web (le désormais fameux www). C'est l'aboutissement de plus de vingt ans de travail d'informaticiens. Paradoxalement, la création d'Internet est due au Pentagone. En 1962, en pleine guerre froide, il souhaite disposer d'un système de communication décentralisée en cas de guerre atomique avec l'Union soviétique. En 1969, quatre universités américaines arrivent à échanger des données via leurs ordinateurs ; Arpanet, l'ancêtre d'Internet, est né. En 1972, l'un des chercheurs, via l'association de divers logiciels, arrive même à envoyer un message d'un ordinateur à un autre. Ray Tomlinson vient d'inventer l'e-mail. Pour faciliter le classement d'adresses, il choisit de séparer le nom du destinataire et son adresse de messagerie par un signe universel : l'arobase (@).Techniquement, le Net est fondé sur la compatibilité des machines via la mise en place de protocoles, le TCP (Transmission Control Protocol) et l'IP (Internet Protocol) en 1977... Ils offrent un nouveau principe de communication différent du circuit du système téléphonique : la segmentation du message en paquets au départ, réarrangés à la réception. Cette dernière tâche revient à TCP tandis que l'IP, lui, est chargé d'acheminer les paquets d'ordinateur en ordinateur. Le World Wide Web est une extension qui met en relation des fichiers contenant textes, images... liés par des liens (« hyperlinks ») et des adresses (URL) que l'on peut télécharger.À la même époque émergent des noms promis à la célébrité : Linux, Netscape et Yahoo (« Yet Another Hierarchical Officious Oracle » pour « Un oracle à classement hiérarchique officieux de plus »). La culture du Net fait rapidement souffler un vent de folie, d'humour et de liberté à travers la planète. La littérature avait anticipé la réalité. Dans les années 1980, l'auteur de science-fiction (SF) William Gibson crée le mot « cyberespace » dans son roman « Neuromancien ». Le théoricien anarchiste Hakim Bey célèbre quant à lui le retour de l'utopie pirate (les « hackers » qui « craquent » les sites les plus sécurisés vont connaître leur heure de gloire). « le Samouraï virtuel », roman de SF de Neal Stephenson, devient la bible des chercheurs de la Silicon Valley en popularisant la notion de virus informatique. Sans compter le cinéma avec la trilogie « Matrix » des frères Andy et Larry Wachowski, dont le premier opus sort en 1999, où notre univers réel, en fait virtuel, n'est qu'un programme informatique issu de la « matrice ».Plus trivialement, le Web et l'e-mail ont la vertu majeure d'abolir l'espace et le temps, deux dimensions essentielles de l'activité humaine. La dématérialisation et l'immédiateté sont à la base de la révolution du Net soutenue à l'époque par la libéralisation du secteur des télécoms. Les nouvelles technologies de communication permettent d'importants gains de productivité dans les entreprises grâce aux solutions apportées. Plus, c'est la fièvre d'un nouvel eldorado. La « Net-économie » et ses « start-up », ces sociétés que de jeunes gens ambitieux aux projets audacieux n'ont aucune difficulté à financer et à faire coter en Bourse tant l'enthousiasme des investisseurs est sans bornes, sont riches de promesses inouïes. Hélas, tout cet argent investi dans des projets certes originaux mais virtuels fut alloué en pure perte. En 2000, la bulle boursière qu'ont créée les promesses virtuelles éclate. Des milliards de dollars partent en fumée.Pourtant, ce retour à la réalité n'empêche pas le Web de se développer tant ses potentialités vont au-delà de la possibilité de rendre la vente par correspondance plus performante. La dématérialisation de la musique, du livre et de la presse engendre la transformation d'entreprises jusqu'alors dominantes. Des moteurs de recherche permettent de trouver le meilleur prix pour acheter un billet de train, d'avion, une réservation de spectacle. Le marché des objets d'occasion explose, via des enchères en ligne (le précurseur est le site eBay), qui attirent des millions d'internautes. Qui aurait pu imaginer au début des années 2000 qu'Apple deviendrait l'un des premiers distributeurs de musique du monde via sa plate-forme de vente en ligne « iTunes ». Signe de ces changements de mentalités, un géant comme Microsoft passera des années et dépensera beaucoup d'argent à lutter contre le piratage et à renforcer jalousement le secret de ses codes. Tandis que Linux, un système d'exploitation gratuit que tout un chacun peut enrichir (« open source »), s'imposera peu à peu. Symptôme de cette attitude, lorsque Microsoft embauche Bill Hilf, qui avait dirigé avec succès la stratégie Linux d'IBM, celui-ci découvrira que les ingénieurs de la multinationale américaine ne savaient pas comment faire fonctionner l'« open source », car ils n'y voyaient qu'une menace et non une démarche intéressante.En estompant les frontières non seulement physiques mais aussi mentales, le Web est en train de modifier profondément notre rapport au savoir et les relations humaines (l'exemple de l'encyclopédie ouverte et gratuite Wikipédia ou encore le succès des réseaux sociaux, comme Facebook) même s'il est encore trop tôt pour le mesurer. Certains ont toutefois commencé à le penser. Chris Anderson, journaliste qui inaugura la rubrique Internet à « The Economist », devenu directeur de la revue culte « Wired », étendard de la culture Net, a ainsi popularisé le concept de « longue traîne » : en raison du faible coût de stockage et de distribution, et de la possibilité de s'adresser à des millions de consommateurs, Internet rendrait profitable la vente de petites quantités de nombreux produits qui n'intéressent que peu de consommateurs, au lieu de vendre d'importants volumes d'un nombre réduit d'articles. Une prophétie qui ne s'est pas toujours vérifiée. Mais Chris Anderson a aussi revisité le concept de gratuité à la lumière du Net. Force est de constater qu'Internet a eu un impact radical sur la propension à payer certains biens. Du gratuit, Anderson est récemment passé au « freemium » : un produit est proposé gratuitement pendant une période (un logiciel, de la musique... par exemple), mais certaines fonctionnalités, ou les places de concerts, sont payantes. Au final, n'en déplaise à ceux qui stigmatisent le Web pour la diffusion du porno, du jeu et la désinformation, selon une enquête menée par un « think tank » britannique, Trajectory Partnership, auprès de 35.000 personnes à travers le monde entre 2005 et 2007, une majorité des personnes interrogées, en particulier les femmes, considérait que l'usage du Net leur avait apporté davantage de liberté, de connaissances et de bonheur dans leur vie quotidienne ! Robert Jule
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