Meta visé par Bruxelles : le crash-test du DSA contre l'ingérence étrangère à la veille des élections

Suppression d'un important outil pour suivre la désinformation, modération non efficace des publicités politiques... Meta est dans le viseur de la Commission européenne. Bruxelles soupçonne le propriétaire de Facebook et d'Instagram de ne pas assez mitiger les risques de désinformation, et donc d'enfreindre plusieurs articles du Digital Services Act. De quoi montrer l'efficacité de ce texte de loi comme outil de préservation de la démocratie en pleine période électorale.
(Crédits : DADO RUVIC)

Le Digital Services Act va-t-il jouer son rôle attendu de « bouclier démocratique » à 40 jours des élections européennes ? Bruxelles fait en tout cas monter la pression. Après X (ex Twitter), TikTok et Alibaba, c'est au tour de Meta de faire l'objet d'une enquête de Bruxelles pour non-respect de cette loi visant à encadrer et assainir la vie en ligne. La Commission européenne, qui a lancé officiellement la procédure mardi 30 avril, soupçonne Facebook et Instagram de ne pas respecter leurs obligations en matière de lutte contre la désinformation.

« Cette Commission a mis en place des outils pour protéger les citoyens européens de la désinformation et de la manipulation par des pays tiers », a souligné la présidente Ursula von der Leyen, dans un communiqué qui rappelle que Facebook et Instagram rassemblent 250 millions d'utilisateurs actifs mensuels en Europe. « Si nous soupçonnons une violation des règles, nous agissons. C'est toujours vrai, mais particulièrement en période d'élections. »

Cette enquête est justement un bon moyen d'évaluer l'efficacité du Digital Services Act, dont l'un des grands enjeux est la lutte contre la désinformation. Si Meta n'opère pas de changements ou ne fournit pas de preuves montrant qu'elle se conforme aux règles européennes, elle encourt une amende qui peut aller jusqu'à 6 % du chiffre d'affaires. Selon la gravité des infractions, Bruxelles peut également obliger Meta à quitter le marché européen, mais il est peu probable que la procédure aille jusque-là, estime Jean-Rémi de Maistre, co-fondateur et CEO de la legal tech Jus Mundi et expert des problématiques d'arbitrage international.

« On voit ici bien la différence de méthode entre l'Union Européenne et les Etats-Unis, observe-t-il. Aux Etats-Unis, elle est bien plus radicale : TikTok est soupçonné d'être un outil d'ingérence chinoise, l'appli est menacée de disparaître dans le pays. La Commission ne supprime pas Meta, mais elle fait pression pour que la plateforme procède à des changements ».

Lire aussiTikTok : après la décision du Sénat américain, ByteDance compte se battre et refuse de vendre son réseau social

« Empêcher que les failles d'Instagram et de Facebook puissent être utilisées par des acteurs d'influence étrangère »

Bruxelles reproche à la firme américaine de faire preuve de laxisme quant à la modération des publicités politiques. « Nous ouvrons cette procédure contre Meta pour nous assurer que des actions efficaces sont prises pour empêcher que les failles d'Instagram et de Facebook puissent être utilisées par des acteurs d'influence étrangers », explicite dans un communiqué, le commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton.

Certains officiels de Bruxelles font directement référence à des campagnes venant du Kremlin, qui pourraient jouer en la faveur de candidats pro-russes.

La suppression d'un outil clé pour les fact-checkers et les chercheurs

Par ailleurs, l'U.E. pointe du doigt la manière dont Facebook et Instagram invisibilisent certains contenus politiques (shadow banning) sans en avertir les utilisateurs, une pratique contraire au principe de transparence du DSA. Dans le viseur également : les mécanismes de signalement de contenus illicites, qui ne seraient pas assez visibles. Enfin, la Commission européenne reproche à Meta de supprimer son outil CrowdTangle. Celui-ci est pourtant clé dans la lutte contre la désinformation. Il permet aux chercheurs et journalistes de suivre la viralité d'une publication, et donc la diffusion des fake news sur Facebook et Instagram. A partir du 14 août, il ne sera plus disponible. Meta avance que sa Bibliothèque de contenus Meta et l'API Meta Content Library aura les mêmes fonctions, mais les chercheurs en doutent.

La Commission demande donc à Meta d'évaluer les conséquences de la suppression de cet outil et de fournir les renseignements dans un délai de 5 jours ouvrables. « La Commission s'est réservé le droit de prendre des mesures si ces actions sont jugées insuffisantes », précise le communiqué.

Lire aussiLe DSA, l'arme de Bruxelles pour lutter contre les contenus illicites sur Internet (Facebook, Tik Tok, Google, X...)

Le premier vrai test de l'efficacité du DSA

L'enquête de Bruxelles intervient quelques jours après la publication d'un rapport de l'ONG AI Forensics. Celui-ci montrait que la majorité des publicités politiques circulant sur les plateformes de Meta n'étaient pas identifiées comme telles. Et moins de 5 % de ces contenus politiques étaient correctement modérés. Facebook a notamment laissé proliférer une campagne de désinformation pro-russe ciblant les agriculteurs européens, les incitant à s'opposer à l'entrée de l'Ukraine en Europe. AI Forensics montre aussi que l'opération de désinformation russe Doppelganger (des récits de propagande diffusée via des sites copiant de vrais médias) a une portée 5 à 10 fois plus importante que ce que Meta laisse entendre.

Dans son rapport, l'ONG appelait la Commission européenne à lancer une enquête. Elle semble avoir été entendue. Son directeur Marc Faddoul s'en félicite dans un communiqué. « Cette action est un pivot dans la lutte de l'UE contre la désinformation. Cela montre que l'UE monte en puissance pour gérer cette crise de l'information. À la veille des élections européennes, c'est le premier vrai test de l'efficacité du DSA, en particulier contre les opérations de manipulation étrangère ». Raziye Buse Çetin, directrice de la communication de l'ONG estime quant à elle que l'enquête est une chose, mais elle ne suffira pas. « Meta doit mettre en œuvre des changements algorithmiques durables et renforcer la modération du contenu pour lutter contre la désinformation. »

Au-delà de ce rapport, « l'Union Européenne voit aussi certainement ce qu'il se passe en Inde, qui est en période d'élection législative, et où l'on constate des cas de désinformation de masse, notamment produite à moindre coût grâce à des outils d'IA », ajoute Jean-Rémi de Maistre. De quoi « faire monter la pression ».

Meta n'a pas directement commenté la procédure. « Nous disposons d'un processus bien établi pour identifier et atténuer les risques sur nos plateformes. Nous sommes impatients de poursuivre notre coopération avec la Commission européenne et de leur fournir de plus amples détails sur ce travail », a réagi un porte-parole auprès de l'AFP.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 8
à écrit le 02/05/2024 à 7:54
Signaler
Internet demeure une jungle hors la loi ! On s'est jeté sur ce superbe joujou sans prendre les mesures pour protéger les consommateurs. L'affaire est compliquée. D'un côté la liberté de l'internaute et ses dérives possibles pour le fournisseur de ser...

le 02/05/2024 à 8:02
Signaler
"On s'est jeté sur ce superbe joujou sans prendre les mesures pour protéger les consommateurs." Un call centers m'appelle depuis plusieurs mois pour me vendre une m.. quelconque et quand je réponds et que je leur dis qu'ils arrêtent ils m'affirment q...

à écrit le 02/05/2024 à 7:47
Signaler
Toujours pas BAYER ou VW par contre visé par Bruxelles, comme quoi ce n'est pas la gravité des faits qui motive nos hurluberlus européistes.

à écrit le 01/05/2024 à 11:02
Signaler
En pesant le bénéfice risque de ces réseaux sociaux us- chinois il faut supprimer l accès à tous ces poubelles et repaires de narcissiques … aucun intérêt ça n apporte rien , n ´ enrichi pas les utilisateurs / consommateurs au sens propre et figurée ...

à écrit le 01/05/2024 à 11:02
Signaler
En pesant le bénéfice risque de ces réseaux sociaux us- chinois il faut supprimer l accès à tous ces poubelles et repaires de narcissiques … aucun intérêt ça n apporte rien , n ´ enrichi pas les utilisateurs / consommateurs au sens propre et figurée ...

à écrit le 01/05/2024 à 11:00
Signaler
En pesant le bénéfice risque de ces réseaux sociaux us- chinois il faut supprimer l accès à tous ces poubelles et repaires de narcissiques … aucun intérêt ça n apporte rien n embellie pas la vie ..par analogie ça lrappelle le livre de Kafkaïen « le p...

à écrit le 01/05/2024 à 10:54
Signaler
En pesant le bénéfice risque de ces réseaux sociaux us- chinois il faut supprimer l accès à tous ces poubelles et repaires de narcissiques … aucun intérêt ça n apporte rien n embellie pas la vie ..ça le rappelle le livre de Kafkaïen « le procès » … o...

à écrit le 30/04/2024 à 20:43
Signaler
Les réseaux dits "sociaux" sont un désastre intégral sur tous les plans dont d'autres se sont chargés de faire l'inventaire

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.