« La France a une carte à jouer en nouant des alliances dans le nucléaire »

Depuis 2009, vous êtes présidente de GE France et responsable des relations du groupe avec les grands comptes publics dans le monde. Comment gérez-vous cette double fonction??Avoir plusieurs métiers, c'est fréquent chez GE. Rester patron de la France, me paraissait naturel. J'aime mon pays et je pense être - en tout cas j'espère - l'un des meilleurs ambassadeurs de la France chez GE. Si j'ai été nommée vice-présidente au niveau international en charge des grands comptes publics, c'est d'abord à la faveur de la crise et des plans de relance qui, pour beaucoup, ont pris le relais dans le financement des infrastructures. Mais c'est aussi parce que nous avons vu dans ces opportunités, qui ne se limitent pas aux commandes des États, un moyen de capter les vrais besoins du monde d'aujourd'hui. Pour nous, comprendre comment cette planète qui va compter 9 milliards d'habitants va résoudre la question de l'accès aux besoins vitaux des 2,5 milliards d'entre eux ne disposant ni d'eau ni d'électricité, c'est inventer les solutions dont le monde a besoin. GE veut être l'un des acteurs majeurs dans ces nouvelles infrastructures que le monde va construire. La donnée environnementale est pour GE un axe majeur de développement depuis 2005. Et nous avons choisi 10 pays prioritaires?: la France, l'Allemagne, l'Angleterre pour l'Europe, la Chine assez naturellement, le Japon, l'Inde, l'Australie, le Canada, le Brésil, l'Arabie Saoudite.Peut-on décrocher des contrats publics, en Inde ou en Chine notamment, sans verser de pots-de-vin??Vous avez beaucoup de pays où il y a de la corruption, mais vous pouvez y faire des affaires sans avoir à corrompre quiconque. C'est pour cette même et seule raison que nous ne sommes pas dans certains pays d'Afrique. Êtes-vous satisfaite des résultats après un an??En 2009, année pourtant difficile pour tout le monde, nous avions évalué le marché à un peu moins de 2 milliards de dollars et nous avons terminé l'année à 4,5 milliards de dollars, tout simplement parce que nous sommes allés voir des clients et que nous avons compris leur besoin. Et nous visons 6 milliards d'euros en 2010.Sur le nucléaire, comment GE peut-il s'imposer dans le paysage franco-français entre Areva et EDF??C'est de l'ordre du rêve aujourd'hui. Mais il y a quand même de la place pour nous à l'avenir... On l'espère. La France est le seul pays à avoir trois atouts. La France a de façon constante, qu'elle soit gouvernée par la droite ou la gauche, soutenu le nucléaire. Deuxième atout?: elle dispose des plus grosses puissances installées avec 58 centrales et avec un acteur éprouvé - EDF - qui, non seulement les a installées, mais sait les gérer ou déléguer la gestion de façon sûre et efficace. Enfin, elle dispose d'une chaîne de production avec un acteur majeur de la construction de centrales nucléaires?: Areva. Sauf que le marché est aujourd'hui à l'international et que l'EPR n'est qu'une technologie parmi d'autres ne permettant pas de répondre à la diversité de la demande du nucléaire dans le monde. La France a une carte maîtresse à jouer aujourd'hui en nouant des alliances - comme l'a fait Safran avec nous sur le moteur d'avion CFM-56. Nous fabriquons des réacteurs qui peuvent être intégrés. GE est donc prêt à réfléchir à des solutions avec EDF ou Areva ou d'autres. Si la France ne s'ouvre pas assez rapidement pour s'adapter, elle prend le risque que d'autres, comme les Coréens, s'imposent sur le marché mondial. GE ne sera jamais concurrent d'EDF ou même d'Areva en tant qu'intégrateur. Yves Jégo veut créer un label pour valoriser la marque France en instituant un «?made in?» à étoiles. Un produit assemblé et fabriqué entièrement en France obtiendrait un nombre maximal d'étoiles. Qu'en pensez-vous??Désolée, je ne connais pas le détail de cette proposition.Mais sur le principe??Ne soyons pas naïfs. Il faut regarder la réalité des investissements, de la recherche et du développement sur le sol français des entreprises - qu'elles soient françaises ou étrangères. C'est cela le vrai patriotisme économique. Nous n'avons pas à rougir de ce que nous avons fait en France. Nous nous sommes même comportés de façon plus française que certaines entreprises françaises. Des exemples?? En 1999, nous avons racheté les turbines à gaz d'Alstom. Nous sommes devenus le seul fabricant français de grosses turbines?: Alstom les fabrique en Suisse. On a multiplié le chiffre d'affaires par quatre. On a créé un centre d'ingénierie mondial qui emploie 800 ingénieurs, dont 400 recrutés au cours des deux dernières années. On en a fait une entreprise hautement bénéficiaire qui exporte plus de 90 % de sa production. Je pourrais aussi parler du site de Buc (Yvelines). Tous les mammographes vendus par GE dans le monde y sont conçus et fabriqués, de même que les appareils cardio-vasculaires. Que tous ces produits soient labellisés «?made in France?», je suis d'accord.Comment analysez-vous les débats autour du projet de loi Grenelle 2?? Le gouvernement ne cherche-t-il pas à favoriser l'éolien offshore au détriment de l'éolien terrestre, bataille que les industriels français ont perdue??Ce ne sont pas les entreprises françaises qui ont raté l'éolien onshore, c'est la France. Chez GE par exemple, nous avons décidé de faire un très gros investissement de 350 millions de dollars, avec 1.000 embauches, pour développer de l'éolien offshore en Europe. J'ai évidemment mis la France dans la boucle et si elle n'a pas été choisie, c'est qu'il n'y a pas de marché suffisant. La France est en retard sur l'éolien d'une façon générale. En Allemagne, dans les pays scandinaves, au Royaume-Uni, le marché est là, les projets de fermes existent.N'estimez-vous pas que le Grenelle 2 a été vidé de sa substance??Ce qui m'importe, c'est que nous sommes un pays qui avance, même si cela se fait péniblement. On peut regretter l'abandon de la taxe carbone. Ce n'était pas une solution parfaite, mais elle avait au moins le mérite d'exister. J'espère que nous sortirons du débat du Grenelle avec des engagements clairs et lisibles afin que les entreprises soient stimulées dans leur innovation, tant dans l'éolien, le solaire que dans les cycles combinés.Que pensez-vous de la place des femmes dans l'entreprise??Moi, j'ai été choquée qu'on me demande si les nominations de mesdames Oudéa et Woerth dans des conseils d'administration [chez Lagardèrerave;re pour la première et chez Hermès pour la seconde, NDLR] étaient légitimes. Certes, elles sont mariées à des hommes connus, mais ce sont des femmes de grand talent. Je suis pour la déclaration faite par l'Afep et le Medef, c'est une très bonne initiative : si on n'est pas proactifs, ça n'avancera pas. Vous verrez qu'elles vont apporter beaucoup à leurs conseils d'administration. De plus, je sais que ce seront des administratrices investies et vigilantes. Chez GE, on a toujours pensé que la diversité, de même que l'environnement, étaient, non pas des contraintes, mais des facteurs de croissance.
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