Pékin et Tokyo, ou l'économie du yin et du yang

Dans la course qui l'oppose au Japon pour le poste de leader régional, la Chine vient de prendre la première place en devenant la deuxième économie du monde. Pas de psychodrame de ce côté-ci de la mer du Japon (ou de Chine, selon où l'on se place). La presse de l'archipel a réagi tièdement à la nouvelle, que tout le monde attendait. Elle pourrait presque s'en réjouir. Pourquoi ? « Nous avons tous intérêt aujourd'hui à ce que la Chine se porte bien, en particulier le Japon », rappelle le professeur Ryohei Kokubun, de l'université Keio, spécialiste des relations nippo-chinoises. La Chine a longtemps été perçue comme un simple adversaire du Japon. Aujourd'hui, elle est son premier partenaire commercial, et la locomotive de son économie. En amont, le Japon est un des moteurs du développement fulgurant de la République populaire. La croissance de cette dernière tire largement parti des exportations d'implantations étrangères - 60 % des exportations chinoises ne sont pas le fait d'entreprises chinoises - en particulier japonaises. En réalité, le célèbre « made in China » est devenu un « made in China by Japan  ». Les salaires chinois sont 32 fois inférieurs aux japonais. Beaucoup de groupes industriels nippons ont tiré leur épingle du jeu en se transformant en fournisseurs pour leurs concurrents chinois : ce sont des Japonais qui produisent l'essentiel des écrans tactiles, films plastiques ultra-spécialisés, fibres de carbone qu'on retrouve dans les ordinateurs ou sur les avions chinois. En aval, l'avenir est au consommateur chinois. Pékin, notamment en renforçant progressivement le yuan, veut donner à ses habitants les rênes de la croissance de la Chine pour les substituer aux Américains et aux Européens, « consommateurs de dernier ressort » jusqu'au « choc Lehman ». complémentarité Si cette politique réussit, les premiers gagnants seront en effet... les Japonais. Chez Toyota, Honda ou Nissan, on ne jure d'ailleurs que par la Chine. « Il y a quatre fois moins de voitures par habitant chez leur immense voisin qu'au Japon, ce qui laisse présager une croissance infinie », souligne le représentant au Japon d'une marque automobile européenne. Les économies sont si imbriquées que le nouvel ambassadeur du Japon en Chine vient de proposer l'idée d'un accord de libre-échange entre les deux puissances. « Ils se complètent admirablement : la Chine a la population et l'espace, le Japon a la technologie », rêve l'économiste Jesper Koll. Pourtant, cette « union asiatique » entre une dictature et une démocratie, dont les marchés intérieurs sont fondamentalement divergents, qui n'ont jamais réglé leurs différends historiques, est impensable pour la majorité des Japonais. Mais qui aurait imaginé il y a vingt ans que la Chine supplanterait le Japon ? Sans compter la question qui commence à tarauder Tokyo et Pékin : comment célébrer en 2011 le centenaire de la fondation de la république de Chine, issue d'une révolution financée et fortement inspirée par le Japon ?Régis Arnaud, à Tokyo
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