Grèce : deux ans, pour quoi faire ?

Deux ans de plus pour la Grèce ! C’est sur cette « rallonge de temps » qu’Angela Merkel et François Hollande vont devoir plancher ce jeudi soir avant d’écouter, vendredi pour la chancelière allemande et samedi pour le président français, le premier ministre grec Antonis Samaras. Deux ans supplémentaires pour réaliser l’objectif de déficit des administrations publiques helléniques fixé par le protocole d’accord signé avec la commission, le fameux « Mémorandum. » Autrement dit, Athènes voudrait ne devoir atteindre qu’en 2016 la double cible de 3 % du PIB de déficit et de 4,5 % d’excédent primaire (hors service de la dette) de ses comptes publics.L’argument de la fermeté : refuser « l’aléa moral »Ce jeudi, Wolfgang Schäuble a affirmé à la radio allemande SWR que « plus de temps ne sert à rien ». Selon le ministre allemand des Finances, « il n’est pas possible de revenir tous les six mois pour demander plus. Ainsi on ne peut jamais regagner la confiance des marchés », a-t-il conclu. Dans l’esprit des opposants à cette « rallonge de temps », il s’agit de lutter contre une forme « d’aléa moral » : en accordant un nouveau délai, on réduit la pression sur le gouvernement grec pour réaliser les réformes. On freine donc la mise en place de ces réformes et on repousse aux calendes grecques le redressement du pays. Preuve en est, selon eux, l’évolution de la crise depuis deux ans : Athènes, se sachant capable d’aller toujours chercher une « rallonge », a négligé les réformes nécessaires, et se voit donc toujours contraint de « quémander » plus. Dans cette logique, seul le langage de la fermeté pourrait permettre d’avancer et céder sur les deux ans serait un nouveau repli qui ouvrirait la voie à d’autres.Les mauvais calculs du mémorandumFace à cet argumentaire, le gouvernement grec rétorque que ce n’est pas l’absence de réforme qui a rendu les précédents plans caducs et qui menace également le plan en cours, mais les effets d’une rigueur trop fortement et vigoureusement appliquée. L’austérité massive imposée à la Grèce a eu pour effet de plonger le pays dans une contraction inédite : 20 % de son PIB est parti en fumée en quatre ans. Et comme le FMI et l’UE ont systématiquement sous-estimé l’effet négatif sur la croissance de la politique qu’ils préconisaient, il a fallu redemander un ajustement. Souvenons-nous que, pour 2012, la Troïka prévoyait une contraction de 3 % du PIB. Elle sera en réalité de 7 %. Même si le gouvernement grec a réduit entre janvier et juillet ses dépenses de 4,4 milliards d’euros de plus que ce qui était son objectif initial, l’impact sur les recettes de la récession (2,2 milliards d’euros de moins que prévu) est trop fort pour espérer pouvoir parvenir à satisfaire les créanciers.Mieux répartir la rigueur dans le temps pour plus de croissanceDu coup, Antonis Samaras demande que les mesures de rigueur puissent être mieux réparties dans le temps. Selon une étude du ministère grec des Finances, si l’on applique le mémorandum, la chute du PIB en 2013 sera de 4 % et encore de 0,6 % en 2014. En revanche, en diluant les mesures sur quatre ans au lieu de deux, on parviendrait à réduire en 2013 la baisse du PIB à 1,5 % et la Grèce pourrait retrouver la croissance dès 2014. Dès lors, un cercle vertueux pourrait se mettre en place : en 2015 et 2016, la croissance permettrait de réduire plus rapidement le déficit général et de gonfler l’excédent primaire. Selon Athènes, cette reprise dès 2014 permettrait d’éviter d’en passer par un nouveau plan d’aide. C’est l’argument résumé par Antonis Samaras mercredi : « Nous avons besoin d’air pour respirer. »Epée de Damoclès financière et politiqueAntonis Samaras peut disposer d’autres arguments très convaincants. Sonnants et trébuchants d’abord. Si la Grèce ne peut respecter ses engagements et si on lui coupe les vivres, la note risque d’être salée pour les pays européens qui ont prêté à Athènes en 2010, pour la BCE qui détiendrait 50 milliards d’euros de dettes helléniques et pour le FMI, impliqué depuis 2010 dans l’aide à Athènes. Par ailleurs, Antonis Samaras pourra également mettre en avant le risque politique. En cas d’application du mémorandum dans les deux ans, les tensions sociales pourraient encore s’aggraver en Grèce, faisant le lit de l’opposition de gauche. Or, on l’a vu avant le scrutin du 17 juin, rien ne semble plus effrayer les Européens que l’arrivée au pouvoir de la gauche radicale grecque.L’austérité rapide inefficiente en GrèceMais la véritable question reste la pertinence du mémorandum lui-même. En réalité, en mettant en cause le rythme qu’il impose, Antonis Samaras met en cause la philosophie même du mémorandum qui repose sur l’idée qu’un assainissement rapide de l’économie grecque permettra de redresser sa compétitivité, et donc de faire revenir la croissance. Cette stratégie s’est montrée inefficiente : l’économie grecque, fondée sur la demande intérieure et les services ne peut redécoller rapidement par la seule impulsion de l’amélioration de sa compétitivité extérieure. La hausse des exportations grecques, malgré les réformes, est donc restée fort limitée. Sur les six premiers mois de l’année, elle n’a été que de 4,7 %, soit 400 millions d’euros supplémentaires. Alors que les exportations représentent encore en valeur 58 % du total des importations. Bref, on est encore loin de faire de la Grèce un pays pouvant s’appuyer sur un excédent commercial fort et récurrent. D’autant que, parallèlement, on a réduit à néant toute forme de demande intérieure. Une récente étude du FMI lui-même vient de prouver du reste que ces remèdes de cheval d’austérité sont inefficaces.Echec de la stratégie européenneL’échec de la stratégie grecque des Européens depuis 2010 est évident. Antonis Samaras consent simplement à continuer à dissimuler cette évidence. Voilà pourquoi Angela Merkel et François Hollande accepteront le délai demandé qui est, finalement pour eux un moindre mal. Mais l’application des mesures de rigueur continuera à jouer un effet négatif. Il ne faut alors pas exclure que, même avec deux ans de délai, la Grèce en soit réduite à réclamer une nouvelle aide et à appliquer de nouvelles coupes budgétaires. Elle retombera alors aussitôt dans une spirale récessionniste. Nul alors ne pourra plus se voiler la face : il faudra changer de stratégie.  
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