Photographie

Il a débarqué comme tant d'autres sur le quai de la gare de l'Est, un petit matin blafard de janvier 1930. Va-nu-pieds et sans papier, un édredon et une certaine idée de la France pour tout bagage. Avec, derrière lui, ses parents et son village natal de Lituanie. Devant, l'espoir d'une vie meilleure à Paris, cité « fantasmée, poétisée, recomposée ». « La liberté, l'égalité et la culture, c'est ça qui nous faisait rêver », dira des années plus tard le photographe humaniste Izis ? né Israël Bidermanas en 1911 ? auquel la Ville lumière rend aujourd'hui hommage à travers une formidable exposition.Pour en arriver là, pourtant, il en a fallu du temps. Et des années de galère. Survivre aux jours de faim dans le Paris des années 1930. Continuer d'y croire malgré la misère qui ronge et qu'on cache dans les asiles de nuit. Heureusement, la formation d'apprenti photographe suivie en Lituanie porte ses fruits. En 1933, Izis trouve du travail dans un studio photo du XIIIe arrondissement. La fuite du nazismeMais déjà le bruit des bottes des nazis résonne dans Paris. Il faut fuir l'antisémitisme et l'étoile jaune de Vichy. Direction Ambazac, dans le Limousin où la population le cache. C'est aussi ça, la France, pour Izis. En Lituanie, les siens ont péri, assassinés par les Allemands épaulés par les habitants du coin.Alors, cette France qui a su le protéger, Izis veut la servir. Avec ses moyens à lui : la photographie. Mais comment saisir les maquisards ? En faisant un gros plan de leur visage, devant un fond blanc. Barbe mal rasée, regard fiévreux, arme aux mains, uniformes de fortune sur lesquels on a cousu une croix de Lorraine? Ce portrait exceptionnel de l'armée de l'ombre « signe l'acte de naissance d'Izis l'artiste », comme l'écrivent Armelle Canitrot et Manuel Bidermanas (le fils d'Izis), les commissaires de l'exposition.S'en est donc terminée de la photo de studio. En 1949, Izis intègre « Paris Match » et réalise d'extraordinaires photos de personnalités de l'époque qu'il n'hésite pas à mettre en scène. Tel Roland Petit dont les doigts, puissants, miment une chorégraphie. Sans oublier les animaux du Jardin des Plantes, enfermés dans une cage, le regard triste. Autant d'images qui se lisent comme l'autoportrait d'un exilé, coupé de ses racines et de sa famille.Entre deux commandes, le photographe flâne dans Paris, appareil au poing. Et c'est un tout autre travail. Raconter le quotidien dans sa réalité la plus crue ne l'intéresse pas vraiment. Lui préfère jeter un voile de poésie sur sa ville, flirtant avec le surréalisme. Son « passage de Gergovie », en ombre et en lumière, rappelle les tableaux de Magritte. Mais il y a là aussi, quelque chose d'un peu effrayant. Comme ce clochard cul-de-jatte des bords de Seine, dont les jambes ont été remplacées par des pics. « C'est mon Paris que je photographie, explique-t-il. Ce n'est ni le Paris moderne, ni le Paris ancien. »Yasmine Youssi
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