Le conflit d'intérêts est au coeur de l'actualité. Il n'est pas une semaine sans que ne soit révélée une suspicion de conflit d'intérêts ! Ce thème revient inlassablement dans toutes les affaires politiques, économiques et judiciaires évoquées dans la presse, depuis quelques mois. La question revêt une importance telle qu'une "commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique" a été mise en place suivant le décret pris en Conseil des ministres le 8 septembre.

Chacun pressent bien sûr ce que recouvre la notion de conflit d'intérêts. Elle a pu être définie comme "une situation dans laquelle le jugement professionnel est susceptible d'être influencé de manière excessive par un intérêt secondaire, pouvant lui faire perdre son indispensable objectivité". Toutefois, sauf rares exceptions, la notion de conflit d'intérêts n'a, en droit français, qu'une valeur éthique ou philosophique mais aucune portée obligatoire ou juridique. Seule la prise illégale d'intérêt constitue un délit.

La comparaison, à cet égard, avec la législation américaine est instructive. Outre-Atlantique, le conflit d'intérêts est intégré dans des dispositions législatives, tant au niveau national que fédéral au travers des codes de conduite administratifs tels que le Sunshine Act, les Standards of Ethical Conduct ou encore les règles de "whistleblowing".

La loi de réforme de la santé (Physician Payments Sunshine Act), promulguée en mars 2010 aux Etats-Unis, constitue même une première mondiale en la matière puisqu'elle impose de strictes obligations aux laboratoires pharmaceutiques en matière d'information sur les conflits d'intérêts des professionnels de santé. L'objectif étant d'apporter plus de transparence sur les éventuels liens financiers entre ces professionnels et les laboratoires, il est ainsi prévu que les laboratoires pharmaceutiques devront déclarer, à partir de 2013, toute somme ou tout cadeau dépassant 25 dollars donnés à des médecins et à des institutions médicales (de formation et/ou de soins). L'indépendance et la transparence dans le domaine de la recherche médicale seront ainsi renforcées.

En France, l'élaboration d'une définition légale constituerait la pierre angulaire d'une nouvelle application de l'éthique dans la vie publique et dans le monde des affaires. Il ne faut pas que nous manquions collectivement le traitement du conflit d'intérêts pour au moins trois raisons : d'une part, en économie, pour faire de la gouvernance des entreprises françaises des modèles d'absence de conflit d'intérêts et d'orientation générale vers leur responsabilité sociale, afin d'éviter les doutes créés par le cumul des fonctions ; d'autre part en politique, pour éviter le syndrome du "tous pourris" qui a toujours fait historiquement le lit des extrêmes ; et enfin, dans l'économie sociale, si distinctive de notre pays, pour éviter les scandales à répétition de ces dernières années dans des associations d'investisseurs ou de lutte contre certaines maladies.

Dans ce contexte, les avocats ont une place centrale à jouer. Car, s'il est un sujet que les avocats connaissent bien, c'est celui-là, étant depuis toujours confrontés aux conflits d'intérêts. Pour répondre de façon pratique à cette question récurrente, ils ont élaboré une doctrine, défini une pratique et construit une jurisprudence. C'est pourquoi le barreau français est le référent évident, naturel, sur cette question cruciale. Son expérience est là et elle est unique en France. C'est à cet égard que son expérience doit être prise en compte dans la réflexion du législateur.

On peut donc naturellement considérer que le bâtonnier a sa place au sein de la commission instituée le 10 septembre dernier.

Et une question aussi capitale que celle du conflit d'intérêts mérite certainement mieux qu'une commission dont le seul objectif semble être de remettre un rapport au plus tard le 31 décembre 2010. Que se passera-t-il après ?