Le vendeur : une espèce à réinventer

Par Sophie Péters, éditorialiste à La Tribune.
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"Je peux vous aider ?" Cette simple question censée traduire la plus élémentaire politesse et offrir une bienveillance de bon aloi fait désormais fuir les clients. L'enquête menée par l'Observatoire Cetelem 2011 auprès de 8.700 consommateurs européens sonne le glas de la profession de vendeur. Face à un consommateur enquêteur, aux allures de détective privé, le vendeur ne fait plus le poids. Pire : il est d'emblée perçu comme un baratineur voulant coûte que coûte placer sa camelote, un bonimenteur inefficace, jugé dans le meilleur des cas souriant et aimable. Seuls 32% des sondés déclarent avoir eu affaire à un vendeur compétent lors de leur dernier achat. Ils vont même jusqu'à éviter tout contact une fois dans le magasin.

Juste retour des argumentaires marketing appris sur le bout des doigts, et débités sans âme, façon VRP ? Effet délétère de la rémunération à la commission qui fait d'eux des incitateurs à l'achat ? Le proverbe québécois "Bon menteur bon vendeur" ne prend pas une ride. Mauvaise réputation... sans surprise. En 1651, l'écrivain George Herbert notait qu'il faut "cent yeux pour acheter, aucun pour vendre". En 1951, l'industriel Auguste Detoeuf, dans ses "Propos d'Odile Barenton Confiseur", ironisait, lui, sur le cahier des charges "un volume destiné à définir une commande dans lequel tout est prévu sauf la bonne foi du vendeur".

Mais la société de l'hyper-choix lançant des nouveautés à flux continu a changé la donne. Les consommateurs par souci de ne pas décrocher ont endossé les habits de l'expert. Pour ne plus avoir le sentiment désagréable de se faire forcer la main, ils ont repris... la main. Internet leur a fourni l'instrument de leur nouvelle liberté pour mieux les affranchir de la dictature des vendeurs et des marques. Face à des prix qui varient d'un jour à l'autre (du billet de train ou d'avion aux promos permanentes), les acheteurs pratiquent désormais un sport de haut niveau : l'achat malin, revendiqué par 60% des Européens majoritairement rompus à la comparaison des prix. Près d'un consommateur sur deux recherche systématiquement les promotions et 89% disent se renseigner sur le Net avant un achat, quel que soit leur âge ! En France, les sites de comparateurs de prix génèrent entre 1,7 et 5,7 millions de visiteurs uniques par jour. Résultat : l'acheteur en sait souvent beaucoup plus que le vendeur. Ceux qui prédisaient la mort des magasins en dur, le clic ayant eu le dessus sur le "mortar", se sont trompés de cible : Internet a mis les vendeurs en danger.

Vont-ils alors disparaître ? A priori, non. Une présence en magasin est vivement appréciée pour autant qu'elle soit à la hauteur des attentes. D'autant que l'acte d'achat est encore considéré comme un acte de plaisir. L'avertissement envoyé aux enseignes est clair. Elles, qui ces dernières années ont refait logos, vitrines et architectures à grands frais, seraient bien inspirées de revoir le mode de formation et de recrutement de leurs forces de vente, de repenser leur rôle en magasin et de préférer la complicité à la séduction. A mi-chemin entre le guide de haute montagne et le passionné de nouveautés. Entre le vendeur façon Vieux Campeur et celui de la Fnac première génération. Serviable mais pas collant, intéressant sans être trop bavard, connaisseur sans en faire des tonnes. Il ne s'agit plus de vendre mais de créer une relation.

Les Japonais ont inventé un nouveau concept bien inspiré : le "tryvertising" ou comment l'essai en magasin devient une expérience qui profite à la communauté. Mis en place par Uniqlo, Timberland, Swatch ou encore Nike dans des espaces où il n'est pas question d'acheter... juste d'essayer, les vendeurs font figure de détonateur de désir et de passeur d'envie. En Espagne, une marque de textile propose dans ses magasins des caméras reliées à Facebook pour partager le look testé en boutique. Il y a urgence à revoir les priorités : seuls 30% des ménages français se disent prêts à consommer davantage qu'en 2011. En Europe du Sud, les intentions d'épargner font la course en tête devant les envies de consommer. L'enjeu sera de retrouver dans les années qui viennent cette confiance perdue. Le vendeur pourrait alors devenir un puissant cheval de Troie.

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