Les pièges potentiels des valorisations des jeunes pousses

Uber, Airbnb, Snapchat... avec leurs valorisations stratosphériques en milliards de dollars font la une des médias. Ces chiffres capturent l'imagination, mais peuvent conduire à des malentendus si l'on ignore le mécanisme du financement en capital-risque. Par Cyril Demaria, Executive Director, Private Markets Analyst au Chief Investment Office de UBS (Zurich).
Cyril Demaria

Un train peut en cacher un autre. De même, des valorisations peuvent en cacher d'autres lorsqu'il est question des jeunes pousses financées par capital-risque. D'après Bloomberg, Dropbox, Airbnb, Pinterest, Snapchat et Uber sont ainsi valorisées à plus de 10 milliards de dollars. Ces chiffres capturent l'imagination, mais peuvent conduire à des malentendus si l'on ignore le mécanisme du financement en capital-risque.

Investir en capital-risque diffère de l'achat d'actions cotées

Sur un marché coté, la valeur d'une entreprise (sa capitalisation boursière) est en lecture directe : il s'agit de multiplier le prix par action par le nombre d'actions de cette entreprise. Ce raisonnement ne s'applique pas au capital-risque.

Les investisseurs ont pour objectif d'aider les jeunes pousses à atteindre la prochaine étape de leur développement en leur apportant des capitaux en échange d'actions nouvellement émises. Ce financement s'opère en plusieurs tours successifs.

Chaque tour de financement crée une nouvelle catégorie d'actions, dotées de droits (politiques et économiques) et de protections spécifiques. Ces actions répondent à des besoins très précis. Une motivation est de relever le défi consistant à établir la valorisation d'une société sur la base de projections financières sujettes à beaucoup d'hypothèses et d'incertitudes.

Ces incertitudes conduisent les investisseurs actuels et prospectifs à négocier non seulement un prix par action, mais aussi des droits de veto, des droits de vote multiples, des droits de sortie pour les investisseurs et souvent des clauses de liquidité. Par ailleurs, les investisseurs diffèrent dans leur nature, engagement et objectifs, notamment financiers. Les attributs des actions créées reflètent ces divergences.

La valorisation, un élément parmi d'autres des négociations

Les actions de sociétés non cotées ne sont donc pas fongibles. Ce point est essentiel : une action d'une jeune pousse n'est pas équivalent à une autre action de la même jeune pousse. Selon la balance des pouvoirs entre parties présentes, les clauses de liquidité peuvent ainsi donner à certains investisseurs le droit de récupérer leur investissement avant quiconque, voire de générer un profit avant même que d'autres investisseurs n'aient reçu quoi que ce soit. Certains pourront vendre leurs actions en priorité lors d'une éventuelle introduction en Bourse, avant les autres investisseurs.

Le prix par action n'est donc qu'une composante de la négociation parmi bien d'autres, à la différence de ce qui se passe sur le marché coté où la quantité et le prix par action sont les dimensions qui importent.

C'est pour cela que la valeur de la société lors de la sortie des investisseurs a une signification différente selon la catégorie d'actions détenues. Certaines clauses prévoient par exemple que certains investisseurs peuvent exercer des options d'achat d'actions pour changer le pourcentage de la société qu'ils détiennent après la date de leur investissement, diluant au passage les autres investisseurs, par exemple si une introduction en Bourse se fait à une valeur inférieure à celle à laquelle ils ont acheté les actions de la société : les clauses de liquidité leur garantissent une rémunération de leur investissement quoi qu'il arrive.

Quelles conséquences pour les investisseurs ?

Les pactes d'actionnaires des jeunes pousses revêtent donc une importance particulière : ils détaillent en particulier les droits et protections négociées par le passé par les différents investisseurs. Acheter les actions d'une société non cotée sans accéder au pacte d'actionnaires (en supposant qu'il y en ait un), aux comptes historiques et prévisionnels, ainsi qu'à la table de capitalisation de l'entreprise est équivalent à placer une mise dans un jeu de hasard : même si le gain potentiel est élevé, le manque de dispositions pour gérer activement les pertes revient de fait à exposer l'investisseur à un risque non maîtrisé. Ceci n'est pas souhaitable. Investir en capital-risque requiert donc un certain engagement de l'investisseur souhaitant mener ses investissements lui-même ; ou le recours à des intermédiaires spécialisés, tels que des fonds, s'il ne souhaite pas assumer la charge de travail et ce type de responsabilité.

___

L'AUTEUR

Cyril Demaria est Executive Director, Private Markets Analyst au Chief Investment Office de UBS (Zurich). Il est l'auteur de Introduction au private equity (RB Editeur, 5ème éd.), Introduction to private equity (Wiley, 2nd ed.) et de Private equity fund investments (Palgrave, 2015).

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 29/11/2015 à 16:57
Signaler
Insightful and inspiring

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.