Chronique de François Clemenceau : pour une grande Europe sans Poutine ni Erdogan

CHRONIQUE LE MONDE À L’ENDROIT - Le rapport publié cette semaine par la Commission européenne sur l'élargissement de l'UE à l'Ukraine et aux Balkans s'adresse indirectement aux ex-Empires de retour.
Chronique François Clemenceau
Chronique François Clemenceau (Crédits : © DR)

« Une nécessité stratégique » : la secrétaire d'État aux Affaires européennes, Laurence Boone, a raison de décrire ainsi l'élargissement à venir de l'Union. Le rapport à ce sujet de la Commission européenne rendu public mercredi est une bonne nouvelle. Autant pour les citoyens européens que pour les peuples des nations aspirant à partager nos valeurs démocratiques et la promesse d'une vie plus prospère. Bien que tous les candidats potentiels ou reconnus ne soient pas tous au même niveau, et parfois loin de là, cette offre est à la fois une boussole pour savoir ce que nous sommes et un repère pour les prétendants.

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L'annexion de la Crimée par la Russie puis l'invasion de l'Ukraine tout entière ont fait sortir les Européens de leur naïveté. Non, Vladimir Poutine ne vise pas que le retour de Kiev dans la Russie d'antan. Ses services déstabilisent depuis des années tous les pays de l'ancienne sphère d'influence soviétique. Les exemples de la Géorgie ou de la Moldavie sont criants avec leur lot d'intimidations et de sabotages. Mais ceux, moins connus, du Monténégro ou de la Macédoine du Nord laissent entendre que le Kremlin fera tout pour retarder ou neutraliser leur cheminement vers l'UE. Nous sommes là dans une ex-Yougoslavie que Tito avait voulue autonome mais dont l'héritière serbe, après le morcellement de la fédération, est considérée comme la pièce maîtresse de Moscou dans la région pour pouvoir rivaliser aussi bien avec l'UE qu'avec la Turquie ou la Chine.

De quoi aurions-nous peur dans les Balkans ? En matière de population, et en imaginant que l'élargissement se fasse en une seule fois, les pays balkaniques candidats à l'UE ne représentent qu'à peine le poids de la Roumanie. Certes, le PIB global de ces nations est un enjeu. Mis à part la Serbie, plus riche que la Lettonie ou que Chypre, il faudra des années avant que les plus pauvres des autres candidats - le Kosovo ou la Moldavie - rejoignent le peloton de queue des Vingt-Sept. Mais on a compris à Bruxelles, comme à Berlin et finalement à Paris, que les faire tous patienter une ou deux décennies de plus reviendrait à les jeter dans les bras des ex-empires.

Économiquement, la Chine est en première ligne. « En Serbie, la plus grande économie des Balkans occidentaux, la valeur nette des investissements chinois est passée de 2,4 millions d'euros en 2010 à 1,4 milliard d'euros en 2022, écrit Marina Vulovic, chercheuse spécialiste des Balkans, dans un rapport publié au mois de juillet par le très réputé Stiftung Wissenschaft und Politik (Institut allemand des affaires internationales et de sécurité). La Chine était l'an dernier le plus gros investisseur en Serbie juste derrière l'Union européenne, avec 1,46 milliard. » Le président, serbe, Aleksandar Vucic, reste le seul dirigeant de la région à semer le doute à Bruxelles sur ses intentions. Son électorat ultranationaliste lui interdit tout accord de paix avec le Kosovo, condition sine qua non pour entrer un jour dans l'UE, et l'incite à rester solidaire des Serbes de Bosnie qui menacent de faire éclater le gouvernement de Sarajevo. Il se compare volontiers également au Hongrois Viktor Orbán, ce qui en dit long sur ses velléités de bâtir un État de droit digne de ce nom.

Stratégiquement, c'est la Russie qui, à l'exception de la Hongrie, fait l'unanimité contre elle en Europe

Culturellement et religieusement, la Turquie est des plus actives dans toute la région afin de concurrencer ses rivaux saoudiens, émiratis ou qatariens. « Elle a renforcé son "soft power" en multipliant les mosquées - 240 au Kosovo ces quinze dernières années - et Tika, son agence de coopération et de développement, est le plus grand pourvoyeur d'aide dans la région, signale le géopoliticien Michel Nazet dans une note publiée cet été sur le site Diploweb. La Turquie finance la construction d'écoles et d'universités, multiplie les centres culturels Yunus Emre. Sur 23 centres culturels turcs dans le monde, 12 sont présents dans les Balkans. »

Mais stratégiquement, c'est la Russie qui, à l'exception de la Hongrie, fait l'unanimité contre elle en Europe. « Par naïveté ou non, la Commission ne met pas sur le même plan la Russie et la Turquie, qui est par ailleurs elle aussi candidate à l'UE et avec qui Bruxelles continue de dialoguer dans le cadre de l'Union douanière et de la Conférence politique européenne, commente Sébastien Maillard, conseiller spécial au Centre Grande Europe de l'Institut Jacques-Delors. Elle ne voit pas Ankara comme un rival systémique, alors que c'est le terme qu'elle utilise pour la Chine et la Russie. »

On l'a compris, si l'UE n'est pas à la hauteur du défi de l'élargissement, comme ce fut le cas après la chute du mur de Berlin lorsqu'elle tendit la main aux pays de l'Est, l'Europe démocratique pourra dire adieu à ses prétentions de devenir « géopolitique », selon le qualificatif utilisé en 2019 par Ursula von der Leyen dès sa prise de fonction à la tête de la Commission. ■

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Commentaires 9
à écrit le 12/11/2023 à 15:56
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Bonjour, avant toute chose cette grande europe n'existent pas...donc ils y a beaucoup de travail a se niveau.. Nouvelles constutution européenne, nouveau traité européennes, changement des regle de fonctionnements du parlement européen. Ensuites...

le 13/11/2023 à 9:27
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faire l'europe oui mais pas l' actuel des technos de bruxelles et leurs dirigeants non elus il faut rendre au peuple européen le choix de vivre ensembles et pas celle d'une extension de l'europe permanente ont peu aussi demander a tout les europ...

à écrit le 12/11/2023 à 14:45
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Je dirai sans Erdogan et avec Poutine.

le 13/11/2023 à 15:32
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Sans Erdogan, c'est acquis. Pour l'autre, moins il s'intéressera à l'Europe de l'Ouest, et continuera de se vassaliser vis à vis de Pékin, ça sera bien.

le 13/11/2023 à 16:46
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... pour vous, il y a des dictateurs fréquentables, voire, entre deux, vous choisissez le criminel contre l'Humanité, vous ?

à écrit le 12/11/2023 à 13:31
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Pour des pays indépendants et souverains Sans europe ,sans François Clémenceau et sans Macron , bref sans néo libéralisme qui fait que le citoyen ne mange plus que 2 X par jour !

à écrit le 12/11/2023 à 9:06
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S il est exact que les empires russes et ottomans n ont rien à faire en Europe, l intégration des Balkans et Ukraine n est en rien une évidence (zone orthodoxe et musulmane face à une europe historique catholique et protestante). L Europe refuse de r...

le 13/11/2023 à 15:29
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Quelque part, vous avez raison de remonter à Tito; lequel avait réussi à regrouper des mini entités (le cancer de l'UE). Mais certaines idées ne survivent pas à leurs auteurs. Pas certain que la vie en Yougoslavie ait été un paradis, à l'époque.

à écrit le 12/11/2023 à 9:05
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En effet avec tous les obscurantistes que nous avons en UE pas la peine d'aller en chercher ailleurs !

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