Depuis la descente des sénateurs à Bercy pour comprendre le drame budgétaire de l'an dernier, on sait que le ministre des Finances, Bruno Le Maire, et son collègue chargé des Comptes publics, Thomas Cazenave, avaient été avertis dès décembre par une note de l'administration des mauvaises surprises fiscales révélées ce printemps. Les rentrées de TVA et de l'impôt sur les sociétés ont souffert, et c'est normal, du ralentissement économique. Mais la principale déception est venue de la taxe sur les superprofits des énergéticiens, qui porte un nom prédestiné, la Crim ou contribution sur la rente inframarginale de la production d'électricité : elle a rapporté beaucoup moins que prévu. Sur deux ans, selon la Cour des comptes, l'État n'a recouvré que 2,8 milliards d'euros au lieu des 12,3 milliards escomptés. Dont seulement 300 millions l'an dernier !
Pourtant, il y avait du grain à moudre puisque, selon la Cour des comptes, les producteurs, distributeurs et intermédiaires sur le marché de gros de l'électricité ont encaissé plus de 30 milliards d'euros de marges. Le problème, c'est que les prix de l'électricité se sont effondrés, ce qui a réduit à peau de chagrin les espoirs mis sur ce nouvel impôt. Sauf à prévoir une taxation rétroactive, juridiquement risquée, pas facile pour l'État de revenir pomper les bénéfices de ceux qui ont profité des aberrations du fonctionnement du marché de l'énergie aux débuts de la guerre entre la Russie et l'Ukraine.
Alors que sa majorité se fracture face au vent de rigueur qui souffle sur les finances publiques du pays, l'exécutif se retrouve dans les cordes à quelques mois des élections européennes du 9 juin. Sous la menace d'une dégradation de la notation de la France fin avril et début mai, le gouvernement cherche, en mode panique, des économies. Mais comment convaincre dans ces conditions que la réforme controversée de l'assurance chômage a des motifs autres que budgétaires ? La mesure divise et des ténors comme Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée nationale, ou François Bayrou, le fondateur du MoDem, réclament que l'effort soit mieux réparti.
Sous la menace d'une dégradation de sa notation, la France cherche, en mode panique, des économies
Il n'en fallait pas plus pour rouvrir la boîte de Pandore des hausses d'impôts. Bruno Le Maire y met son veto absolu. Au prix de son éventuel départ du gouvernement ? Le Premier ministre, Gabriel Attal, se montre plus ouvert. Il a nommé une mission parlementaire sur la taxation des rentes, confiée au rapporteur du budget, le député Jean-René Cazeneuve. Cette mission devrait aller bien au-delà de la fameuse Crim : Nadia Hai, classée à l'aile gauche de la majorité présidentielle, affirme certes vouloir « recalibrer » cette taxation, mais elle veut aussi « aller regarder tous les secteurs d'activité : les transports, dont les autoroutes, les laboratoires pharmaceutiques ». Elle souhaite aussi « un système de taxation sur les rachats d'actions » des grandes entreprises.
Un petit point de CSG sur le capital, c'est si vite arrivé...
Bref, le vent tourne pour la fiscalité des grands groupes et de leurs actionnaires. Pour rappel, selon La Lettre Vernimmen, les groupes du CAC 40 ont racheté leurs propres actions à hauteur de 30 milliards d'euros en 2023 après 23 milliards d'euros en 2022. L'abus de cette pratique avait conduit Emmanuel Macron à dénoncer le 22 mars 2023 le « cynisme » des grandes entreprises « qui font des revenus tellement exceptionnels qu'elles en arrivent à [...] racheter leurs propres actions ». Le président avait réclamé une taxation pour moraliser cette pratique. Une contribution exceptionnelle a été créée dans la dernière loi de finances, à hauteur de 1 %, mais elle ne s'applique qu'aux entreprises qui ne partagent pas leurs profits avec leurs salariés. Or, la plupart des grands groupes ont des plans de participation et d'intéressement généreux. Autant dire que l'oukase présidentiel sera assez indolore. Aux États-Unis, sur le même sujet, le président Biden a eu la main plus lourde, souhaitant imposer une taxe de 4 % aux rachats d'actions, qui continuent pourtant de plus belle.
Seul tabou fiscal qui tient encore, le PEA et l'assurance-vie ne seraient pas visés. Mais qui peut garantir que cela restera le cas à l'échelle de la décennie alors que la France accuse les déficits publics les plus importants de l'Union européenne ? Un petit point de CSG sur le capital, c'est si vite arrivé... Et cela rapporte gros : plus de 15 milliards d'euros par point. On connaîtra cette semaine les nouvelles prévisions de la programmation pluriannuelle des finances publiques. Il sera facile de mesurer si l'effort de rigueur pour revenir aux 3 % du PIB de déficit en 2027 reposera seulement sur les dépenses publiques ou bien nécessitera un tour de vis fiscal.
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