Nvidia Wars : celui qui contrôle les puces contrôle l’univers !

CHRONIQUE L'ŒIL DE L'ÉCO — Retrouvez chaque semaine la chronique de Philippe Mabille, directeur de la rédaction de La Tribune.
Philippe Mabille
(Crédits : DR)

« He who controls the Spice controls the Universe ». Celui qui contrôle l'Epice contrôle l'Univers... Si vous avez comme moi prévu d'aller voir ce dimanche au cinéma le deuxième opus de la saga Dune dans la version de Denis Villeneuve, vous trouverez sûrement dans cette citation du célèbre roman de Frank Herbert matière à réflexion. Comme souvent dans la science-fiction, il n'y a pas loin de Hollywood à la Silicon Valley. Pour les curieux, retrouvez ici la critique du film dans La Tribune Dimanche.

Pour rappel aux non-initiés, l'épice, aussi appelée le Mélange, est la substance indispensable aux voyages interstellaires et une drogue qui prolonge la vie (et rend les yeux bleus au passage). Produite par des vers de sable géants, on ne la trouve que sur Dune, la planète-désert Arrakis, où elle fait l'objet d'une lutte sans merci entre le méchant Baron de la Maison Harkonnen et le gentil duc Leto de la Maison Atréides. Comment ne pas faire le lien avec les enjeux de notre époque tourmentée. Quand Frank Herbert écrit le cycle de Dune, en 1957, il pense sans aucun doute au pétrole, dont la sécurité d'approvisionnement est vitale aujourd'hui encore au fonctionnement de l'économie mondiale.

Mais l'épice du 21ème siècle s'incarne plus sûrement dans les micro-processeurs indispensables au développement des nouvelles technologies. Depuis le milieu de la dernière décennie, une véritable guerre des puces oppose les Etats-Unis à la Chine avec pour enjeu la domination mondiale dans l'intelligence artificielle.

Nvidia wars



Un blogueur américain, Stewart Alsop III, s'est donc amusé à faire l'analogie entre Dune et la bataille pour l'IA. Et a produit l'image ci-dessus, reprise de LinkedIn. Et franchement, c'est très bien vu. La planète Arrakis, c'est bien sûr Taïwan, où Nvidia, le leader mondial des puces dédiées à l'IA, sous-traite la production de ses GPU (Graphics Processing Unit, processeurs graphiques), l'équivalent de l'épice pour entraîner les LLM, les Large Langage Models des géants de la tech. Une île âprement convoitée par la Chine, comparée à la Maison Harkonnen, tandis que les Etats-Unis sont le siège de l'Empire, qui tente désespérément de conserver le contrôle de l'épice et le monopole des voyages spatiaux.

Ne poussons pas plus loin la comparaison : on l'a bien compris, plus que la guerre nucléaire agitée par Poutine, le monde s'inquiète par-dessus tout d'une rupture de la chaîne d'approvisionnement en microprocesseurs si la Chine envahissait Taïwan. C'est la raison pour laquelle TSMC, la Taiwan Semiconductor Manufacturing Company, la plus importante fonderie de semi-conducteurs avec la moitié de l'offre mondiale, déploie des usines partout. Le groupe vient d'ouvrir une première méga-usine au Japon et prévoit déjà d'en construire trois autres dans l'île de Kyushu, en passe de devenir une « silicon island ». Le groupe taïwanais est aussi en train de s'installer en Arizona et envisage de s'implanter en Allemagne dans le cadre du Chips Act européen. Bref, le monde entier est en train de s'organiser pour éviter une pénurie de puces, « l'épice » vitale des industries du futur, de l'automobile à l'aéronautique en passant par l'intelligence artificielle.

Une hausse de 15.752%

A ceux qui craignent que cette guerre des puces finisse par provoquer une surproduction qui fera s'effondrer les prix, les géants de la tech opposent les besoins colossaux engendrés par l'accélération de l'IA. En janvier, Sam Altman, le PDG d'Open AI, le développeur de ChatGPT, a évoqué un besoin d'investissement de 5000 à 7000 milliards de dollars pour fournir les micro-processeurs dont l'IA aura besoin. Plus que ce qui serait nécessaire pour décarboner et sauver la planète du réchauffement climatique...

Le principal bénéficiaire de cette guerre est Nvidia, dont le cours de bourse s'est envolé de plus de 600% depuis la sortie de ChatGPT dans le grand public en octobre 2022. Depuis 2015, le cours de ce fabricant de cartes graphiques pour jeux vidéo s'est même adjugé une hausse de 15.752% ! Trop pour certains qui commencent à comparer la bulle de l'IA à la bulle « dotcom » du début des années 2000. Certains analystes prédisent à Nvidia et à tous ceux qui s'efforcent de prendre le vent de l'IA le même sort que Cisco et les startups qui s'étaient écroulées lors du premier krach internet. "Nous nous approchons d'une zone d'excès", indique à La Tribune Vincent Chailley, le stratégiste de H20.

Pas si sûr, rétorquent les plus optimistes, pour qui les ventes sont en ligne avec la croissance du marché et qui considèrent que sa valorisation actuelle, près de 2000 milliards de dollars, est justifiée par ses fondamentaux. Lors de l'annonce de ses résultats, le 22 février dernier, la capitalisation de Nvidia a flambé de 270 milliards de dollars en une journée. Il faut dire que l'entreprise a conclu l'année avec un bénéfice trimestriel de 12 milliards pour un chiffre d'affaires de 22 milliards. Des marges colossales qui s'expliquent par le fait que Nvidia est une « fabless », une entreprise sans usine, qui sous-traite toute sa production. Certains concurrents accusent aussi Nvidia d'organiser la pénurie sur le marché des puces dédiées aux serveurs de l'IA, pour faire monter les prix. Ce dont le groupe se défend. Une chose est sûre, Nvidia est devenu l'incontournable baromètre de la croissance de l'intelligence artificielle et beaucoup rêvent du même destin. Hélas, s'il y a beaucoup d'appelés, il y aura peu d'élus dans un marché qui se concentre.

La guerre pour l'épice n'est pas prête de s'achever. D'autant que l'Europe se réveille enfin. La startup française Mistral l'a montré la semaine dernière en annonçant un accord avec Microsoft pour son nouveau modèle d'IA, joliment appelé « Le Chat », jeu de mot... S'attirant la foudre des autorités de concurrence alors que Microsoft a déjà un accord exclusif avec le ChatGPT d'Open AI. La Commission européenne va examiner de près ce partenariat. Dans La Tribune, la secrétaire d'Etat au numérique, Marina Ferrari, s'est félicité que le Français Mistral casse le duopole Microsoft-Open AI, fusse au prix d'une alliance avec Microsoft, et d'un renoncement à l'open source pour le développement de ses produits. La guerre de l'IA doit rester un business. Et on attend déjà avec impatience la sortie de Dune 3, le troisième opus de la saga.

Philippe Mabille

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Commentaires 5
à écrit le 04/03/2024 à 7:19
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Bonjour, Actuellement ils y a de l'électronique dans tous, de la machine a cafés, voitures et bombe guidée par laser... Donc forcément s'est une composants stratégique... Si non, ils y a un recule technologique de 50 ans... Bien sur ils ne faut ...

à écrit le 03/03/2024 à 22:24
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Nous aussi on eu notre guerre des puces ! les puces de lit... Nous entrons dans l'ère de l'économie de la connoissance mon Jacquouille ! rah pfff ! dans l'même temps comme dirait messir, ils ont inventé une machine à rendre l'utilité de l'homm...

à écrit le 03/03/2024 à 19:49
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Bof, le japon sera incapable de se défendre dans un siècle, il n'y aura que des vieux, le japon se meurt lentement mais surement à cause de leurs traditions sociales... la Chine aura alors un boulevard

à écrit le 03/03/2024 à 19:31
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Jolie clin d'œil dans le titre, au film "Dune".. Celui qui contrôle l'épice...

à écrit le 03/03/2024 à 11:03
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Pourtant on a bien l'impression que ce sont ceux qui contrôlent la bouffe et les médicaments qui possèdent, et détruisent tout d'ailleurs. Non les geeks eux ne sont pas une menace.

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