« Esquiver le débat sur l’élargissement est une grave erreur » (Nathalie Loiseau)

OPINION- Ukraine et Moldavie : les dirigeants européens doivent se prononcer ces prochains jours sur leurs potentielles adhésions à l'Union européenne.
Nathalie Loiseau
Nathalie Loiseau (Crédits : JEAN-CHRISTOPHE MARMARA)

La Commission européenne dira ces prochains jours si l'Ukraine et la Moldavie sont prêtes à entamer les négociations en vue de leur adhésion à l'Union européenne. Puis les dirigeants des 27 pays déjà membres devront se prononcer à leur tour. Leur verdict est attendu à Kyiv et à Chisinau avec ferveur. Dans les Balkans, l'envie se dispute à l'agacement. Chez nous, cette perspective suscite au mieux l'indifférence, au pire l'hostilité. Nous nous trompons doublement : ceux qui, dans le monde politique ou dans les médias, esquivent un débat aussi important se trompent. Ceux qui, par réflexe pavlovien, s'opposent à tout élargissement, plus encore.

Certes, ce n'est pas la première fois que les Français risquent de passer à côté de l'histoire en marche de notre continent. Mauriac moquait l'Allemagne, qu'il « aim[ait] tellement » qu'il se disait « ravi qu'il y en ait deux ». Mauriacien en diable, François Mitterrand a vécu sans enthousiasme sa réunification. En 1991, un ambassadeur mal inspiré jurait que « si la Yougoslavie éclatait, ce serait de rire ». On sait ce qu'il advint. Peu avant qu'ils ne rejoignent l'UE, Jacques Chirac disait des pays d'Europe centrale qui pensaient différemment de lui qu'ils avaient « manqué une occasion de se taire ». C'est peu dire, comme l'a rappelé Emmanuel Macron à Bratislava, que trop souvent nous n'avons pas su écouter le souffle de l'Histoire.

"Il est de notre intérêt que l'Ukraine et la Moldavie s'ancrent à l'Europe, comme elles le souhaitent"

Nathalie Loiseau

Que nous dit-il aujourd'hui ? Que le destin de l'Ukraine et le nôtre sont étroitement liés. C'est dans notre intérêt que la guerre s'achève par un affaiblissement durable de l'agressivité russe, à l'encontre de Kyiv comme de nous. Il est de notre intérêt que l'Ukraine et la Moldavie s'ancrent à l'Europe, comme elles le souhaitent. C'est aussi notre chance. Mesurons-nous bien à quel point cette Europe que nous avons construite, que nous aimons blâmer pour tout et pour rien, exerce son pouvoir d'attraction, sans forcer personne ni à la rejoindre, ni à y rester - le Brexit le prouve - et combien les Britanniques qui l'ont quittée sur des mensonges le regrettent ? Mesurons-nous bien combien, dans le nouveau désordre du monde où rivalisent des logiques de blocs, notre intérêt passe par un renforcement de nos atouts et non par un renoncement à la puissance ? Que proposent ceux qui s'opposent par principe à l'élargissement de l'Union européenne, si ce n'est notre repli frileux, notre renoncement à peser sur la marche du monde et notre condamnation à devenir à terme une péninsule racornie à l'ouest de l'Asie ?

Pourtant, si tourner le dos à l'agrandissement ou plutôt à la réunification de l'Europe serait une faute majeure, escamoter le débat sur la forme, le rythme et les contours que prendra cette nouvelle aventure européenne serait une erreur funeste. Souvenons-nous qu'en 2005 une partie significative des votes hostiles au référendum sur la Constitution européenne a trouvé son explication dans la hantise que la Turquie rejoigne l'Europe. Depuis, cette inquiétude n'a plus lieu d'être, la Turquie ayant résolument tourné le dos à tout ce qui nous rassemble. D'autres peurs s'expriment, qu'il faut entendre et auxquelles on se doit de répondre. L'Ukraine, la Moldavie, les Balkans rejoindront-ils demain l'Union européenne, ou en 2030 comme l'a avancé de façon hasardeuse Charles Michel, au risque de nous déstabiliser ? Certainement pas. Il y a deux conditions, cumulatives et incontournables, à un agrandissement : que le pays qui candidate soit entièrement prêt à nous rejoindre et que nous soyons parfaitement prêts à l'accueillir. Si les négociations avec la Serbie et le Monténégro piétinent, c'est que nos attentes ne sont pas satisfaites. La France a proposé et fait adopter depuis plusieurs années une nouvelle méthode pour conduire les négociations d'adhésion, plus solide, moins bureaucratique et plus politique. Il faut tenir le cap.

Il faut aussi nous demander comment mettre en ordre la maison européenne avant de l'ouvrir à de nouveaux pays. Le chantier n'est pas mince, même si les enjeux sont connus. Il nous faut revoir les processus de décision et l'organisation des institutions pour éviter de gripper à 30 ou à 35 une machine qui hoquette déjà à 27. Il nous faut surtout plonger en profondeur dans les politiques européennes, défendre les priorités qui nous tiennent à cœur, politique agricole, transition écologique, énergie, et renforcer le socle de notre défense de l'État de droit. Nous le savons déjà, nous devons dès maintenant nous relever les manches. De ce point de vue aussi, la perspective de réunification de l'Europe est une chance, celle de s'agrandir en prenant du muscle au lieu de prendre du poids.

Cette semaine à Grenade, la Communauté politique européenne s'est de nouveau réunie. On avait moqué une lubie française, c'est désormais une nécessité reconnue par tous. Entre les pays membres de l'Union, ceux qui aspirent à la rejoindre, ceux qui n'y sont pas ou plus, il faut renforcer les liens et bâtir un bloc qui préserve nos intérêts en promouvant nos valeurs.

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Commentaires 8
à écrit le 24/10/2023 à 8:41
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Il serait plus raisonnable actuellement de remplacer le sigle UE par OTAN.. Cette idée là de l'UE m’insupporte au point que je pourrais voter une rupture.

à écrit le 22/10/2023 à 17:37
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Quand on est incapable de donner une consistance à l'utopie européenne, on essaie de l'élargir. Mitterrand le faisait très bien, notamment pour détourner l'attention de ses échecs en France. La droite RPR UDF le faisait aussi, mais pour ne pas ass...

à écrit le 22/10/2023 à 12:53
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L'Ukraine n'a que la guerre à apporter à l'Europe

à écrit le 22/10/2023 à 10:12
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L'élargissement de l'UE où le manque déplorable d'idée européenne.

à écrit le 22/10/2023 à 9:34
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Bref ! L'uniformisation c'est tout ce qui intéresse les multinationales et la finance mais, pas les peuples qui en subissent les conséquences ! Et ne me parlez pas de "la libre circulation des personnes" car ils retrouvent chez eux ce qu'il y a aille...

à écrit le 22/10/2023 à 8:53
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L'Europe essai de reconstituer l'empire monarchique européen perdu. Sous prétexte d'un marché ouvert, on rétabli progressivement un gouvernement européen global totalitaire, ou les titre de propriété on pris la place des titres de noblesse. Quoique l...

le 22/10/2023 à 11:00
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Pourquoi vous préférez le joug russe chinois ou usa ? Ouvrez les yeux le monde bouge évolue et pas vous rivez sur votre petit village gaulois qui ne vous protègera pas …des autres autocrates … l’ Europe à tout intérêt à s élargir mais aussi à se re...

le 24/10/2023 à 6:41
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Entre une europe islamiste ou russe, mon choix est vite fait !

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