F-35 : quelle suprématie aérienne future de l'OTAN en cas de conflit de haute intensité ?

Selon le groupe de réflexions Mars, "le F-35 a été une formidable machine de guerre pour soumettre la défense européenne aux intérêts américains. Il risque d'être demain l'outil de la défaite de l'OTAN face à ses compétiteurs stratégiques". Car le F-35 est avant tout un chasseur bombardier furtif dont la capacité d'emport en soute (sinon il n'est plus furtif) ne lui permet pas de frapper à la fois loin et fort ; c'est l'un ou l'autre. Le rayon d'action du F-35A ne dépasse pas 1.000 km, et son autonomie sur zone est limitée à quelques minutes à cette distance. Par le groupe de réflexions Mars.
Le coût réel à l'heure de vol des 400 F-35 en service dans l'armée américaine était en 2019 de plus de 38.000 dollars constants 2012. Le coût objectif est fixé à 25.000 dollars l'heure de vol en 2025. (Le groupe de réflexions Mars)
Le coût réel à l'heure de vol des 400 F-35 en service dans l'armée américaine était en 2019 de plus de 38.000 dollars constants 2012. Le coût objectif est fixé à 25.000 dollars l'heure de vol en 2025. (Le groupe de réflexions Mars) (Crédits : INTS KALNINS)

Après la « révolution dans les affaires militaires » (RAM) caractérisée par la numérisation de l'espace de bataille (NEB), le combat collaboratif est l'avenir de la guerre de haute intensité. Paradoxalement, les progrès du combat connecté et en temps réel ont eu pour effet, non de donner un surcroît d'autonomie aux unités de combat, mais bien au contraire de les « caporaliser » malgré des souhaits évidents de subsidiarité. Dorénavant, le modèle tactique du groupe de combat d'infanterie se généralise à tous les milieux, avec un sergent, qui analyse la situation et donne des ordres de conduite à ses caporaux et ses grenadiers-voltigeurs en fonction de la mission reçue.

Dans les milieux « fluides » (espaces endo et exo-atmosphérique, marin et sous-marin) où le « pion de combat » (navire, aéronef) se caractérisait jusqu'à présent par son autonomie, le combat collaboratif a pour conséquence, via la « mise en réseau », de rendre chaque « pion unitaire » dépendant les uns des autres, au profit de la circulation de l'information en temps réel et, ainsi, d'une meilleure maîtrise de la situation d'ensemble.

Une mise en œuvre compliquée

Telle est l'ambition du système Scorpion pour le combat terrestre autour de la vétronique, de la radio logicielle et des transferts de données, mais les autres milieux ne sont pas en reste, comme l'a illustré la démonstration de combat collaboratif naval et de combat aérien connecté en Méditerranée orientale lors de l'opération Hamilton (avec tir de missiles de croisière). Le principe est simple : l'information, qui remonte de tous les capteurs déployés, est analysée par le « cerveau » du système, qui désigne instantanément la cible à l'effecteur (tireur) disponible le mieux placé.

La mise en œuvre est plus compliquée : il faut que capteurs et effecteurs soient (hyper) connectés dans un réseau durci à la guerre électronique et à la cyber-menace, sorte de « système nerveux » commandé par un « cerveau » qui doit analyser et trier toute l'information qui lui remonte en temps réel.

F-35, une architecture interdisant toute interopérabilité

Le programme JSF (joint strike fighter) lancé par les Etats-Unis dans les années 1990 avait pour objectif d'assurer aux forces de l'OTAN la supériorité aérienne grâce au combat connecté à partir d'une plateforme discrète tant sur le plan de la détection des radars adverses que de leurs systèmes de communication. Ce nouveau système d'arme repose sur un avion de combat finalement appelé F-35. Il s'agit d'un aéronef furtif affiché comme multirôle (chasseur-bombardier), mais surtout du « sergent » (quarterback) d'un « groupe de combat » constitué de tous les capteurs et effecteurs avec lesquels il peut communiquer directement (sans passer par une station au sol) en temps réel par liaisons de données tactiques extrêmement sécurisées (passerelles vers la liaison de données tactiques 16, puis liaison 22).

Le système F-35 pose en réalité de nombreux problèmes. D'abord parce qu'il est intentionnellement construit sur une architecture fermée interdisant toute interopérabilité avec des systèmes de combat alliés, ce qui est absolument contraire aux principes de l'OTAN. N'étant interopérable qu'avec lui-même, le système F-35 impose aux armées alliées de se doter de cet appareil pour être en mesure d'interagir directement avec lui, à moins de consentir à une interopérabilité en mode dégradé reposant sur des relais. Comme l'a rappelé la ministre des armées le 18 mars 2019 dans une formule plaisante, "the Alliance should be unconditional, otherwise it is not an alliance. NATO's solidarity clause is called article V, not article F35".

Déboires technologiques

Ensuite, le développement du programme JSF a été conçu dès le départ sous la forme d'une coopération léonine dans laquelle les pays membres du « club » étaient priés de contribuer à son financement en échange d'un certain retour industriel à due proportion de leur engagement financier. Autrement dit, le programme a asséché les budgets de R&D de plusieurs alliés sans aucune garantie sur le produit fini, contrairement à l'exportation d'un système d'arme déjà développé et dé-risqué. Les 14 utilisateurs étrangers du F-35 se répartissent donc en deux catégories : sept partenaires (la Turquie ayant été exclue pour avoir acquis le système russe de défense aérienne S400) qui ont contribué financièrement au développement du programme en échange d'un certain retour industriel et désormais sept clients (avec la Suisse) par le processus de cession FMS.

F35 program participants, tribune de MARS,

[F-35 Program Participants. Cliquer pour agrandir l'infographie. Source: U.S. GAO]

Enfin, et ceci découle de cela, la réalisation du F-35 ressemble à une longue suite de déboires technologiques, au point que le Pentagone, qui n'a jamais ménagé ses critiques à l'encontre d'un programme qui paraissait incapable de tenir ses délais et ses coûts, est tenté de réduire drastiquement ses commandes au profit d'appareils de génération plus ancienne (F15 modernisé) mais dont les performances réelles sont de nature à garantir encore la supériorité aérienne des forces américaines. Et on ne dira rien du système d'information logistique qui fait remonter toutes les données au constructeur, rendant chaque mission absolument transparente pour Lockheed Martin et indirectement pour le département de la défense américain, sauf pour la version israélienne, Tsahal exigeant de disposer d'un système logistique autonome.

Le programme est à ce point problématique que le GAO (la Cour des comptes américaine) publie chaque année plusieurs rapports publics constatant les progrès accomplis et faisant des recommandations en vue de limiter le désastre financier. Le dernier en date met en lumière une impasse de 6 milliards de dollars sur l'ensemble d'un programme dont les coûts sont vertigineux : un coût total du cycle de vie estimé à 1.700 milliards de dollars, dont 400 milliards pour l'acquisition et 1.300 milliards pour la mise en œuvre et le maintien en condition opérationnelle (MCO) de l'avion, soit une dérive de 150 milliards par rapport à l'estimation de 2012. Le coût réel à l'heure de vol des 400 F-35 en service dans l'armée américaine était en 2019 de plus de 38.000 dollars constants 2012. Le coût objectif est fixé à 25.000 dollars l'heure de vol en 2025. Tel est l'avion dont Armasuisse prétend qu'il a remporté la compétition en étant le moins cher sur ses coûts d'utilisation !

Suisse : le choix très surprenant du F-35

Du point de vue opérationnel, on ne peut que s'interroger sur l'apport du F-35 à l'armée suisse. Comme Israël le montre régulièrement, le F-35 est avant tout un chasseur bombardier (Joint strike) furtif dont la capacité d'emport en soute (sinon il n'est plus furtif) ne lui permet pas de frapper à la fois loin et fort ; c'est l'un ou l'autre. Le rayon d'action du F-35A ne dépasse pas 1.000 km, et son autonomie sur zone est limitée à quelques minutes à cette distance. Le F-35 est par ailleurs un avion trop lourd pour être très manœuvrant en combat aérien et dont le revêtement furtif le rend inapte au vol supersonique. C'est dommage car la Suisse a justement besoin d'un avion de défense aérienne, non d'un chasseur-bombardier à moyen rayon d'action.

En outre, le programme F-35 n'est pas encore parvenu au stade de la production en série (jalon C), car il reste plus de 800 défauts à corriger, certains engageant la sécurité des vols, alors que de nouveaux problèmes apparaissent, dont ceux du moteur Pratt & Whitney F-135, au fur et à mesure de la résolution de ceux déjà détectés. Le Pentagone doit dorénavant faire face à une véritable impasse capacitaire. Compte tenu de l'impossibilité manifeste de contenir les coûts du programme F-35, en dépit des promesses de Lockheed Martin jusqu'en 2019, les trois « services » dotés (Air Force, Navy et Marine Corps) envisagent sérieusement de réduire leurs flottes en remplaçant une partie des F-35 prévus soit par des avions de 4e génération modernisés, soit en accélérant le développement d'un avion de combat de 6e génération.

Il s'agit en effet de pouvoir compter sur une flotte fiable et performante face à des rivaux stratégiques qui, pour leur part, améliorent quantitativement et qualitativement leurs flottes respectives d'avions d'armes. Même un allié aussi fiable que le Japon est en train de revoir ses plans après la perte (non élucidée à ce jour) d'un F-35 abîmé en haute mer et face aux mauvaises performances tactiques et aux difficultés de prise d'alerte de défense aérienne de l'appareil contre les provocations chinoises.

Le F-35 n'est pas la hauteur des besoins de l'OTAN

Il en résultera à terme un manque de débouchés pour Lockheed Martin, ce qui explique la pression mise par le Département d'État (responsable de la procédure FMS) sur les prospects export, ne serait-ce que pour compenser l'abandon du marché turc. On souhaite bien du plaisir aux autorités helvétiques pour justifier leur choix en cas de votation, perspective qui semble de plus en plus vraisemblable. Le Rafale a peut-être encore un avenir sous les couleurs suisses.

Au-delà du cas de la Suisse, État neutre comme chacun sait, se pose la question de la suprématie aérienne future de l'OTAN en cas de conflit de haute intensité. Outre les Etats-Unis, huit nations membres de l'Alliance sont ou seront équipées d'un appareil dont les performances ne sont clairement pas à la hauteur des besoins. C'est toute la sécurité de l'Alliance qui risque ainsi d'être mise en péril par un programme non maîtrisé qui a siphonné une part non négligeable des budgets de R&D européens. Le F-35 a été une formidable « machine de guerre » pour soumettre la défense européenne aux intérêts américains. Il risque d'être demain l'outil de la défaite de l'OTAN face à ses compétiteurs stratégiques. Ceux-ci ne jouent pas imprudemment avec la constitution des capacités militaires de leurs propres forces et de leurs alliés.

Face à cette impasse capacitaire, l'OTAN sera conduite à court terme à encourager le retour à des appareils de 4e génération modernisés (tels que le Rafale F3R, en attendant le standard F4, mais aussi les F-15 EX, F-16 Viper, F-18 Super Hornet, l'aptitude de l'Eurofighter à évoluer restant à prouver) pour garantir sa posture et remplir ses missions. Cela permettra peut-être de clarifier l'avenir des programmes SCAF et Tempest.

___

(*) Le groupe Mars, constitué d'une trentaine de personnalités françaises issues d'horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l'industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.

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Commentaires 10
à écrit le 31/10/2022 à 16:45
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Comme d'habitude : c'est du F-35 bashing : presque toutes les caractéristiques que vous citez sont complètement erronées. Vous ne tenez pas compte des versions, des profils de mission, des senseurs embarqués et vous négligez complètement la pierre an...

à écrit le 31/08/2021 à 15:22
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L'appareil ne vaut pas plus que le pilote et on peut le répéter autant de fois que l'on le voudra!

à écrit le 31/08/2021 à 9:07
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Le combat aérien est un mythe de la bataille d'Angleterre, les chasseurs n'ont qu'une destination aujourd'hui c'est le bombardement et l'emport d'une charge nucléaire.

à écrit le 30/08/2021 à 14:45
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Tiens ! un article qui ose ! ca existe encore en France ? Pas prêt de voir chez France Télévisions ou BFM !

à écrit le 30/08/2021 à 12:01
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Dassault, le meilleur avion possible pour l'UE. Hélas, cette UE est bien moribonde , juste un ensemble hétéroclite de pays n'ayant aucune vision commune.

à écrit le 30/08/2021 à 10:26
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Comme quoi l'OTAN est devenu le service commercial du lobby militaro-industriel US, et les obligés des USA se reconnaissent à leurs achats de F35. CQFD!

à écrit le 30/08/2021 à 9:46
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Cette tribune ne dit rien de neuf, elle ne fait que répéter ce qui a déjà été écrit des centaines de fois, surtout depuis l'achat du F-35 par la Suisse. Cette tribune est dépourvue de propositions.

à écrit le 30/08/2021 à 9:17
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Le JSF a été très évidemment conçu pour piquer un maximum de fric au Pentagone, et ça a très bien fonctionné. Et s'il n'est toujours pas au point après 15 ans de développement alors qu'il a été vendu à plein de pays du bloc occidental, c'est de fai...

à écrit le 30/08/2021 à 8:49
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Biden est allé faire un tour en Suisse, peut-être la raison du choix qui a suivi pour le F35, le "meilleur" à tout point de vue. (?) Mais il semblerait, à vérifier, que ce soit une promesse virtuelle(furtive) si une votation décide de ne pas acheter...

le 30/08/2021 à 11:20
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c est sur qu il y aura votation en suisse. Le grippen a deja ete annulé comme ca et le F35 ets un choix probablement pire. par contre penser que ca veut dire que le le rafale revient en course est optimiste. si le rafale est choisit, il devra lui aus...

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