Sur les bords du Bosphore, c'est un familier des relations avec l'Union européenne qui le confie : « Ne croyez pas que la Turquie ramènera seule à court terme les Israéliens et les Palestiniens autour d'une table pour un nouveau processus de paix. » Très critique de la riposte israélienne à Gaza, le président Erdogan, parrain central de l'islamisme politique, a ordonné un deuil de trois jours dans toute la Turquie. Une solidarité si fusionnelle avec le peuple palestinien que tous les partis politiques turcs représentés au Parlement, y compris ceux de l'opposition, ont publié un communiqué commun condamnant le bombardement, mardi, de l'hôpital Al-Ahli de Gaza, l'attribuant à Israël pour le qualifier de « crime contre l'humanité ». Une expression qui n'avait pas été utilisée pour désigner les attaques terroristes du 7 octobre perpétrées par le Hamas, la Turquie y voyant le résultat de « l'oppression » des Palestiniens par l'État hébreu.
La Turquie d'Erdogan pourrait-elle influencer le Ham ?
Après avoir joint le président israélien et le chef de l'Autorité palestinienne, Erdogan s'est proposé immédiatement comme médiateur afin d'obtenir un cessez-le-feu. N'a-t-il pas lui-même su réconcilier son pays avec Israël, l'Égypte ou les Émirats arabes unis, réinvestir dans une diplomatie plus professionnelle que par le passé, superviser les accords entre la Russie et les Nations unies pour que l'Ukraine puisse exporter sa production céréalière ? Le nouveau ministre des Affaires étrangères, Hakan Fidan, n'a-t-il pas dirigé les services de renseignement turcs pendant treize ans et œuvré dans les coulisses à nombre de tractations régionales ? « Erdogan est capable de faire la jonction, que ce soit entre les Palestiniens eux-mêmes ou entre les Occidentaux et le Hamas », commente Dorothée Schmid, spécialiste de la Turquie à l'Institut français de relations internationales (Ifri), qui participait jeudi et vendredi aux travaux annuels de l'Institut du Bosphore, un centre de réflexion franco-turc soutenu par le patronat turc.
La Turquie d'Erdogan pourrait-elle influencer le Hamas et obtenir la libération d'une partie des otages qu'il détient depuis le 7 octobre ? « Nous n'avons pas d'influence sur le Hamas mais des contacts », dit-on à Ankara où la présidence ne cache rien de sa proximité avec certains cadres de l'organisation terroriste. Son leader, Ismaïl Haniyeh, qui bénéficie, selon Israël, d'un passeport turc mais vit en exil au Qatar, était à Ankara en juillet pour une rencontre avec Mahmoud Abbas organisée par le président Erdogan. Est-ce sous l'indulgente pression de ses parrains en 2017 que le Hamas a pu enfin modifier sa charte ? Elle prévoit désormais un État pour la Palestine dans ses frontières de 1967, mais sans toutefois reconnaître Israël.
Accords d'Abraham
« Pendant des années, avoue un diplomate européen, les Occidentaux en général ont accepté cette idée que le conflit israélo-palestinien était de basse intensité et qu'il ne fallait rien changer au statu quo, mais c'était une erreur. » Sous-entendu, la Turquie, elle, ancienne puissance tutélaire de la Palestine, est restée ancrée dans la réalité de ce conflit. « La Turquie se coordonne avec le Qatar, précise Dorothée Schmid, les deux pays ont des canaux communs. » De quoi être actif en coulisses et même un jour à la table au cas où. Un chemin fait de solidarité doctrinale islamiste mais aussi de pragmatisme pour rester engagé dans la région en tant que puissance. N'en déplaise à l'Iran chiite, ennemi juré de « l'entité sioniste », et à l'Arabie saoudite, tentée par les accords d'Abraham avec Israël mais que le sang versé des derniers jours a vite fait reculer.
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