« Les six enjeux du débat sur l’immigration » (Didier Leschi, Office français de l’immigration et de l’intégration)

ENTRETIEN - Dans les prochains jours, le texte de loi sur l'immigration sera examiné, Didier Leschi, Directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration nous explique les enjeux et problématiques de ce texte.
Didier Leschi
Didier Leschi (Crédits : Liewig Christian/ABACA)

À la veille de l'examen du projet de loi immigration au Sénat, à partir du 6 novembre, quels sont les principaux enjeux ?

D'abord celui de la maîtrise des arrivées. En France comme en Europe, le nombre d'immigrés ne cesse de progresser. La France n'est pas la plus touchée par cette vague de fond en cours. L'Allemagne compte plus de 18 % de personnes nées à l'étranger. Outre-Rhin, après avoir pu y arriver un temps, les difficultés se font sentir. La Suède est passée, en une vingtaine d'années, de 10 à 20 % de personnes nées à l'étranger. Elle est, elle aussi, confrontée à de graves problèmes d'intégration.

Lire aussiL'immigration dans les pays riches a atteint des niveaux record en 2022, selon l'OCDE

En France, le nombre d'immigrés, de personnes nées étrangères à l'étranger, selon la définition de l'Insee, est passé de 7 % à plus de 10 % de la population en une vingtaine d'années. Il n'y a jamais eu autant d'immigrés, 7 millions, dont 2,5 millions ont acquis la nationalité française. Comme l'Europe, nous ne sommes pas une forteresse. Près de la moitié de nos immigrés viennent de pays non européens, d'abord du Maghreb ou de l'Afrique subsaharienne mais aussi d'Asie. Une forte proportion est peu ou pas formée, ce qui accentue les problèmes d'intégration autant sociale que culturelle. Ils constituent la population la plus précaire de France. Près de 40 % de ceux nés en Afrique ont un niveau de vie inférieur au taux de pauvreté monétaire. 43 % sont en situation de privation matérielle, malgré les prestations sociales et les aides diverses. 35 % sont locataires du logement social, dont près d'un Algérien ou Marocain sur deux, et plus d'une personne originaire d'Afrique subsaharienne sur deux. Un des enjeux de la maîtrise des flux est de faire en sorte que la pauvreté ne s'additionne pas à la pauvreté, en particulier dans les zones urbaines. D'où les propositions parlementaires de réduction des arrivées d'immigrants familiaux par le biais d'une augmentation des délais de résidence avant de pouvoir faire venir un proche et du plafond des ressources nécessaires.

L'explosion de la demande d'asile.

À l'immigration régulière - 320 000 autorisations de séjour délivrées en 2022 dont 108 000 concernaient des étudiants, 90 000 des familiaux, 52 000 des travailleurs, un chiffre inédit depuis 1974 - s'ajoute l'exceptionnelle poussée de la demande d'asile. Elle concerne toute l'Europe. En 2022, plus de 155 000 demandes d'asile ont été enregistrées en France. Frappent à nos portes d'abord des Afghans. Et surtout des personnes qui fuient non pas la guerre ou des discriminations, mais des difficultés économiques et sociales. Peu de Syriens, donc. Nos demandeurs d'asile sont géorgiens ou albanais. Ils sont surtout ivoiriens, guinéens, bangladais. Comme les Tunisiens, ils passent par l'île de Lampedusa. Viennent aussi vers nous, par le détroit de Gibraltar ou les Canaries, des Algériens, des Marocains, des Sénégalais. La plupart d'entre eux seront déboutés de l'asile.

Un des enjeux de la maîtrise des flux est de faire en sorte que la pauvreté ne s'additionne pas à la pauvreté

Didier Leschi

Que faire des personnes sans titre de séjour ?

C'est le cœur des divergences dans ces débats. Ceux qui souhaitent abaisser les frontières et prônent des régularisations massives partent du principe que l'Europe doit accueillir tous ceux qui sont victimes des inégalités sociales, accentuées par la mondialisation. Pour ceux qui pensent que les frontières sont des portes indispensables, dont on doit pouvoir maîtriser l'ouverture, la difficulté majeure se résume aux moyens d'accélérer la reconduite de celui à qui a été fait injonction, notifiée par une OQTF, de quitter le territoire. D'où les propositions partagées avec le Sénat par le gouvernement d'accélérer les procédures en limitant les voies de recours. À cela s'ajoute la volonté, aussi partagée, d'éloigner ceux qui en commettant des actes de délinquance ne respectent pas notre pacte civique, même s'ils vivent en France depuis leur plus jeune âge.

L'Europe, une excuse facile ?

Dans de nombreux domaines, les directives européennes n'interdisent pas de modifier nos législations. Au contraire, pourrait-on dire, c'est en durcissant notre droit interne que nous serions davantage au diapason de ce que font, ou ce vers quoi évoluent, nos principaux voisins européens. C'est le cas par exemple dans le domaine de la santé, qui mobilise l'attention des sénateurs. Aucune directive européenne n'oblige notre aide médicale d'État (AME), c'est-à-dire la prise en charge par l'impôt des soins auxquels ont droit les sans-papiers, à prévoir une couverture santé qui va au-delà de l'urgence vitale, quasi comparable à celle de tous les résidents bénéficiant de la protection universelle maladie (Puma). Serait-ce prendre le risque de faire naître des problèmes majeurs de santé publique, mettant en péril la santé de tous, que de transformer l'AME en une aide médicale limitée à l'urgence ? C'est ce qu'affirment les défenseurs de l'AME. Ceux qui préconisent la réduction du panier de soins font valoir que, dans les pays où l'équivalent de l'AME se réduit à l'urgence, la situation sanitaire globale des populations n'est pas spécialement dégradée. Aucune pandémie ne les traverse d'autant que, comme lors de la période Covid, la vaccination ferait partie des urgences. La limitation aux soins d'urgence serait d'autant plus justifiée que, théoriquement, cela concerne des personnes qui ont vocation à quitter le territoire au plus tôt et non à s'installer dans la durée, transformant l'AME en Puma du clandestin. De même, les sénateurs souhaitent réduire la possibilité pour tout étranger d'obtenir un titre de séjour pour soin en arguant du fait que, même disponible dans son pays, le soin qui lui est nécessaire n'est pas socialement accessible.

La régularisation.

Faut-il introduire dans la loi un mécanisme spécial de régularisation pour ceux qui travaillent dans des métiers dits en tension ? Faut-il aller au-delà des possibilités offertes par la « circulaire Valls », qui ouvre tous les ans la régularisation pour 20 000 à 30 000 personnes dont 7 000 à 8 000 au titre du travail ? La loi permettrait au demandeur de ne plus être dépendant d'une promesse d'embauche, d'un contrat signé par un employeur. Ceux qui sont favorables à cette introduction voient là un bon moyen de soustraire le clandestin au bon vouloir d'employeurs indélicats, pour ne pas dire délinquants. Ceux qui y sont hostiles considèrent que ce serait une prime donnée à celui qui n'a pas exécuté son obligation de quitter le territoire et générerait un « appel d'air ». D'autres font valoir que s'il s'agit bien de futurs salariés dans des métiers en tension, on ne peut partir du principe qu'aucun employeur ne soit prêt à signer une promesse d'embauche alors qu'il y a un besoin vital de main-d'œuvre, sauf à considérer que ces filières ne recèlent que des patrons peu vertueux. Enfin, tous pensent que la priorité serait plutôt d'amener vers l'emploi les personnes inscrites à France Travail, ou encore ceux qui ont obtenu le statut de réfugié.

La pérennité des modèles sociaux.

Est-il possible d'accueillir tous ceux le souhaitent sans déséquilibrer nos modèles sociaux et sociétaux ? Cette interrogation traverse l'Europe où des pays, comme la France, permettent à tout nouvel arrivant d'accéder à des services publics gratuits comme l'hôpital, l'école, ou encore à l'hébergement d'urgence inconditionnel. Le tout pour des personnes n'ayant jamais cotisé ou payé des impôts. Des pays historiques de la social-démocratie, comme le Danemark ou la Suède, répondent non, et durcissent leur législation afin de dissuader les demandes d'asile et de limiter les migrations régulières. ■

* Auteur de Ce grand dérangement - L'immigration en face, Gallimard, 2020.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 29/10/2023 à 10:45
Signaler
L'OFII, avec ses formations obligatoires où l'on enseigne que la France est un méchant pays qui a pratiqué la traite des esclaves...

à écrit le 29/10/2023 à 9:58
Signaler
"L'immigration" un "grave problème" qui a pourtant construit l'humanité. Non le problème n'est pas l'immigration, le problème c'est des oligarchies intellectuellement à l'agonie dorénavant incapables de gérer les peuples du monde, ils ne savent que n...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.