Le moins que l'on puisse dire est que le projet de réforme des retraites voulu par Emmanuel Macron n'est pas un franc succès. À tel point que le chef de l'État - qui vise sa réélection en 2022 - a laissé à son Premier ministre, qui vient de la droite, le soin de gérer la sortie de crise. Car après cinq semaines de grève, c'est plutôt la confusion.
Contesté par une partie de la population, ce nouveau système visait pourtant à supprimer les régimes spéciaux et à mettre en place une approche universelle par points en conservant la répartition au nom de la solidarité intergénérationnelle. Au-delà des aspects techniques de la réforme elle même, l'une des raisons de l'échec est à chercher dans la perte des repères qui ont structuré la vie politique de la Ve République, à savoir une division entre droite et gauche.
Paradoxalement, l'effacement de cette division avait permis à Emmanuel Macron de se faire élire à la présidence en accélérant l'implosion des partis de gouvernement de droite et de gauche. Mais ce qui l'avait servi est en train de le desservir, comme l'atteste le mouvement des « gilets jaunes », difficilement classable sur l'échiquier droite/gauche. Emmanuel Macron lui-même en est conscient.
Progressistes versus nationalistes
En septembre 2018, avant la tenue des élections européennes de 2019, il avait tenté d'installer un nouveau clivage en se posant comme leader européen des « progressistes » face à Matteo Salvini et Viktor Orban, qualifiés de « nationalistes ». Ses ex-conseillers Ismaël Emelien et David Amiel avaient même théorisé ce positionnement dans Le Progrès ne tombe pas du ciel (éd. Fayard), sans grand succès. Dans cette optique, l'essayiste britannique David Goodhart s'est taillé un franc succès avec son livre Les Deux Clans. La nouvelle fracture mondiale (éd. Les Arènes) en identifiant deux camps : les « Anywhere » (ceux de « partout ») et les « Somewhere » (ceux de « quelque-part »), qui opposent, en gros, les gagnants aux perdants de la mondialisation. Ce nouveau clivage essaie d'affiner celui qui existe déjà dans de nombreux pays : conservateurs versus progressistes, qui, avec quelques nuances, recouvre l'opposition entre droite et gauche.
La première est attachée à sa culture traditionnelle, défend l'entreprise privée et une économie ouverte, et préfère que l'État s'en tienne à ses fonctions régaliennes. La seconde, au contraire, se veut ouverte en matière sociétale et souhaite que l'État soit l'acteur principal de l'organisation sociale, notamment grâce à une fiscalité distributive et à la dépense publique, au nom de la justice sociale.
Protection de l'Etat contre préférence pour la liberté
Dans une étude publiée par l'université de Cambridge, qui se base sur des données issues de 99 pays, les auteurs mettent en évidence que, si le clivage droite-gauche structure le paysage politique, en revanche, les réponses données par les citoyens montrent que leurs attitudes culturelles et économiques ne recouvrent pas nécessairement cette opposition, mais plutôt une division entre ceux qui veulent une protection de l'État et ceux qui préfèrent la liberté.
Autrement dit, aujourd'hui, le monde se partagerait entre ceux qui donnent la priorité à la collectivité et ceux qui croient davantage en l'individu. D'ailleurs, ne retrouve-t-on pas ce clivage dans le débat sur la réforme des retraites entre ceux qui préféreraient un système qui s'ouvre à la capitalisation et ceux qui ne veulent même pas en entendre parler ?
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