Face au scandale du Libor, les députés britanniques veulent plus de sévérité

Howard Davies, ancien président de l'Autorité britannique des services financiers, sous-gouverneur de la Banque d'Angleterre, et directeur de la London School of Economics, est professeur à Sciences Po Paris.
Howard Davies. Copyright Bloomberg

L'an dernier, le scandale du Libor a constitué un choc pour le corps politique londonien. Malgré tout ce qui s'était produit auparavant, l'opinion publique et ses représentants ont été stupéfaits d'apprendre qu'un certain nombre de banquiers avaient saboté les fondements d'un indice de référence mondial - dont la première lettre de l'acronyme fait référence à Londres - dans un but d'enrichissement personnel. Le chancelier de l'Échiquier britannique, George Osborne, s'est senti obligé d'entamer une enquête parlementaire. Le 19 juin, après un an de travail, la Commission parlementaire sur les normes bancaires a produit un rapport de taille.

"Du bon et du moins bon"

Les banquiers considéreront sans aucun doute ce rapport à la manière du protagoniste de la fable anglaise « du curé et de l'?uf » (un évêque servit autrefois un ?uf pourri à un jeune curé, lequel, lorsque le premier lui demanda si l'?uf était à son goût, répondit qu'il contenait « du bon et du moins bon »). Nul doute qu'ils s'étrangleront d'étonnement au vu de la recommandation de la Commission en faveur de la création d'une nouvelle infraction pénale pour conduite imprudente nécessitant un renflouement de la part des contribuables, sans parler de la possibilité d'un nouveau régime d' « imputabilité » attribuant l'ensemble des fonctions bancaires à un seul individu, lequel serait tenu personnellement responsable lorsque les choses tournent mal.

La Commission a constaté que « les banquiers les plus haut placés se dédouanaient de la responsabilité des manquements survenus sous leur surveillance en faisant valoir leur ignorance des faits, ou encore en se retranchant derrière la nature collective du processus décisionnel. » Ses membres entendent bien mettre fin à de tels arguments de défense. S'ils y parviennent, les comportements imprudents à l'égard des actifs bancaires pourront se traduire par une peine d'emprisonnement, sans possibilité de cartes Monopoly de « sortie de prison gratuite » pour les maîtres du monde de la finance.

Les députés britanniques impatients

J'entends déjà les avocats aiguiser leur crayon : l'infraction devra être définie suffisamment spécifiquement pour pouvoir résister à une remise en cause sur le plan des droits de l'homme. Mais si la proposition de la Commission est validée, le régime mis en ?uvre sera certainement plus strict que les régimes aujourd'hui appliqués par les centres bancaires de New York et d'ailleurs. Et les députés britanniques sont clairement impatients à l'égard de ce qu'ils considèrent comme une ère glaciale du changement des réglementations internationales ; ils veulent de l'action, dès maintenant.

Si le Royaume-Uni venait à procéder de cette manière unilatérale, quelles seraient les conséquences pour le secteur bancaire londonien ? New York, Francfort ou encore Paris bénéficieraient-elles d'un coup de pouce de compétitivité à mesure que les banquiers internationaux, effrayés à l'idée d'un séjour derrière les barreaux en cas de nouveau dérapage de leurs opérations sur produits dérivés, fuiraient la City ?

Deux réponses quelque peu contradictoires

Les membres de la Commission apportent deux réponses quelque peu contradictoires à cette question. La première étant que ce n'est franchement pas leur problème : « Le risque d'exil est indifférent », considère la Commission, faisant valoir que les avantages que confère le statut de place financière internationale s'accompagnent par définition de sérieux risques connexes pour l'économie nationale. Contrairement aux États-Unis, où le secteur financier représente une moindre part du PIB, l'économie britannique n'a toujours pas compensé la perte de production ayant caractérisé la Grande Récession post-2008, en raison d'un repli continu sur le secteur bancaire.

Les membres de la Commission reconnaissent certes qu'une perte du statut de Londres en tant que centre financier mondial serait coûteuse en termes d'emplois et de production, et ont par conséquent développé une deuxième ligne d'argumentation. L'existence d'un pied d'égalité dans le domaine de la finance internationale n'a « rien d'intrinsèquement idéal, » ont-ils déclaré. Les tentatives visant à instaurer un marché financier européen unique ont, selon eux, contraint les États de répondre aux défaillances mises en lumière par la crise de 2008 à la vitesse du « navire le plus lent du convoi. »

Le gouvernement pris entre le marteau et l'enclume

Par opposition, la Commission fait valoir qu'il pourrait exister d' « importants avantages pour le Royaume-Uni en tant que place financière à démontrer sa capacité à établir et à adhérer à des normes significativement plus exigeantes que le minimum international. » En plus du sévère nouveau régime de responsabilité personnelle, la Commission pourrait compléter les normes de Bâle relatives aux capitaux bancaires par un ratio de levier resserré.

Le gouvernement britannique, soucieux de trouver des moyens de stimuler la croissance à l'approche des futures élections, y réfléchira certainement à deux fois avant de procéder à des changements susceptibles d'entraîner un exil de l'activité. Le gouvernement est cependant pris entre le marteau et l'enclume, cerné par un parlement qui, largement appuyé par des médias et une opinion publique hostile aux banques, est impatient d'appliquer des réformes, et par des directives européennes en faveur de la mise en ?uvre d'un régime plus sévère.

Ainsi, la Commission a-t-elle raison d'affirmer que le gouvernement devrait agir rapidement en faveur de réformes tout en en ignorant les conséquences ?

Les changements réglementaires n'ont pas poussé les banquiers à partir à l'étranger

Les éléments de preuve émanant d'un certain nombre de sondages internationaux suggèrent que les changements réglementaires appliqués jusqu'à présent n'ont nullement poussé les banquiers vers l'étranger. Londres poursuit d'ores et déjà une approche plus stricte que celle de la plupart des autres places financières. Les taxes prélevées sur les primes des cadres ont déjà lourdement coûté aux banques internationales. Les régulateurs sont aujourd'hui sensiblement plus sévères et plus intrusifs que leurs homologues de New York. Bien que tout ceci mécontente les banquiers, aucun d'entre eux ne s'est encore expatrié vers des lieux plus cléments.

Rien n'indique par ailleurs qu'ils l'envisagent. En effet, le dernier index mondial des centres financiers publié par Z-Yen place encore et toujours Londres en première position - la ville conservant une marge inchangée sur New York. Quant aux places financières asiatiques, elles rattrapent actuellement tout naturellement leur retard, ne constituant pour autant aucunement des concurrents directs des activités de Londres. Francfort et Paris, dont on s'attendrait qu'elles constituent les places financières européennes concurrentes les plus plausibles, se traînent respectivement à la dixième et à la 26e place du classement.

Laisser du temps aux banquiers pour réfléchir

L'idée selon laquelle un environnement réglementaire plus strict ne constituerait finalement pas nécessairement un désavantage suscite la nervosité des agences de notations et des actionnaires. Or, un régime dans lequel la responsabilité personnelle affecte fortement les individus dans une juridiction donnée est de nature à laisser du temps aux banquiers pour réfléchir, notamment dans le cas de banques internationales présentant des systèmes complexes de gestion de matrice et permettant aux responsables produit d'être réaffectés ailleurs.

Il conviendra pour les législateurs britanniques d'être certains que tout nouveau régime s'adresse aux bonnes personnes, et de la bonne manière. Aussi politiquement attrayante que puisse paraître la vision de banquiers voyous derrière les barreaux, il demeurera en pratique certainement extrêmement difficile de les y envoyer.

© Project Syndicate 1995-2013

 

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