Sous les "pavés de la crise", de nouveaux modèles sont en train de naître

75 personnalités du monde de l’entreprise, patrons de grands groupes (Generali, Bouygues…), patrons de PME et de start-up, ainsi que des entrepreneurs sociaux, ont partagé leurs solutions face aux défis actuels. C'était le 5 et 6 novembre au Conseil économique, social et environnemental (CESE),
Jacques Huybrechts est fondateur du réseau et du Parlement des entrepreneurs d'avenir./ DR

Lors de son université d'été 2013, Pierre Gattaz, président du Medef, a déclaré : « L'entreprise est la solution. »

Dans notre pays où la défiance vis-à-vis des entrepreneurs semble culturelle, il est important de souligner que les solutions économiques passeront nécessairement par l'entreprise et sa capacité à générer de l'emploi. Mais M. Gattaz, de quelles entreprises parle-t-on ? Pour des solutions à quels enjeux ? Savez-vous que, chaque jour, une personne se suicide en France à cause de son travail ? Plus personne ne peut nier la responsabilité des entreprises dans la dégradation des conditions psychologiques de travail. Savez-vous que, selon l'OMS, la pollution atmosphérique est un cancérogène désormais avéré ?

Plus personne ne peut nier la responsabilité de notre développement économique sur notre santé… Notre monde est aux prises avec un défi historique inédit par la nature et la conjonction des enjeux et des crises : économique, industrielle, sociale et écologique.

Considérer l'entreprise uniquement comme solution à l'impasse économique est une erreur d'appréciation de la complexité des défis à relever. Où sont les solutions pour entrer, confiants, dans ce nouveau monde qui saura conjuguer transition énergétique, partage équitable des richesses créées, équilibre alimentaire, progrès social et démocratique ?

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Pierre Gattaz, président du Medef, est de ceux qui a!rment que « l'entreprise est la solution »…/ DR.

L'émergence d'entreprises d'avenir responsables

Nous constatons qu'un mouvement profond et transformateur est en marche dans l'économie capitaliste. Celui de « l'entreprise d'avenir » ou « entreprise responsable » qui fait émerger des agents majoritairement issus de l'économie de marché dont la contribution sociale, environnementale et sociétale est forte et intégrée à la performance globale.

Sondés en 2013 dans le cadre du baromètre « CSA-Generali : Les décideurs face aux nouveaux défis de société », les dirigeants d'entreprise sont 25 % à avoir mis en place un reporting sociétal et environnemental et lancé une démarche d'évaluation ou de certification extra-financière.

Ce mouvement s'incarne parfaitement dans la dynamique d'un réseau comme Entrepreneurs d'avenir, lancé en 2009 en France, qui réunit déjà près de 700 entreprises (www.entrepreneursdavenir.com), ou dans le développement d'un mouvement et d'un label américain, BCorporation (www.bcorporation.net), auquel plusieurs centaines d'entreprises dans le monde ont déjà adhéré.

Le succès de cette entreprise de demain passe par la reconnaissance sociale de ses actions et sa capacité à partager avec la société sa vision, ses projets et sa valeur. C'est le sens que se donne le Parlement des entrepreneurs d'avenir. Il réunit tous les deux ans les dirigeants de ces entreprises qui, sans relâche, travaillent dans ce sens.

Des solutions émergent, en réponse aux changements du monde d'aujourd'hui. Certes, elles sont parfois embryonnaires, partielles ou imparfaites, mais elles sont mises en œuvre par des entrepreneurs et autres artisans du changement résolus à construire un avenir meilleur et souhaitable pour tous.

Des solutions locales contre le désordre mondial

Il est aujourd'hui indispensable de s'inspirer de modèles vertueux de croissance pour relever les défis sociétaux majeurs tels que réduire le chômage, agir sur les causes de l'exclusion et créer les conditions d'insertion de tous. Exemple ? Christophe Chevalier, directeur général du Groupe Archer, a réussi à mobiliser et faire coopérer une diversité d'acteurs du territoire de Romanssur- Isère.

« En 2005, explique-t-il dans L'économie qu'on aime! Relocalisations, création d'emplois, croissance : de nouvelles solutions face à la crise (Rue de l'échiquier, 2013.), on a compris qu'il valait mieux créer nous-mêmes les emplois dont les habitants avaient besoin plutôt que d'attendre d'hypothétiques embauches par les entreprises en place. »

Le groupe d'insertion se transforme alors en entreprise de développement de territoire. Chaque année le groupe Archer emploie 1.200 personnes dans des activités très diversifiées : bâtiment, travaux publics, transport, services à la personne, etc. Il favorise également le regroupement des entrepreneurs locaux qui peuvent ainsi plus facilement remporter des marchés ou développer de nouvelles activités.

En outre, il a lui-même créé une coopérative mettant en réseau des artisans locaux et a réuni au sein du collectif « Pôle Sud » entrepreneurs, associations et services publics dans les mêmes locaux.

Libérer l'entreprise pour faire grandir le capital humain

Comme le rappellent Gaël Giraud et Cécile Renouard (Vingt propositions pour réformer le capitalisme, Flammarion, Champs essais, publié en 2009 et réédité en 2012), « la place première prise par le profit occulte les autres finalités de l'activité économique, démobilise ses employés, dévalorise l'acte d'entreprendre, isole la société de son environnement et détruit les structures sociales en appréhendant la personne comme un individu égoïste ».

Bien entendu, dans les discours, on voudrait mettre l'homme au coeur du projet. Mais souvent, dans les faits, les politiques sociales sont plus des variables d'ajustements courtermistes que des leviers de développement collectif. L'entreprise d'avenir fait le pari que les hommes et les femmes qui la composent sont son plus grand capital. L'évaluer, le faire grandir et le promouvoir est essentiel. Le « diagnostic social d'avenir », nouveau référentiel lancé en 2013, offre aux dirigeants d'entreprise un outil simple leur permettant d'évaluer leur progrès social et leur engagement sociétal.

Des dirigeants visionnaires ont su libérer leur entreprise de la bureaucratie hiérarchique et construire un environnement organisationnel qui rétablisse le respect et la confiance en l'intelligence des salariés. En parallèle, une démarche de développement personnel renforcée doit être mise en place pour révéler et faire se réaliser le potentiel humain et ainsi gagner en agilité, en capacité à innover et faire résistance à la crise.

Citons comme exemple d'entreprises libérées FAVI, entreprise industrielle picarde et Lippi, entreprise poitevine, exemples développés par Isaac Getz dans son ouvrage Liberté et Cie (Flammarion, 2013). Faire émerger un nouveau leadership dans les entreprises est à notre portée : Michel Hervé, président fondateur du groupe Hervé l'a mis en pratique avec succès depuis quarante ans.

Sa philosophie est la suivante : s'il est urgent de posséder des savoir-faire de pointe, il est essentiel d'avoir des savoir-être aussi performants. Elle se réalise suivant trois modalités : intra-entrepreneuriat, déhiérarchisation du pouvoir, organisation en réseaux.

« Pour y parvenir, le management et l'organisation doivent être focalisés non plus sur le contrôle et la directivité, mais sur la libre initiative et la confiance », précise Michel Hervé dans Le Pouvoir au-delà du pouvoir.

L'exigence de démocratie dans toute organisation (François Bourin, 2012). Cette façon différente de vivre l'entreprise engendre une meilleure participation de chacun et donc une meilleure réactivité aux dysfonctionnements internes comme aux évolutions du marché.

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La toiture végétalisée et solaire des locaux de Pocheco, entreprise « écolonomique », au printemps 2012./ DR.

« L'écolonomie », c'est maintenant !

Les dernières conclusions du GIEC sont alarmantes. Face à l'urgence, des entreprises mettent en place des solutions écolonomiques, c'est-à-dire conjuguant écologie et économie. En 1997, Emmanuel Druon a repris l'entreprise Pocheco, fabricant d'enveloppes de mise sous pli automatique, qu'il développe aujourd'hui avec une centaine de collaborateurs grâce aux principes de l'"écolonomie".

Chaque investissement de Pocheco doit répondre à trois critères : produire une réduction mesurable de l'impact sur l'environnement, mais aussi de la pénibilité et/ou de la dangerosité des postes et permettre de gagner de la productivité.

« Pour nos enveloppes, les fabricants de papier coupent 60.000 arbres et en replantent 200.000 par an, dans le respect de la biodiversité des espèces et des espaces », décrit Emmanuel Druon dans son ouvrage Écolonomies. Entreprendre et produire autrement (Pearson, 2012).

Dans la même dynamique écolonomique, Pocheco a rénové ses toitures en solaire PV et en toitures végétalisées afin d'optimiser la gestion des flux d'eau de ruissellement et d'améliorer l'isolation phonique et thermique. 80 % de l'eau employée dans l'usine est de l'eau de pluie et les économies d'énergie sont évaluées à 10.000 d'euros par an, soit un retour sur investissement de dix ans au maximum. Récemment, une bambouseraie, « station d'épuration » naturelle, a été créée à l'entrée du site pour le retraitement des eaux usées.

Soutenons ces entreprises pour faire grandir leurs solutions

Certains acteurs économiques ont compris l'intérêt d'encourager ces entreprises d'avenir. L'assureur Generali incite et aide ses entreprises clientes à relever le défi du développement durable tout en réduisant leur vulnérabilité. Il a intégré des critères de performance environnementale et sociale dans un audit de performance globale proposé aux PME. La moitié des 60 critères analysés relève du management humain et de la réduction de l'impact des activités de l'entreprise sur l'environnement. À l'issue de ce diagnostic, les entreprises les plus matures se voient décerner un label et offrir des conditions préférentielles d'assurance.

Des fonds d'investissement comme Citizen Capital privilégient l'investissement dans des entreprises à fort engagement sociétal. Des recherches sont également menées par la Fondation 2019, présidée par Romain Ferrari, DG du Groupe Serge Ferrari, sur la mise en place d'une TVA circulaire dégressive prenant en compte les externalités négatives (coût des préjudices écologiques non assumés) afin d'encourager les efforts d'éco-conception des produits.

D'autres acteurs tels que les banques et les pouvoirs publics ne pourront que suivre ce mouvement visant à encourager ces entreprises pionnières. L'impact social, environnemental et la performance économique, en plus d'être compatibles, se renforcent.

N'allons pas chercher dans les étoiles des réponses. Ces entrepreneurs d'avenir ont et sont une partie des solutions. À la fois pionniers et artisans du changement, ils ont su créer une vision holistique de leur activité, liant biodiversité économique et sauvegarde de l'humanité. Ces entrepreneurs conçoivent leurs projets comme une aventure humaine collective au service d'une cause qui dépasse les individus qui la composent. Dans ces conditions, l'entreprise est, alors, la solution.

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Commentaires 2
à écrit le 07/11/2013 à 9:40
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Rien d'utopique à voir l'avenir ainsi, il faut juste que le Medef évolue en abandonnant ses idées antédiluviennes.

le 07/11/2013 à 11:19
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Sauf que la pensée unique des décideurs privés et publics est essentiellement inverse . L'outsourcing, la fracturation saucissonnée des tâches, la compétitivité systématisée sont souveraines et qualité avec éthique sont passées sous la coupe de la co...

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