Affacturage en temps de crise sanitaire  : 
encore un effort Monsieur Bruno Lemaire  !

ANALYSE. Le gouvernement a pris hier une mesure importante : il apporte sa garantie pour favoriser l’affacturage et soulager la trésorerie des entreprises, fortement attaquée par la crise du Covid-19. L’escompte des factures est une solution simple et souple, très appréciée des entreprises françaises. C’est pour cela qu’il faut aller plus loin. Par Gilles Grinal et Gilles Maman
(Crédits : DR)

Le financement des créances professionnelles, autrement dit l'affacturage, est-il une bonne solution de financement des entreprises face à cette crise sans précédent ? Le gouvernement doit le penser puisqu'il vient d'annoncer l'entrée en vigueur ce 15 avril 2020 de mesures destinées à assurer le maintien des garanties d'assurance-crédit. Entrent à nouveau en vigueur aujourd'hui les dispositifs CAP, CAP+ et CAP France Export, des mécanismes au bénéfice des entreprises qui avaient été utilisés par le gouvernement lors de la crise financière de 2008. Schématiquement, le système mis en place donne aux entreprises une garantie de l'État sur l'escompte des créances commerciales que les assureurs-crédit refusent de garantir depuis la crise.

L'affacturage et d'autres modes de financement se sont très sensiblement développés en France ces dernières années. Le montant des créances financées a atteint des sommets en 2019 avec un total de près de 350 milliards d'euros de créances achetées, en hausse de près de 10% par rapport à l'an passé. Cette solution est particulièrement utile pour les entreprises en situation financière précaire, qui peinent ces derniers temps à accéder au dispositif des Prêts Garantis par l'État (PGE). En effet, seules celles disposant de capitaux propres positifs peuvent en bénéficier. À ce titre, il faut savoir que la tâche des banquiers est particulièrement difficile. En effet, la garantie de l'Etat dont bénéficie la banque pour accorder sans risque ces prêts est soumise à une « franchise » de deux mois. Au terme de cette « franchise », si l'entreprise dépose le bilan dans les deux mois de l'octroi du prêt, la banque ne bénéficie plus de la garantie d'État. C'est dire si le système incite les banquiers à financer les entreprises les plus fragiles ! L'affacturage présente un avantage supplémentaire : son aspect « revolving » permet d'apporter de la trésorerie en épousant les courbes d'activité de l'entreprise.

Une solution souple et simple donc... Sauf que la crise a aussi affecté l'ensemble du crédit inter-entreprises, le « shadow banking », dont l'affacturage. On le sait, celui-ci repose sur son corollaire l'assurance-crédit qui garantit en tout ou partie le montant des créances financées. Or, la crise affectant la capacité de paiement et donc la solvabilité des clients, même les grosses entreprises, la tendance naturelle des assureurs-crédit a été de réduire fortement, pour ne pas dire supprimer, le montant des garanties accordées au affactureurs. La conséquence immédiate a été de restreindre le montant du financement de ces créances ainsi « décotées ». Pour compenser cette difficulté, les professionnels de l'affacturage et de l'assurance-crédit ont rapidement demandé une intervention de l'Etat comparable à celle mise en place avec les prêts garantis. La demande a été entendue, hélas de manière imparfaite.

Certes, on doit d'abord se réjouir de cette décision gouvernementale. Les dispositifs de garantie de CAP, CAP+ et CAP France Export (pour les créances sur des clients étrangers) vont s'avérer d'une efficacité indéniable : les créances qui n'étaient plus garanties du fait de la situation, le seront à nouveau. Les entreprises non éligibles aux PGE devraient ainsi retrouver une solution de financement de leurs besoins de trésorerie. La solvabilité « des plus forts », ainsi consolidée par l'intervention de l'État, devrait grandement aider « les plus faibles » financièrement. Ces derniers pourront à nouveau s'appuyer sur la solvabilité de leurs clients pour trouver le financement que les banques leur refusent. Le dispositif donne de la sécurité aux entreprises sur leurs encaissements, elles sont bien garanties d'être payées in fine.

Mais le dispositif présente plusieurs inconvénients :

  • Le surcoût pour l'entreprise de cette contre-garantie, soit 2 à 3,4% l'an, n'est pas négligeable. Il est à craindre que ce coût supplémentaire de financement des factures ne consomme une partie substantielle de la marge commerciale des entreprises, à un moment où elles en auraient le plus besoin. Les inconvénients de ce coût doivent être rapprochés, d'un point de vue concurrentiel, du faible coût financier des PGE.
  • En cas d'impayé, l'entreprise qui bénéficie de la contre-garantie de l'État ne sera remboursée que dans un délai de 4 à 6 mois. Dans les faits, même si elle fait appel à un affactureur, elle devra financer seule cette période.
  • L'annonce de contre-garantie étatique est de 12 milliards. Or les montants garantis par les assureurs crédits sont de l'ordre de 200 à 250 milliards. L'enveloppe dégagée ne représente que 5% du besoin potentiel.
  • Il ne garantit pas automatiquement les créances escomptées auprès de l'affactureur. C'est l'entreprise doit chaque fois faire la demande lui-même à l'assureur-crédit. C'est seulement si ce dernier décide de garantir qu'il bénéficiera de la mesure.
  • Enfin, la mise en œuvre de cette contre-garantie suppose une gestion des créances par l'entreprise elle-même, ce qui peut s'avérer fastidieux et risqué, d'autant qu'elle ne dispose pas forcément des ressources et des compétences en interne.

Ces mesures exceptionnelles de contre-garantie de l'État prise aujourd'hui vont dans la bonne direction. Mais un système plus simple, comme il vient d'être mis en place en Allemagne, permettrait d'éviter nombre des difficultés que nous avons évoquées. Par exemple pourquoi l'État ne donne-t-il pas directement sa garantie aux affactureurs qui sont les interlocuteurs habituels des entreprises pour le financement de leurs créances ? Pourquoi ne pas confier à ces professionnels la gestion de l'enveloppe CAP/ CAP+ de la contre-garantie d'Etat, comme il a confié aux banquiers la gestion des PGE. La gestion des créances et de leurs garanties en aurait été facilitée et le coût directement intégré dans les montants financés. Plus encore, l'État pourrait contre-garantir les réserves (fonds de garantie) constituées par les entreprises auprès des affactureurs qui représentent le plus souvent 10% des encours financés, soit environ 5 à 6 milliards d'euros. Cette garantie permettrait la libération de ces dépôts de garantie et la mise à disposition immédiate de ces sommes au profit de la trésorerie des entreprises.

Espérons donc que le dispositif évoluera rapidement. Le temps presse. De nouveaux besoins besoins de trésorerie vont naître du déconfinement auquel l'affacturage pourra naturellement répondre. La crise, et surtout le financement de la reprise et du rebond doivent continuer à amener les pouvoirs publics à faire preuve d'imagination, d'innovation... et d'une plus étroite collaboration avec les affactureurs, les assureurs-crédit et l'ensemble des professionnels du financement des entreprises.

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* Gilles Grinal, Avocat à la Cour et Gilles Maman, Directeur Trade Credit Marsh

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