Affaire Orpea : et si tout était lié à l'absence de gouvernance  ?

OPINION. La population mondiale vieillit inexorablement à mesure que l'espérance de vie augmente. Rien qu'en France, la part de la population qui a plus de 65 ans est passée de 12,8 % en 1985 à 21 % aujourd'hui et cette tendance forte devrait s'amplifier dans les prochaines années. Le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans devrait ainsi plus que doubler d'ici à 2050... Par Me Frédéric Parrat, Avocat au Barreau de Paris, auteur du livre « Le capitalisme responsable » Archétype 82 Editions.
(Crédits : DR)

Attiré par ces perspectives de croissance, les gestionnaires d'actifs ont massivement investi dans le secteur de la « silver economy » et plusieurs fonds spécialisés sont entrés au capital des sociétés du secteur. Ces investisseurs « ESG » (environnement, social et gouvernance) se présentent comme des actionnaires de long terme qui apportent les capitaux nécessaires au financement de la dépendance. Et cet apport de capitaux privés tombe bien, car l'État n'a plus les moyens d'assurer seul le financement de la dépendance liée au grand âge. De gré ou de force, les secteurs public et privé n'auront d'autres choix que de collaborer avec les pourvoyeurs de capitaux et les entreprises privées devront parvenir à concilier efficacité économique et progrès social pour offrir une contribution positive à la société civile.

« Mensongères, outrageantes et préjudiciables »

C'est dans ce contexte que ces dernières années plusieurs fonds d'investissement sont entrés au capital d'Orpea, le leader mondial des maisons de retraite. Le fonds Sycomore AM déclare par exemple sur son site avoir « une approche d'investissement responsable fondée sur le dialogue avec les entreprises de son univers et le tout dans une perspective de progrès ». Mais la publication en janvier dernier du livre de Vincent Castanet (« Les Fossoyeurs ») a montré les limites d'un engagement qui apparaît aujourd'hui largement marketing. Rappelons les faits : en s'appuyant sur des témoignages recueillis notamment dans l'Ehpad de Neuilly sur Seine, le journaliste a révélé des faits de maltraitance et de dénutrition alors même qu'Orpea est une des sociétés les mieux notées par les agences ESG et qu'elle annonce officiellement un taux de satisfaction de ses clients de 95 %...

La direction d'Orpea a immédiatement démenti ces accusations qu'elle juge « mensongères, outrageantes et préjudiciables » et elle a mandaté sans délai deux cabinets reconnus pour que soit réalisée une mission indépendante sur l'ensemble des allégations rapportées par Vincent Castanet. Le résultat de ces enquêtes est attendu d'ici deux mois, mais ce délai a été jugé trop long par certains fonds spécialisés, comme Comgest, CPR AM (et son fonds Silver Age) ou Sycomore AM (avec son fonds Tocqueville Silver Age) qui ont annoncé publiquement qu'ils avaient vendu leurs actions Orpea dès la publication du livre. Ces ventes massives d'actions ont entraîné une très forte chute du cours en bourse de toutes les valeurs du secteur, déstabilisant des groupes jusqu'alors bien notés à l'instar d'Orpea dont l'action a perdu près 70 % en quelques semaines... Cette stratégie du « sauve qui peut » ne peut que surprendre de la part de gestionnaires d'actifs qui se prétendaient justement soucieux du dialogue et du progrès. De deux choses l'une en effet : soit les enquêtes montrent que les allégations du journaliste sont infondées ou exagérées et il n'y a alors aucune raison de mettre en difficulté la société Orpea en sortant brutalement et à grand bruit du capital, soit elles sont en tout ou partie avérées et le rôle d'un fonds « éthique » devrait être de chercher à peser sur la gouvernance pour que des mesures soient immédiatement prises en interne pour y remédier. Un investisseur qui se dit « responsable » ne devrait pas fuir devant ses responsabilités lorsqu'un accident arrive, mais dialoguer avec le management pour que soient prises sans délais les décisions qu'il estime nécessaires et qui fondent sa raison d'être.

Reste à savoir si ce dialogue aurait pu s'instaurer et si la direction d'Orpea avait bien adapté sa structure de gouvernance pour permettre justement aux parties prenantes (et notamment aux investisseurs de référence) de s'exprimer en interne. Rien n'est moins sûr et la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui cette société est peut-être due au fait qu'elle est restée « dirigée » de façon pyramidale alors qu'elle aurait dû être « gouvernée ».

"Shareholder theory" ou "stakeholder theory" ?

La notion de parties prenantes (stakeholders) a été intégrée dans le domaine du management stratégique par Edward Freeman en 1984. Ce dernier considérait que le respect par une entreprise des attentes de ses partenaires (au sens large) était le meilleur moyen de favoriser sa performance à long terme. Face à une conception que certains ont qualifié de « moniste » de la gouvernance d'entreprise, censée ne s'intéresser qu'à la défense des actionnaires (shareholder theory), Freeman est sans doute le premier économiste à avoir proposé l'idée que la gouvernance devait prendre en considération l'ensemble des parties prenantes à travers une théorie globale qualifiée de « théorie des parties prenantes » (stakeholder theory).

Une entreprise qui s'engage dans une démarche de gouvernance responsable doit chercher à instaurer un dialogue régulier avec les parties prenantes que celles-ci soient impliquées dans la gouvernance (investisseurs, salariés, représentants des familles, collectivités locales...) ou qu'elles soient issues de l'environnement économique et sociétal. Pour Freeman, certaines parties prenantes sont exposées à des risques spécifiques et elles ont une légitimité à revendiquer des droits qui ne peuvent pas être abordés sous le seul angle juridique. Si l'on ne veut pas que ces partenaires fuient au premier coup de vent, il faut donc les intégrer à la gouvernance dès lors qu'elles sont en mesure d'aider l'entreprise à être durablement performante. Orpea n'a sans doute pas mis en place la gouvernance qui aurait permis l'émergence d'un dialogue fécond.

Soulignons à cet égard, le comportement « responsable » de certains actionnaires de référence qui ont choisi au contraire de rester au capital d'Orpea, à l'instar d'un fonds de pension canadien, du holding de la famille Peugeot et de Mirova (la filiale du groupe Natixis). Cette dernière semble avoir parfaitement compris quel devait être dorénavant le rôle d'un actionnaire soucieux de contribuer au bien commun. Mirova a non seulement annoncé qu'elle resterait au capital d'Orpea, mais surtout qu'elle pèserait de tout son poids pour améliorer la gouvernance et obtenir la transformation en société à mission. Gageons qu'Orpea aura l'intelligence d'écouter ces sages conseils et qu'elle adaptera enfin sa structure de gouvernance aux contraintes qui découlent d'un capitalisme devenu enfin responsable.

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Commentaire 1
à écrit le 18/02/2022 à 9:40
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Oui mais de ce fait comment vont ils faire pour investir dans leurs établissements alors qu'ils n'ont plus de capitaux d'autant qu'ils ne l'ont jamais fait quand ils les avaient les capitaux ? L'ragent ne peut pas tout gérer, les profits ne sont pas ...

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