Banques européennes : 15.000 milliards de raisons d'être inquiet

CHRONIQUE. La chute de la banque californienne Silicon Valley Bank (SVB) vient rappeler que la hausse des taux n'est pas un processus lisse se limitant à une simple réduction des investissements productifs financés par emprunt. Si le système bancaire aux Etats-Unis est ébranlé, qu'en est-il en Europe? Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l'ESSEC.
Marc Guyot et Radu Vranceanu.
Marc Guyot et Radu Vranceanu. (Crédits : Reuters)

Le 17 mars, la Banque centrale européenne (BCE) a poursuivi sa politique de hausse de ses taux d'intérêt avec une troisième augmentation de 0,5% emmenant le taux de rémunération des réserves à 3%, un niveau non atteint depuis novembre 2008. Cette nouvelle hausse illustre sa détermination à durcir la lutte contre l'inflation.

Jusqu'à la semaine dernière, l'économie réelle de la zone euro semblait peu affectée par le durcissement monétaire. La demande de travail ne montrait aucun signe de faiblesse et les salaires nominaux augmentaient rapidement. Les marchés financiers semblaient également non affectés, les principaux indices boursiers se maintenant stable. Les investisseurs semblaient anticiper une longue situation de ralentissement très progressif de l'économie et s'apprêtaient à vivre avec un taux d'inflation élevé et persistant.

La chute de Silicon Valley Bank (SVB), basée en Californie et spécialisée dans le secteur des nouvelles technologies, a mis en miettes ce scénario. Seizième banque américaine avec des actifs de 220 milliards de dollars, elle a été poussée à la faillite en 48 heures par une fuite massive des déposants. Il ne s'agit pas ici d'une myriade de petits dépôts de particuliers mais des dépôts des entreprises de la tech dont la détention de cash avait explosé en 2021. L'essentiel de ces dépôts dépassaient largement le seuil de garantie de dépôts de 250.000 dollars, calibré pour des « petits » épargnants personnes physiques.

Victime de l'illusion d'un monde pour longtemps à taux bas

En conséquence, 96% des dépôts de la SVB n'étaient pas garantis par le schéma américain d'assurance des dépôts que gère la FDIC (Federal Deposit Insurance Corportation). Victimes de l'illusion d'un monde pour longtemps à taux bas, les dirigeants de cette banque avaient investi une grande partie de ses ressources en obligations du trésor américain à long terme pour une valeur de 90 milliards de dollars. Lorsque les taux d'intérêt ont augmenté, la valeur de marché de ces obligations a diminué, amenant la banque à enregistrer environ 15 milliards de pertes sur ces actifs. Amplifié par les réseaux sociaux, un vent de panique a poussé les clients à retirer leurs dépôts et forcé la banque à chercher une liquidation d'actifs en catastrophe. En 48 heures, SVB a été mise en faillite et placé sous l'autorité de la FDIC sous une procédure de restructuration.

De son côté, la Fed a annoncé un programme spécial d'octroi de prêts d'un an à la valeur faciale de ces obligations, ouvert à toute banque qui le demanderait afin de bloquer l'extension de la panique aux autres banques. Reste à savoir ce que feront ces banques dans un an lorsqu'elles devront reprendre les obligations, car il est peu probable que les taux redescendent. Après les faillites de SVB, de Silvergate et de Signature, la First Republic, une autre banque régionale (quatorzième  banque américaine) s'est trouvée à son tour en situation de crise et a été sauvée, pour le moment, par une opération de secours montée par les grandes banques américaines sous l'égide de JPMorgan. Elles ont collectivement transféré 50 milliards de leurs dépôts vers First Republic, sans condition, ce qui a stoppé provisoirement la fuite des dépôts privés.

Il est probable que cette mauvaise gestion du risque par SVB aurait été détectée en Europe. Les 111 banques européennes ayant un bilan supérieur à 30 milliards euros sont placées sous la surveillance directe de la BCE. Celle-ci surveille non seulement les capitaux propres mais aussi le ratio de liquidité. Ce contrôle assure que les banques détiennent suffisamment d'actifs liquides pour faire face à un retrait massif de dépôts, le calcul dépendant de la nature de ces dépôts. C'est pourquoi de nombreux experts se montrent rassurants sur la solidité des banques de la zone euro. Dans ses réponses aux journalistes le 17 mars, Christine Lagarde, présidente de la BCE, a réitéré sa confiance dans la qualité de la régulation bancaire de la zone euro.

Des petits changements peuvent provoquer des bouleversements majeurs

D'un point de vue macroéconomique, la chute de SVB confirme que la hausse des taux n'est pas un processus lisse se limitant à une simple réduction des investissements productifs financés par emprunt. Le système bancaire et le marché financier présentent des points de rupture, à l'image de la physique du climat où des petits changements peuvent provoquer des bouleversements majeurs. La situation, trois ans après le Covid-19 et le « quoi qu'il en coûte », est une offre abondante d'obligations d'État détenues par des sociétés d'investissement, des banques et des banques centrales. La dette totale des Etats membres la zone euro s'approche des 15.000 milliards d'euros, avec une composition variable court terme/long terme. Aujourd'hui, le prix de marché des obligations de long terme est en chute libre, et ce prix va encore diminuer avec la hausse des taux. La plupart des stress tests envisageaient un scénario de hausse des taux de deux points de pourcentage mais ce scénario est déjà dépassé pour plusieurs pays. Pour les pays dont la prime de risque est très grande, comme l'Italie, la dépréciation sera très forte. Cela peut créer un problème grave pour la BCE et pour les banques commerciales qui détiennent ce type d'actif.

Il n'y a pas si longtemps, des spécialistes improvisés suggéraient que les banques centrales annulent les dettes publiques à leur actif. Ils peuvent se réjouir, c'est ce qui est en train de se produire, car la valeur des obligations commence à s'évaporer. En 2022, pour la première fois depuis longtemps, le profit net de la BCE a été nul. À elle seule, la dépréciation d'obligations a provoqué une perte de 1,8 milliard d'euros. Cela peut paraitre bénin, mais pose un problème au regard de la lutte contre l'inflation qui va au-delà de la crédibilité dégradée d'une banque qui fait des pertes. Pour lutter contre l'inflation, les banques centrales doivent absorber rapidement de la liquidité en vendant ces obligations, à condition qu'elles valent quelque chose.

Les banques peuvent se couvrir, il reste à savoir si elles l'ont fait

Certes, les banques commerciales de la zone euro sont fortement capitalisées, beaucoup plus diversifiées en termes de déposants et d'actifs que les banques régionales américaines, et disposent probablement de plus d'actifs liquides en lien avec la régulation Bale 3. Mais il n'est pas exclu qu'elles aient investi massivement dans des obligations d'Etat du temps du « quoi qu'il en coûte », surtout à l'incitation des politiques de refinancement à long terme de la BCE, institution qui était justement censée réguler ces risques. En 2020, la BCE a octroyé des prêts à 4 ans à taux négatif pour presque 2.000 milliards d'euros. Il était tentant pour une banque de gagner de l'argent en utilisant ces liquidités pour acheter des obligations d'État. Fin février, l'agence Reuters signalait la gourmandise des banques européennes pour les nouvelles émissions de dette publique. La chute de SVB est une douche froide qui rappelle cruellement le lien inverse entre taux d'intérêt et prix de ces obligations. Certes, les banques peuvent se couvrir, il reste à savoir si elles l'ont fait.

Si les déposants gardent leur calme, la perte de valeur de ces actifs n'est pas grave puisque qu'ils arriveront tôt ou tard à maturité. Cependant, dans la zone euro, les dépôts ne sont garantis que jusqu'à 100.000 euros par des assurances publiques, le projet d'assurance européenne, évoqué après 2014, n'étant pas encore opérationnel. Les dépôts sont garantis par l'Etat, qui est financé par des banques, dont les dépôts sont garantis par l'Etat. Ce cercle vicieux n'a rien de rassurant. La chute brutale de l'indice boursier des banques européennes (-7% sur la semaine dernière) semble indiquer que la défiance face à la solidité des banques s'installe aussi dans la zone euro.

Il est vital que la BCE et les gouvernements élaborent un plan de mesures d'urgence, à l'image du plan de la Fed de prêts en contrepartie de la valeur faciale des obligations d'Etat. De manière paradoxale, il ne sera plus besoin d'augmenter fortement les taux courts pour ralentir l'inflation. La peur de la crise va ralentir le crédit, ce qui contribuera efficacement à lutter contre l'inflation.

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Commentaire 1
à écrit le 20/03/2023 à 11:12
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Tiens pas trés en phase avec la vision de notre excellent B.Lemaire!

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