Brexit : des risques pour le capital intellectuel du Royaume Uni

Le Royaume-Uni peut compter sur l'avantage de la langue anglaise. Mais l'ensemble de son capital immatériel, son niveau de recherche risquent d'être affectés par un Brexit dur. Par Carmen Nuzzo, senior economist, Morgan Stanley

Il n'a pas été beaucoup question de capital intellectuel dans les débats sur le Brexit au Royaume-Uni jusqu'ici. Les médias et les observateurs se sont en effet focalisés sur les conséquences économiques et financières d'une sortie de l'Union Européenne. Et pourtant, facteur crucial d'innovation et de productivité, le capital intellectuel a une importance majeure pour soutenir la prospérité et le potentiel de croissance du Royaume-Uni. Selon nous, un Brexit dur donnant la priorité aux contrôles aux frontières plutôt qu'au maintien d'un accès au marché unique ferait courir plusieurs risques à la libre circulation du capital intellectuel, ce qui pourrait bien nuire à la compétitivité acquise par le Royaume-Uni dans des secteurs clés qui prospèrent grâce aux sciences et aux technologies.

Actifs immatériels et réseaux

Le capital intellectuel est une affaire de personnes - leur éducation, compétences et expertise. Mais il comprend pour une bonne part aussi les actifs immatériels comme les logiciels et les capacités de recherche et de développement (R&D), ainsi que les réseaux mettant en relation les universités, les partenaires de recherche et les entreprises. Il donne également lieu à des droits patrimoniaux, notamment sous forme de brevets et de marques déposées, qui ont vocation à protéger les produits innovants.

De par sa nature largement immatérielle, le capital intellectuel est difficile à évaluer, mais il est pourtant crucial pour doter un pays de capacités d'innovation et de gains de productivité. Il génère des idées nouvelles et des méthodes de production optimisées, et nourrit le savoir-faire quand il s'agit de résoudre des problèmes. Il joue également un rôle majeur dans la capacité d'une nation à acquérir puis à conserver un avantage concurrentiel, d'autant plus dans les économies axées sur les services, qui doivent traiter d'énormes quantités de données et d'informations. Enfin, le capital intellectuel est essentiel pour améliorer de façon novatrice l'efficacité avec laquelle les personnes et le capital interagissent pour produire des résultats.

Un avantage concurrentiel remis en cause si le capital intellectuel circule moins

Selon les modalités négociées par le Royaume-Uni, un Brexit dur pourrait avoir des répercussions négatives pour la richesse du capital intellectuel du pays, notamment en matière de recherche. Au Royaume-Uni, les dépenses en R&D des entreprises se portent massivement sur la modernisation par la technologie des chaînes de production (46 %) et sur les services à fort capital intellectuel (23 %). Le pays en a retiré un avantage concurrentiel dans de nombreux secteurs: l'industrie pharmaceutique, l'industrie chimique, l'aéronautique, les équipements de transport, les technologies de l'information et de la communication, les services aux entreprises ainsi que le secteur financier.

Cet avantage concurrentiel pourrait être remis en question si le Brexit aboutissait à une moindre ouverture de l'économie britannique, particulièrement si la circulation du capital intellectuel et des investissements se portant sur les nouvelles technologies et spécialisations se retrouvaient restreintes.

Il ne s'agit pas tant d'un problème potentiel de financement. Il est en effet de notoriété publique que le Royaume-Uni est « contributeur net » au budget de l'Union Européenne. Toutefois, le lecteur sera peut-être surpris d'apprendre que dans le domaine des financements européens pour la recherche, le pays est, à l'inverse, « bénéficiaire net ». En effet, le Royaume-Uni est le pays recevant le plus de fonds alloués par l'Union Européenne de façon concurrentielle (à égalité avec les Pays-Bas, en pourcentage du PIB), ce qui témoigne bien de l'excellence de la recherche britannique. En valeur absolue, toutefois, ces financements sont modestes puisqu'ils ne représentent que 0,2 % de la masse du PIB. S'ils venaient à manquer à l'avenir, en fonction de l'issue des négociations, ils pourraient raisonnablement être comblés par un financement public ou par du capital-risque. Une part substantielle du financement britannique de la R&D est d'ailleurs déjà assurée par des entreprises privées.

Cependant, le Royaume-Uni aurait sûrement bien plus à perdre si son influence sur les domaines privilégiés pour le financement de la recherche par l'Union venait à s'amenuiser. S'il négocie le statut d'« État associé », à l'instar de la Norvège, il pourra continuer à bénéficier des financements européens, sans toutefois pouvoir en assurer le pilotage, et d'autres conditions restrictives pourraient s'appliquer (comme dans le cas de la Suisse, qui a le statut d'« État partiellement associé »).

Les restrictions d'immigration, un risque préoccupant

Mais selon nous, le risque le plus préoccupant se situe au niveau des restrictions potentielles à l'immigration, qui pourraient remettre en question la collaboration internationale et réduire la capacité du Royaume-Uni à attirer les talents du monde entier. La collaboration internationale est indispensable à la recherche aussi bien universitaire qu'entrepreneuriale: cette liberté crée des synergies, rapproche les meilleures compétences, offre un large accès à tous les équipements utiles, réduit les coûts et favorise le partage d'idées nouvelles. Un Brexit dur pourrait progressivement réduire l'attractivité du Royaume-Uni auprès des étudiants, des professeurs et des chercheurs du reste du monde. Il réduirait aussi l'attractivité du pays en matière d'accueil d'infrastructures de recherche paneuropéennes, dont beaucoup avaient choisi le Royaume-Uni par le passé grâce à l'excellence de ses compétences de recherche.

Les risques encourus par le capital intellectuel dépendent, in fine, des nouvelles règles du jeu que formalisera le gouvernement britannique (par exemple, sur la question de savoir si le principe d'un visa à points sera adopté) et des conditions de sortie qu'il négociera avec l'Union Européenne. Certes, le Royaume-Uni peut compter sur l'avantage de la langue anglaise et un environnement économique inégalé dans l'Union Européenne, qui est propice à l'innovation et la prise de risque, offrant de faibles barrières à l'esprit d'entreprise et bénéficiant d'institutions efficaces (y compris dans l'encadrement des faillites) et d'un écosystème d'investissement très sain. Ces avantages ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Mais dans l'éventualité d'un Brexit dur, le Royaume-Uni prendrait le risque de voir lentement s'éroder sa compétitivité et son attrait pour les investisseurs comme territoire privilégié d'accession aux marchés européens.

Cet article s'appuie sur une étude publiée par Morgan Stanley Research le 12 octobre 2016.  Pour connaître les conclusions les plus importantes à la date de publication de l'étude, reportez-vous, ici, au document d'origine. Pour prendre connaissance d'informations importantes relatives à Morgan Stanley, veuillez-vous reporter aux informations publiées par la ou les parties sur lesquelles porte cet article, disponibles sur le site Web d'information de Morgan Stanley. https://www.morganstanley.com/researchdisclosures.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 6
à écrit le 03/11/2016 à 8:45
Signaler
ben là ils perdent "la tête", et quand les footballeurs etrangers devront partir (ah ben oui ..) ils perdront "les jambes". Restera que les bras pour bosser, et le ventre pour gargouiller.

à écrit le 02/11/2016 à 23:04
Signaler
Les Britanniques sont donc bien stupides de s'être déterminés contre leur intérêt que, nous, nous connaissions bien, pourtant, et mieux qu'eux selon tous nos experts...mais en attendant, ils laissent surtout leurs détracteurs exprimer leurs frustrati...

à écrit le 02/11/2016 à 20:01
Signaler
"senior economist, Morgan Stanley " Voila qui explique le titre de l'article.

à écrit le 02/11/2016 à 19:44
Signaler
ET bien s'ils avaient su les anglais que les européens les détestaient autant ils seraient partis bien plus tôt.

à écrit le 02/11/2016 à 17:34
Signaler
Bah disons qu'avec une classe politique assez stupide pour se lancer dans un tel référendum, un peuple assez fou pour voter brexit, le capital intellectuel de ce beau pays paraissait déjà bien atteint... Si les immigrés locaux avaient voté, l'intell...

à écrit le 02/11/2016 à 16:13
Signaler
C'est drôle comme on ne nous parle pas du risque a être dans l'UE, a croire que cela n'a jamais existé et pourtant on n'en voit les dégâts, c'est peut être du au Brexit!!??

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.