Climat (COP27) et biodiversité (COP15) : un « deux poids deux mesures » imbécile et symptomatique de l'ivresse anthropocentrique

COP27 et COP15 : deux poids deux mesures. La première, sur le climat, démarrera le 6 novembre et fera le plein des chefs d'Etat du monde entier. La seconde, consacrée à la biodiversité et qui débutera un mois plus tard, devrait être désertée par ces mêmes dirigeants. L'explication tient, en partie, à l'ivresse anthropocentriste de l'espèce humaine fascinée par sa domination d'une nature... à laquelle, pourtant, elle appartient. Une évidence qu'elle a moquée, méprisée. Et qu'elle pourrait payer cher.
(Crédits : Reuters)

Ils sont près d'une centaine de chefs d'Etat attendus à Charm el-Cheikh, en Egypte, pour la COP27 sur le climat qui se tiendra du 6 au 18 novembre. Pour l'heure, aucun n'est annoncé pour la COP15 sur la biodiversité, programmée à Montréal du 7 au 19 décembre. Deux poids deux mesures. « Pourquoi une telle distorsion ? », s'interrogent les tenants de la biodiversité. Cette dissymétrie apparaît d'autant plus incompréhensible à l'aune du rapport « Planète vivante », que vient de produire le Fonds mondial pour la nature (WWF).

Il fait état d'abord d'un état des lieux cataclysmique. L'indice planète vivante (IPV), établi à partir d'un échantillon de 31.821 populations représentant 5.230 espèces de vertébrés, révèle que la dégradation s'accentue : les populations de mammifères, oiseaux, poissons, reptiles, amphibiens, ont chuté de 69% entre 1970 et 2018 (contre 60% entre 1970 et 2016). En Amérique latine et dans les Caraïbes, cette chute est abyssale, puisqu'elle culmine à 94%. Si en Europe elle est mieux contenue (- 18%), elle est de 55% dans la zone Asie-Pacifique et de 66% en Afrique. Qu'il s'agisse des coraux, des éléphants, des requins, des raies, des gorilles, des tortues luths pour n'évoquer qu'eux, l'indice connaît un effondrement de l'ordre de 50 à 86%.

Mais surtout, l'étude démontre que le dérèglement climatique, dont la contribution était jusque-là limitée, va progressivement supplanter les autres causes de cette dévastation - celles-ci toutes liées à l'activité humaine : utilisation fragmentée des terres pour l'agriculture intensive, surexploitation des animaux et des plantes, pollution. L'interdépendance des deux phénomènes est aujourd'hui largement démontrée, comme l'attestent les études conduites conjointement par le GIEC (groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) et l'IPBES (plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques). Leurs conclusions sont sans appel : le dérèglement climatique est à l'origine de l'éradication d'au moins mille espèces animales et végétales, le stockage de carbone décline, des populations entières (vivant de la pêche ou du tourisme) sont menacées. Bref, continuer de dissocier le drame du climat du drame de la biodiversité est désormais sans aucun fondement.

Concrètement et visiblement

Mais d'où vient alors cette hiérarchie des causes ? Pourquoi la COP15 appelée à statuer sur un nouveau cadre mondial pour juguler l'érosion de la biodiversité est-elle ainsi reléguée au second plan ? Les raisons géopolitiques ne sont qu'une faible explication. La COP15 est en effet présidée par le président chinois Xi Jinping, peu enclin d'une part aux déplacements depuis l'irruption du covid-19, et d'autre part en froid glacial avec le Canada depuis que les autorités ont arrêté en 2018 Meng Wanzhou, directrice financière et fille du fondateur de Huawei ; revenue depuis triomphalement dans son pays d'origine. C'est ailleurs, dans les raisonnements de l'espèce humaine, que se niche sans doute la véritable raison.

La préoccupation des humains pour le climat répond d'abord d'un constat : le dérèglement brûle concrètement et visiblement l'atmosphère - qui peut contester, par exemple en Europe, que « quelque chose cloche » ? - ; il provoque des catastrophes naturelles concrètes et visibles ; il a un impact concret et visible sur la vie des populations, sur l'économie, sur les ressources énergétiques. Concret et visible, donc, sur son existence : l'homme n'est jamais aussi sensible que lorsque le sujet l'affecte factuellement. Or, l'extinction progressive des tortues luths modifie-t-elle son existence ? La mise à mort des éléphants perturbe-t-elle son sommeil - excepté celui des adeptes de safaris ? La disparition de poissons dans les eaux douces traumatise-t-elle son quotidien ?

Toute-puissance

Mais encore plus profondément ancrée, c'est la considération de l'Homme pour toute autre espèce vivante que lui-même qui explique son attention à la biodiversité sensiblement plus faible qu'à celle du climat. Cette considération arrogante, dominatrice, tyrannique n'est pas récente. Elle s'est construite progressivement dans l'histoire de l'humanité, et le point de bascule est survenu lorsque l'ivresse de la conquête, du « progrès », de la « réussite », et lorsque le sentiment de contrôler la nature, ont étourdi puis corrodé tout discernement. L'enivrement auquel il succombe depuis que les innovations technologiques le dotent d'une forme de toute-puissance, détermine sa relation méprisante et despotique aux autres espèces vivantes, animales et végétales, et, au-delà, à l'ensemble des ressources naturelles qui assurent « son » développement. Dompter et asservir les autres espèces est apparu comme la démonstration de son accomplissement. Homo sapiens a détruit le climat tant que les conséquences de ses actes n'étaient pas visibles et concrètes dans cet air, dans cette atmosphère par définition invisibles ; il se ravise aujourd'hui. Il a anéanti la biodiversité, car il y exprimait visiblement et concrètement sa domination ; mais contrairement au dérèglement climatique qui le menace et donc convoque chez lui « un peu » d'humilité, son anthropocentrisme, mortifère pour tout autre vivant que lui-même, n'est pas prêt de décliner.

Déni de la mort

L'essayiste Pierre Madelin, auteur de La Terre, les corps, la mort. Essai sur la condition terrestre (Editions Dehors, 2022), établit un intéressant parallèle entre deux situations contemporaines : l'anthropocène et le déni de la mort, galvanisé par les progrès techniques, médicaux, scientifiques. Ce dernier, détaille-t-il (Libération, 31 octobre) est « au cœur de l'anthropocentrisme qui conduit aujourd'hui à exploiter et à détruire massivement les écosystèmes, des espèces vivantes entières. Cet anthropocentrisme octroie aux humains une place prééminente, légitimant la domination des non-humains. Au fond, la volonté d'accumuler de la puissance à l'œuvre dans le capitalisme industriel témoigne d'un fantasme, celui de conjurer l'impuissance dans laquelle la mort nous plonge, en nous dépossédant de toute maîtrise (...). L'enjeu est de considérer la Terre comme notre foyer - qui accueille la vie autant que la mort - en cessant de concevoir l'être humain comme un individu absolument autonome mais comme un membre d'une plus large communauté écologique et partie prenante de cycles qui le dépassent ». Ou cesser de repousser toujours plus loin les limites de la vie, cesser de séparer l'Homme de la nature, sont les éléments indissociables d'une même équation qui conduit à mieux accepter la mort.

Révolution copernicienne

Voilà pourquoi le débat sur les droits de la nature, sur la reconnaissance d'une personnalité juridique pour les lieux de vie des autres espèces vivantes (fleuves, forêts, etc.) devient de mieux en mieux acceptable... à défaut d'être accepté. Il n'est pas sans susciter un grand nombre d'interrogations, mais sa pertinence est validée chaque instant dans chaque recoin de la planète, là où la biodiversité est massacrée.

Seule une révolution copernicienne des consciences semble à même de pouvoir (r)établir un semblant d'équilibre. Elle signifierait que l'espèce humaine n'est ni au-dessus ni à côté de la nature : elle est un élément de la nature, sans valeur supérieure à celle des autres espèces vivantes qui composent la nature. Une telle conception, poussée à son paroxysme, ne serait pas sans effet délétère sur l'évolution de l'espèce humaine qui a besoin, pour se nourrir, se loger, se soigner, d'« exploiter » soit directement les autres espèces, soit certains lieux qui les hébergent. Mais dans quelles limites ? doit-elle se demander. A l'intérieur de quelles limites faut-il ramener le « tolérable », cet acceptable aujourd'hui humilié ? L'espèce humaine n'a-t-elle pas besoin, pour vivre, que les autres espèces animales et végétales vivent ?

Une même dystopie pour tous

Espérer de l'espèce humaine qu'elle renonce à son hystérie productiviste, extractrice, consumériste qui anéantit la biodiversité est une chimère. Des propriétés émancipatrices et de celles nocives de l'économie de marché, ces dernières ont, de manière peut-être définitive, empoisonné et aliéné les premières. L'avenir de la biodiversité semble conditionné à celui que l'humanité réservera au climat. Et là, animaux et végétaux peuvent trembler si l'on en juge les rapports remis simultanément par le Programme des nations unies pour le climat et par l'ONU Climat, en préambule de la COP27 : « Nous nous dirigeons vers une catastrophe mondiale », a prévenu Antonio Guterres, secrétaire général de l'ONU. Et de commenter les conclusions de ces rapports qui font état d'une « année 2022 gâchée », de nouveaux plans « terriblement insuffisants », d'une progression ininterrompue des émissions de gaz à effets de serre, en conclusion desquels la réduction des émissions devrait s'établir à « au mieux » 10% d'ici 2030 - alors qu'un reflux de 45% est nécessaire pour ne pas dépasser le seuil de réchauffement de 1,5% -, et le réchauffement atteindre le seuil « dramatique » de 2,5° en 2100. Animaux et végétaux peuvent donc trembler. Peut-être l'espèce humaine ferait-elle bien de comprendre qu'elle est, cette fois, embarquée dans la même dystopie. Heureusement, et même si le plus dur commence pour lui, l'élection de Lula apparait comme une (petite) lumière. Le nouveau président brésilien, qui devrait réserver son premier déplacement international à la COP27, avait, lors de son dernier mandat, réduit de 75% la déforestation de l'Amazonie (un cinquième du poumon planétaire) quand Jair Bolsonaro l'aura fait bondir dans les mêmes proportions - et même de 48% sur les douze derniers mois, selon l'Institut national de recherches spatiales. Les grandes conquêtes sont souvent faites d'une succession de modestes victoires.

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Commentaire 1
à écrit le 02/11/2022 à 15:59
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Bonjour Votre article est édifiant comment peut on se moquer à ce point du monde animal qui nous entoure le pire c'est que de le négliger ou même de le détruire nous amène inexorablement à la disparition à plus ou moins long terme de notre éspèce c...

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