Comment l'Europe peut-elle financer sa souveraineté stratégique et technologique dans l'industrie verte  ?

CHRONIQUE. Les Européens sont scandalisés par le paquet de mesures américaines de 369 milliards de dollars pour le climat et la santé de l'Inflation Reduction Act (IRA). Le commissaire au marché unique européen lance l'initiative "EU CLEANTECH" en réponse à l'IRA sans financement ni législation. Comment trouver de l'argent rapidement et facilement sans emprunter ? Par Gabriel Gaspard, Chef d’entreprise à la retraite, spécialiste en économie financière.
(Crédits : YVES HERMAN)

Qu'est-ce que "l'Inflation Reduction Act" ?

La loi américaine sur la réduction de l'inflation intègre de nouvelles dépenses et des allégements fiscaux qui visent à développer l'énergie propre, à réduire les coûts des soins de santé et à augmenter les recettes fiscales. Elle permet d'investir dans la production et la fabrication d'énergie domestique et réduire les émissions de carbone d'environ 40% d'ici 2030. Le gouvernement américain va orienter 369 milliards de dollars de financement fédéral vers l'IRA.

Les fonds seront versés au moyen d'une combinaison d'incitatifs fiscaux, de subventions et de garanties de prêt. L'électricité et les énergies propres vont accaparer la plus grande part, suivies par le transport propre, y compris les incitatifs pour les véhicules électriques. D'après la Maison-Blanche, cette loi a été adoptée spécialement pour les familles et les petites entreprises américaines.

Comment cette loi sera-t-elle financée ?

La nouvelle loi impose un nouveau taux d'imposition des sociétés minimum alternatif de 15%. Il concerne les sociétés en activité pour les années d'imposition commençant après le 31 décembre 2022. L'IRA impose également une taxe de 1% sur les rachats d'actions nets des nouvelles émissions d'actions, effective pour les rachats après le 31 décembre 2022.

Adoptée par la Commission européenne en 2013, la taxe sur les transferts d'actions en France n'est perçue que lors de l'achat d'actions de sociétés ayant leur siège social en France et dont la capitalisation boursière est supérieure à 1 milliard d'euros, son taux est de 0,30% depuis le 1er janvier 2017. L'État américain estime que l'IRA générera 313 milliards de dollars de recettes fiscales.

Quel sera l'impact de l'IRA sur l'inflation ?

Certaines études montrent que l'IRA augmentera les prix que les Américains paieront pour l'énergie, car une augmentation de la demande de sources d'énergie propres va accroitre les prix de ces produits. De plus, tous les investissements vont développer l'offre de nouvelles technologies. L'augmentation de l'offre entraînera une diminution des prix. Mais en prenant en considération le volet social, le gouvernement américain va négocier directement le prix des médicaments et réduire les prix. Il va aménager les prestations médicales de manière à les rendre moins coûteuses. La balance penche vers une réduction de l'inflation.

Que reproche l'Europe à cette loi ?

Le texte comprend plusieurs dispositions visant à créer de nouveaux crédits d'impôt. La partie qui affole le plus l'Union européenne est l'incitation forte à investir aux États-Unis plutôt qu'ailleurs. L'Union européenne n'a pas les moyens de proposer de telles aides et parle de courses aux subventions qui sont contraires à toutes les règles du commerce international.

Pour les véhicules électriques, la prime aux États-Unis est de 7 500 dollars et de 5 250 dollars (cinq mille euros) en France. Une voiture électrique est admissible à la moitié du crédit total si elle comporte des composants de batteries fabriqués ou assemblés en Amérique du Nord. Pour être admissible aux 3 750 dollars restants, cette voiture doit contenir des minéraux essentiels qui ont été extraits ou transformés aux États-Unis ou dans des pays avec lesquels les États-Unis ont conclu un accord de libre-échange, ou utiliser des minéraux essentiels qui ont été recyclés en Amérique du Nord.

L'assemblage final doit avoir lieu en Amérique du Nord. L'Europe, au lieu de suivre cet exemple, conteste cette disposition, car elle contribue à attirer tous les grands groupes sur le territoire américain et fait craindre une désindustrialisation massive en Europe.

La réponse de L'Europe, le Clean Tech

L'Europe peine à trouver une réponse au plan anti-inflation américain. Pour la commissaire européenne, il est hors de question que les Européens se lancent dans une guerre commerciale avec les États-Unis. Dans l'émission C à vous sur la cinq le 9 décembre 2022, le commissaire au marché unique M. Thierry Breton explique que les États-Unis vont financer la loi IRA par la "planche à billets" et qu'en Europe il n'y aura pas "d'endettement commun" comme le programme "NextgenerationEU", un plan de relance de 750 milliards d'euros financé par un endettement commun des 27 États.

Pour le "EU CLEANTECH" : "la politique fera ou détruira le déploiement des technologies propres". Chaque État européen devra emprunter seul avec un taux d'endettement garanti par l'Europe. "Il faut arriver à une loi similaire à "l'European Chips Act.".

La réponse de l'Allemagne

Face au plan de 200 milliards d'euros de l'Allemagne pour soulager les entreprises et aider les ménages, la France et d'autres pays européens dénoncent une concurrence déloyale et une course folle aux subventions. Les 90 milliards d'euros pour les ménages et les entreprises allemands risquent-ils de déséquilibrer le marché unique et de mettre en péril les finances publiques des autres États de l'Union comme la France ? À titre indicatif, le total des aides publiques pour les entreprises en France s'élève par an à 160 milliards d'euros.

Les leçons du plan Marshall

 Dans une période de guerre, avec une crise énergétique et à la suite d'une crise sanitaire, ne devons-nous pas nous inspirer du plan Marshall ? Un très bon billet publié par la Banque de France nous apprend :

"Entre 1948 et 1952, le plan Marshall a permis le transfert des États-Unis vers seize pays européens - hors bloc soviétique - d'un montant de près de 10,5% du PIB de ces derniers. Les mesures prises par l'Union européenne face à la crise sanitaire - versements potentiels dans le cadre du plan de relance NextGenerationEU (NGEU) et des mesures de soutien d'avril 2020 (SURE, MES et BEI) - représentent des initiatives d'une ampleur similaire, de près de 10,1% de son PIB".

"En revanche, la composition et l'origine des financements diffèrent fortement. Le plan Marshall est constitué à près de 90% de subventions et de 10% de prêts et est financé de l'extérieur par les États-Unis. Le plan européen a une composition plus mixte avec potentiellement 54% de prêts, 31% de subventions et 15% de garanties dont le financement est assuré au niveau de l'UE".

Comment l'Europe va-t-elle financer son plan CLEANTECH ?

S'il n'y a pas un accord entre les 27 pays européens pour un endettement commun. Chaque pays pourra affecter son nouvel impôt de 15% sur les multinationales à partir du 1er janvier 2024, augmenter la taxe sur les rachats d'actions, créer un nouvel impôt sur les "superprofits" ou lancer un nouvel impôt sur les "superdividendes", etc.

Comment la France va-t-elle emprunter ?

D'après l'INSEE, à la fin du 2e trimestre 2022 la dette publique française, au sens de Maastricht, s'élève à 2 916,8 milliards d'euros et le ministère de l'Économie et des Finances vient de confirmer que la France va emprunter une somme record de 270 milliards d'euros sur le marché en 2023.

D'après FIPECO, les impôts sur les entreprises françaises sont au plus haut en Europe. Le "taux des prélèvements obligatoires" se situe au deuxième rang des pays européens, derrière le Danemark, avec 47,0% du PIB. La pauvreté en France ne recule plus depuis 35 ans, selon l'Observatoire des inégalités. Pouvons-nous effacer cette situation d'un coup de baguette magique ?

Pour des subventions d'investissement, le plan de financement de l'IRA correspond à 1,41% du PIB des États-Unis. Le nouveau plan "EU CLEANTECH" doit être du même pourcentage du PIB européen, soit environ 200 milliards d'euros. Ce plan doit être composé de 90% de subventions d'investissement et 10% de prêts relais. La part de la France est d'environ 35 milliards d'euros.

La solution à adopter est la création d'un fonds européen de subventions en utilisant les économies des ménages européens pendant 10 ans. Les subventions seront accordées aux États membres et redistribués aux entreprises qui font la demande. Les économies des ménages seront rémunérées par l'Europe au taux de l'inflation dans un cadre réglementé. Un euro de subvention par l'Europe peut rapporter entre 0,60 cts et 2 euros à l'État concerné (multiplicateur des dépenses publiques sur le PIB). Le remboursement de l'argent déposé par les ménages doit être garanti par l'État concerné.

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Commentaire 1
à écrit le 21/12/2022 à 8:49
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Encore et toujours de la com. pour obtenir de la "finance"... pour des intérêts virtuellement public mais réellement privé... qui gère ! ;-)

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