Pour en finir avec le diktat des superlatifs économiques

OPINION. Les super performances, super profits, super dividendes et autres surcroissances restent l'alpha et l'oméga de nombreux conseils d'administration. Par Cyril Vart, vice-président exécutif d'EY Fabernovel, et Romuald Meresse, directeur général France de Zuora
(Crédits : Gerd Altmann via Pixabay)

Lorsqu'à la fin de l'été, le chef de l'État prévenait les Français de « la fin de l'abondance, de l'insouciance et des évidences », beaucoup ont pensé qu'il donnait le "la" pour les mois à venir. Mais peut-être reprenait-il tout simplement à son compte les nouvelles priorités contemporaines dictées à la fois par le pragmatisme (hausse du coût de l'énergie) et une sensibilité accrue aux enjeux climatiques. Des priorités souvent résumées par le terme de "sobriété". Soit une modération dans la production et la consommation de biens et de services et l'abandon de pratiques ou d'usages excessifs ou superflus.

Aujourd'hui sur toutes les lèvres, la sobriété ne fait pas encore l'unanimité dans les discours, les pratiques et les ambitions de nombreuses industries. Les super performances, super profits, super dividendes et autres surcroissances restent l'alpha et l'oméga de nombreux conseils d'administration. Pourtant si ces superlatifs, et ce qu'ils représentent sont encore chéris par les administrateurs, ils constituent de plus en plus un anachronisme. Témoin, l'indignation généralisée provoquée par les dividendes de plus de 2 milliards d'euros versés par Total à ses actionnaires.

Mais les plus petites structures ne sont pas en reste. Il n'y a qu'à jeter un œil du côté de la French Tech où le primat du chiffre continue de faire autorité. Seuls les levées de fonds spectaculaires et les investissements les plus glorieux ont les honneurs de l'écosystème et du ministère de l'Économie.

Pour autant, les questions de performance et de profits ne doivent pas devenir taboues. Mais si ces indicateurs sont nécessaires, ils ne doivent plus être les seuls à illustrer la bonne santé d'une entreprise.

Superformance contre régularité du profit et de la performance

Avec l'avènement de l'économie numérique, deux accès différents à la performance économique ont émergé : l'exploit et la constance. Soit l'immédiateté contre la durabilité. L'exploit, c'est une phase lors de laquelle l'entreprise affiche des chiffres inédits... quitte à vite déchanter lorsqu'une crise survient. C'est notamment le cas de Klarna. L'entreprise suédoise spécialiste du paiement fractionné avait connu une ascension fulgurante... avant d'annoncer quelques années plus tard que l'ensemble de crises systémiques traversées depuis 2020 avait eu raison de son dynamisme. Tout comme de celui de la plupart des valeurs de croissance qui ont flambé durant la pandémie avant de subir une "correction" brutale de la part du marché avec l'explosion de l'inflation.

A contrario, la constance est une stratégie peu spectaculaire, mais qui permet à l'organisation, dans un contexte multicrises, de se montrer résiliente tout en préservant la cohérence de son projet. Cette stratégie est incarnée par de nombreuses entreprises. Mais peu le font dans les proportions de Patagonia. Au-delà du coup d'éclat d'Yvon Chouinard, son fondateur, qui a décidé de la céder à deux structures chargées de protéger la planète, Patagonia a très vite mis son projet sociétal ("protéger la nature") au cœur de son projet d'entreprise. Depuis sa création, la marque américaine n'a eu de cesse de participer à la mobilisation en faveur de l'environnement. Un exemple ? En 2019, Patagonia avait fermé temporairement ses 107 boutiques et établissements à travers le monde pour témoigner de sa solidarité avec les grévistes-marcheurs pour le climat et permettre à ses salariés de rejoindre les manifestations tout en assurant sa vitalité financière (au moment de sa session, le groupe était valorisé à 3 milliards de dollars).

Rapprocher le monde de la production et celui de la consommation

Corollaire de l'économie de l'abonnement ou "modèle Netflix", la récurrence des revenus est une autre façon pour les entreprises de créer de la valeur tout en étant davantage en résonance avec les enjeux systémiques actuels.

Les entreprises ayant déjà bifurqué vers la récurrence des revenus disposent d'un atout dans leur jeu : les données. Elles peuvent ainsi analyser et optimiser un ensemble de données qui leur permet d'adapter leur production en conséquence et d'empêcher de faire perdurer les tensions de chaînes de production. On le voit actuellement avec Décathlon qui opère un virage impressionnant vers un modèle circulaire. En proposant à la location une sélection de matériel de sport, l'entreprise a un contrôle plus clair sur la demande et peut donc faire fluctuer sa production en fonction. Ce n'est pas un hasard si le distributeur de la galaxie Mulliez est la deuxième entreprise préférée de la génération de la "grande démission", selon une étude réalisée cet automne par les instituts Harris Interactive et Epoka* auprès de 10 000 étudiants ou fraîchement diplômés, issus d'universités, d'écoles d'ingénieur et d'écoles de management.

Dans un contexte de finitude de l'abondance, des évidences et de l'insouciance, les entreprises seront immanquablement amenées à se poser de nouvelles questions, à prendre du recul, à favoriser de nouveaux angles de vue pour rapprocher le monde de la production et celui de la consommation, mais aussi à repenser plus globalement leur(s) modèle(s) économique(s). Le plus tôt sera le mieux, car leur avenir est en jeu.

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Commentaire 1
à écrit le 12/02/2023 à 16:33
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Pendre le numérique et l'IA comme centre de tout action future n'est qu'une aberration humaine de plus !

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