Écran si tu savais ... Quand l'alimentation fait sa révolution médiatique

CHRONIQUE - Qu’il soit de cinéma, de télé, de smartphone, d’ordinateur ou de tablette, l’écran est partout. Révélateur des transformations de notre société, il en est parfois à l’origine. Un double rôle que décrypte Jonathan Curiel pour T La Revue. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°8 "Du champ à l'assiette - Mieux produire pour bien manger", actuellement en kiosque).
(Crédits : Istock)

Boom dans les assiettes ! Les représentations médiatiques de notre alimentation ont fait un bond depuis les années 2000. Retour en arrière. Les recettes de Monsieur X, à l'antenne entre 1953 et 1954, marquent l'invention de la cuisine à la télévision française. Suivent Raymond Oliver et Catherine Langeais qui, pendant vingt ans, nous expliquent avec talent comment exécuter un plat traditionnel. D'autres personnalités charismatiques leur succèdent dès les années 1980, de Maïté à Jean-Pierre Coffe en passant par Joël Robuchon. Maïté incarnant la continuation de la recette à la télévision avec son accent chatoyant du Sud-Ouest ; Jean-Pierre Coffe un personnage nouveau, fort en gueule, vigie du bien manger et pourfendeur de l'alimentation industrielle (avec son célèbre « C'est de la merde ! ») ; Joël Robuchon la grande tradition française du chef cuisinier.

C'est au début des années 2000 que la gastronomie fait sa mue définitive. Elle est programmée le soir à la télévision et non plus en milieu de journée pour se mettre en appétit. Arrivent des émissions comme Top Chef sur M6, plus modernes, plus dynamiques, plus vivantes, sanctifiant la figure du chef et des produits qu'il utilise. On en arrive à verser sa larmichette devant une blanquette de veau et à s'extasier sur les formes généreuses d'un topinambour. Les stars cathodiques du monde de la gastronomie deviennent plus nombreuses alors que l'on était bien en peine d'en citer quelques-unes jusque-là. Les émissions culinaires se multiplient et sur certains plateaux on dîne même en direct pendant l'émission.

Cette euphorie médiatique a eu des conséquences : aller au restaurant est devenu une activité culturelle. Intérêt redoublé pour l'alimentation, la nutrition et la qualité du produit. Réseaux sociaux en furie et culte démesuré de l'esthétisme de l'assiette. De nouvelles tendances ont émergé comme la bistronomie, enfant prodige de la cuisine bistrotière et de la haute gastronomie. Un nouveau vocabulaire provenant de la télévision s'est démocratisé dans le langage courant. « Partir sur » pour définir sur quel type de recette on se lance ; « donner du peps » à une recette comme si on remontait le moral à un proche en burn out ; « équilibré » ou « plat signature » deviennent des basiques. Des aliments, fruits ou légumes jusque-là totalement hors de nos radars accèdent à la notoriété : le « citron yuzu » et « l'agar-agar » deviennent plus connus que des poireaux ou des brocolis ; des instruments comme le siphon plus bankable qu'un four micro-ondes. Le soin accordé aux produits et à leur « sourcing » comme on dit dans les milieux autorisés ont également rendu leurs lettres de noblesse aux métiers de bouche. Il est devenu tendance d'être primeur ou boulanger ; ce qui n'était pas spécialement le cas il y a vingt ans. Fromagers et bouchers sont nos nouvelles rock stars, tatouées et barbues.

Signe des temps : l'intérêt porté à notre alimentation va de pair avec un fort souci écologique. Prime aux circuits courts, aux produits locaux, à la lutte anti-gaspi et à la préservation de l'environnement sous toutes ses formes : une demande de société qui transparaît à l'écran !

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Directeur général adjoint des programmes d'un groupe de média TV, Jonathan Curiel est également l'auteur de Génération CV (Favard, 2012), Le Club des pauvres types (Fayard, 2015), Vite ! - Les nouvelles tyrannies de l'immédiat ou l'urgence de ralentir (Plon, 2020) et de La société hystérisée (L'Aube, 2021).

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Article issu de T La Revue n°8 - "Du champ à l'assiette - Mieux produire pour bien manger ?" Actuellement en kiosque

Un numéro consacré à l'agriculture et l'alimentation, disponible chez les marchands de presse et sur kiosque.latribune.fr/t-la-revue

T La Revue n°8

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Commentaire 1
à écrit le 13/03/2022 à 18:57
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De rien du tout à beaucoup de présence médiatique en effet et les conséquences que vous soulignez sont exactes, une bonne nouvelle tandis que le bien/bon vivre français est ancré pour toujours, avec le pacifisme et la diplomatie également, dans notre...

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