Europe : moins de démocratie, plus de résultats

Plutôt que de perdre son temps avec ces sujets secondaires, l'Europe devrait se poser quelques questions qui fâchent. Par Nicolas Mazzuccchi, chercheur-associé à l'IRIS, docteur en géographie économique

L'actualité de l'Europe est paradoxale. Des défis colossaux se posent à elle : le Brexit, qui la fait entrer en terra incognita et qui risque d'être une première étape vers la dislocation de l'Union, la gestion de la zone euro, toujours problématique, alors que la question grecque se rappelle à nous, que les candidats pro européens en France prônent une intégration selon des voies illusoires coté Berlin, que la BCE murmure la fin prochaine des politiques accommodantes, les interrogations profondes sur l'attitude de l'allié américain etc.

 Une tendance à "sur-transposer" les directives

 Pourtant, à coté de ces sujets de fond, l'actualité européenne confronte les citoyens à des problématiques secondaires. A ce jeu, le Conseil de l'Europe, s'appuyant sur la Charte sociale européenne, a mené une bataille au long-cours pour interdire la fessée. La transcription des directives de l'Union européenne s'inscrit dans la même veine. Ainsi, exemple parmi tant d'autres, le début de cette année a vu la mise en œuvre du paquet de cigarettes neutre, selon des modalités nationales durcissant sensiblement la norme adoptée au niveau communautaire en 2014. Sans même s'interroger sur le caractère démocratique ou non de ce type de procédé, force est de constater que la fâcheuse tendance à « sur-transposer » les directives n'est pas pour rien dans l'éloignement grandissant et la lassitude des citoyens à l'égard de l'Europe.

 Dans un tel contexte, il y a lieu, puisque la campagne présidentielle actuelle prend soin d'éviter les sujets de fond pour se vautrer dans le vaudeville et la com', de s'interroger sur l'Europe que nous voulons réellement, en cessant de nous tromper d'objectif : l'Europe est un moyen, et non fin.

 L'Europe dont le européens ne veulent plus

D'abord, il y a l'Europe dont les Français, et la plupart des Européens avec eux, ne veulent plus. Une Europe noyée dans un ultralibéralisme technocratique, s'éloignant toujours plus des réalités nationales. Cette Europe, délaissant la proie pour l'ombre, c'est celle qui, évitant opportunément les sujets qui fâchent, s'est longtemps concentrée sur l'accessoire. A ce sujet, la responsabilité de la Commission européenne qui bénéficie du monopole de l'initiative, est grande. Elle a trop longtemps fait sienne le mantra « je régule donc je suis ».

Grisée par l'augmentation progressive de ses pouvoirs, insuffisamment tempérée par ses garde-fous (subsidiarité) et par des Etats-membres incapables de définir et défendre leurs intérêts, elle a privilégié l'accessoire à l'essentiel. Faisant fi de l'expérience américaine pourtant totémique, elle s'est crue obligée, au titre de l'harmonisation, d'uniformiser trop de domaines de la vie des Européens. Mais si les Etats-Unis d'Europe sont l'objectif, Bruxelles doit-il réguler l'aspect d'un paquet de cigarettes alors que la peine de mort existe dans certains Etats américains et pas d'en d'autres ? Si la zone euro est convalescente, doit-elle gaspiller de l'énergie à harmoniser tel aspect microscopique d'une norme industrielle, et non pas, par exemple, placer la France devant ses responsabilités budgétaires ?

Poser les questions qui fâchent

La Commission Junker a décidé de concentrer son action sur un certain nombre de sujets : l'énergie, l'économie numérique, l'emploi, la croissance, le renforcement de la zone euro. C'était nécessaire. C'est insuffisant, surtout eu égard aux premiers résultats.

 L'Europe, si elle veut survivre, doit enfin sortir de la logorrhée qui est la sienne et qui décourage même les plus fervents partisans de l'intégration communautaire. Elle doit enfin poser les questions qui fâchent. En voici quelques-unes. Que veut-on vis-à-vis de la Chine et des pays émergents, et l'Europe a-t-elle ou non les moyens et la volonté de conserver son avance en termes de niveau de vie ? Quelles solutions pourront être apportées au drame d'une décennie perdue pour la jeunesse européenne, en particulier au Sud du continent, que le chômage et la dette laissés par leurs parents condamnent au déclassement ? Y a-t-il ou non une alternative européenne crédible à l'OTAN pour garantir notre sécurité, et si ce n'est pas le cas, comme nous le croyons, faut-il continuer à perdre du temps avec une défense européenne qui est plus slogan qu'une réalité ? Face à un monde dur et dangereux, l'Europe est-elle capable de dépasser son irénisme congénital et de faire évoluer le curseur des politiques économiques qu'elle secrète afin de prendre mieux en compte les nécessités de la souveraineté ?

 C'est si elle capable de montrer qu'elle est pour partie au moins la solution à ces questions essentielles, et à quelques autres, que l'Europe survivra. Sûrement pas en noyant le citoyen sous des normes absconses.

Nicolas Mazzucchi, chercheur-associé à l'IRIS, docteur en géographie économique.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 3
à écrit le 14/04/2017 à 15:40
Signaler
"je règlemente donc je suis" les institutions européennes ne régulent précisèment pas

à écrit le 14/04/2017 à 14:22
Signaler
Excellent article !

à écrit le 14/04/2017 à 12:47
Signaler
Merci beaucoup pour cette vision éclairée d'une UE à la botte des banquiers. Mais comme ce sont les banques qui détiennent les gouvernements du monde et notamment, elles en veulent toujours plus redistribuant toujours moins grâce à leurs énormes ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.