Fin de la voiture thermique : pourquoi le tout-électrique n’a rien d’une solution miracle

ANALYSE. Si la voiture électrique est utile à la transition énergétique, elle n’est pas sans défaut et ne doit pas faire oublier la nécessité de la sobriété en matière de transport. Par Alexis Poulhès, École des Ponts ParisTech (ENPC) et Cyrille François, Université Gustave Eiffel.
(Crédits : ERIC GAILLARD)

Le 8 juin 2022, le Parlement européen a voté l'interdiction des ventes de voitures neuves thermiques en 2035 sur son territoire. Cette mesure intervient dans le cadre des objectifs européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) avec pour échéances -55 % en 2030 et la neutralité carbone en 2050.

Avec cette décision, les politiques européennes portent le véhicule électrique (VE) comme la solution pour diminuer les émissions de GES dans le secteur du transport. Aujourd'hui la vente de VE augmente de manière quasi exponentielle représentant presque 10 % des ventes de voitures particulières en Europe. Cette échéance de 2035 semble donc en phase avec l'évolution actuelle du marché automobile et l'urgence climatique.

Ce développement à marche forcée laisse cependant une impression d'inéluctabilité et de solution finalement trop évidente par rapport à des problèmes planétaires si complexes. Il est nécessaire de prendre conscience des conséquences environnementales, mais aussi des enjeux économiques et sociaux.

Pollution de la voiture, au-delà du pot d'échappement

D'un point de vue environnemental, de nombreuses études se sont penchées sur la comparaison entre les émissions de GES de la voiture thermique et celles de son équivalent électrique. Les émissions en phase d'usage de la voiture électrique dépendent directement du niveau d'émission du mix électrique utilisé pour recharger les véhicules.

Dans le cas de la France, la production d'électricité est peu carbonée car fortement nucléarisée, ce qui n'est pas le cas de tous les pays européens. La construction du VE et surtout de sa batterie étant très émettrice de GES, les bénéfices environnementaux n'apparaissent que si la voiture roule suffisamment. Ce qui n'aide pas la diffusion des messages de sobriété, pourtant levier majeur de l'atténuation climatique.

En ne sélectionnant que les émissions libérées sur le territoire, les méthodes de comptabilité carbone ne sont pas adaptées aux solutions qui induisent des pollutions hors du territoire national. Avec ces choix comptables, le VE apparaît alors comme très efficace pour réduire le bilan carbone national... Le désir de l'adopter en France est donc compréhensible, mais sa vertu ne s'applique pas à l'échelle planétaire.

Outre les problèmes climatiques, l'interdiction à la vente des véhicules thermiques en 2035 doit répondre à l'enjeu de qualité de l'air présent dans la plupart des grandes villes du monde avec des impacts locaux économiques et de santé publique.

Le secteur du transport étant une source importante de cette pollution, le VE représente une alternative pour réduire ces émissions - une baisse qui reste toutefois mesurée car les particules liées à l'abrasion des pneus, freins et route demeurent fortes.

En imposant des Zones à faibles émissions, de nombreuses villes européennes contraignent les propriétaires de véhicules polluants à acheter une voiture plus récente émettant moins de polluants locaux, potentiellement un véhicule électrique.

Perte fiscale liée au pétrole et aides aux VE

La révolution électrique du parc automobile d'ici à 2035 va bousculer tout le système économique autour de la route. Avec la réduction de consommation de carburants fossiles, les recettes liées à la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) vont décroître.

Or, cette taxe qui a rapporté 33,3 milliards d'euros en 2019 est centrale dans le budget de l'État et des collectivités locales. Le remplacement de la TICPE par une taxe sur l'électricité pourrait combler une partie des pertes fiscales mais affecterait l'ensemble des ménages, y compris ceux se déplaçant moins en voiture.

Le système de subventions mis en place (bonus et prime à la reconversion), qui a fortement contribué au niveau d'électrification actuel, coûtera de plus en plus cher. En 2020, il représentait 700 millions d'euros pour 20 % de part de marché, véhicules hybrides inclus. En comparaison, le plan « vélo et mobilités actives » de 2018 prévoit 350 millions d'euros sur sept ans pour les aménagements cyclables.

Les avantages fiscaux et aides à l'achat d'un véhicule électrique profitent aujourd'hui davantage aux zones urbaines, qui adoptent plus rapidement cette technologie, du fait de conditions favorables. Les espaces ruraux et périurbains représentent pourtant un défi majeur dans cette course à l'électrification, leurs habitants n'ayant d'autres choix que d'utiliser la voiture.

Marchés en tensions et coûts très incertains

L'État sera donc fortement mis à contribution pour accompagner les entreprises et les particuliers dans cette transformation, reste à savoir quel choix politique sera fait pour redistribuer ce coût entre les contribuables. Malgré l'installation de nouveaux générateurs électriques, la progression de la demande va largement faire gonfler la facture électrique des Français, surtout si le secteur résidentiel prend aussi la voie de l'électrique pour le chauffage.

À l'échelle mondiale, à l'instar de l'or noir, l'or blanc, le lithium et une grande part des métaux sont devenus des ressources stratégiques pour supporter une mobilité électrique. Or la forte demande et le déséquilibre géographique des gisements et de l'exploitation créent des tensions qui fragiliseront l'approvisionnement et les prix des matières premières.

L'électrification de l'Europe sera donc tributaire des importations de ces matières premières, laissant planer des doutes sur la capacité à pourvoir l'ensemble du marché européen et mondial en VE et cela à un prix raisonnable.

Un pansement climatique, loin du remède écologique

L'électrification du parc automobile est une fuite en avant, fondée sur une innovation qui ne remet pas en cause le fonctionnement de notre société. Si le VE s'inscrit dans la stratégie de neutralité carbone pour 2050, il ne suffira pas et continuera d'entretenir un système instable dépendant d'une forte artificialisation des sols et des consommations de ressources et d'énergies abondantes.

L'urgence climatique, avec des objectifs ambitieux en 2030 et 2050, rend solvables des solutions de court terme, telles que le VE, qui ne seront plus viables en 2100, notamment par manque de ressources naturelles au-delà de 2050. En survendant ses bienfaits écologiques, le véhicule électrique étouffe de potentielles actions pour changer notre système fondé sur la voiture. Promouvoir la sobriété demeure la solution la plus sûre et la plus naturelle avec de multiples bénéfices environnementaux et sociaux.

Le système de mobilité, l'aménagement du territoire et les modes de vie sont néanmoins pris dans une inertie vieille de plusieurs décennies, centrés sur la vitesse et la consommation. Malgré l'urgence de mettre fin à ce modèle écocide, les réflexions sur l'avenir des territoires de la voiture, entre les centres urbains et le rural, restent atones.

La fin de la voiture thermique en 2035 ne devrait pas être synonyme de remplacement systématique par une voiture électrique mais comme une remise en cause profonde de sa place dans nos imaginaires et notre quotidien.

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Par Alexis Poulhès, Enseignant à l'École des Ponts, ingénieur de recherche au Laboratoire Ville Mobilité Transport, École des Ponts ParisTech (ENPC) et Cyrille François, Ingénieur en génie de l'environnement et docteur en urbanisme, Université Gustave Eiffel.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Commentaires 12
à écrit le 08/03/2023 à 20:29
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les lois de la physique thermodynamique, mécanique et électricité ....sont là pour rappeler que le monde de la technique ne pourra pas favoriser une énergie plutôt qu'une autre .... seul le monde non scientifique (écolos en tête) avance des certitude...

à écrit le 19/10/2022 à 10:18
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Les voitures électriques ? batteries extrêmement polluantes à fabriquer et à détruire et électricité nucléaire !

le 25/10/2022 à 0:08
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hydrocarbures pas du tout polluants... sans blague encore un commentaire qui n'a aucun source de culture générale. La filière de recyclage existe, en France il y a déjà deux sociétés. Une batterie c'est surtout polluant si c'est fabriqué à l'aide d'...

à écrit le 19/10/2022 à 9:27
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Effectivement, il ne faut pas oublier de limiter les déplacements avant de s'intéresser au mode de ces mêmes déplacements. Pour ce qui est de la fin du moteur thermique, rien n'est acquis. Ce serait faire peu de cas des efforts des constructeurs pour...

à écrit le 18/10/2022 à 21:03
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La voiture électrique ne peut être qu'un véhicule léger, limité en autonomie et pas cher. Bref, l'engin pour aller au boulot, faire les courses, et emmener les enfants à l'école et au "foot"! du Samedi. Imaginer que les véhicules électriques seront l...

à écrit le 18/10/2022 à 12:48
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Faut lire le livre de François-Xavier Pietri, auteur de "Voiture électrique : ils sont devenus fous !" (éditions de l'Observatoire) sorti le 12 octobre ,il est passé hier sur sud radio ,on peut retrouver la vidéo sur le net. C'est affolant .

à écrit le 17/10/2022 à 19:37
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Greta est favorable au nucléaire et va être favorable à la voiture thermique. En effet selon une étude anglo-japonaise "Pour parvenir à une réduction importante des émissions du cycle de vie, les concepteurs de voitures devraient se concentrer sur le...

à écrit le 17/10/2022 à 19:19
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Une étude approfondie réalisée par des chercheurs japonais de l'Université impériale de Kyushu et publiée par l'université de Yale montre que pour réduire l'empreinte carbone, il est préférable de conserver et utiliser le plus longtemps possible les ...

le 17/10/2022 à 20:15
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et une voiture électrique a au moins 15 000km de dette carbone (CO2) en fabrication pour, si on dépasse cette distance, apporter alors un plus en matière de décarbonation (sauf pays où le courant est charbonné). C'est pour ça qu'un véhicule électriqu...

à écrit le 17/10/2022 à 17:15
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A vouloir systématiser la technologie électrique : batteries + recharges, pour les véhicules, nous allons tout droit dans le mur. Il apparaît que, même si nous avions suffisamment de bornes de recharge, nous n’avons pas et n’aurons pas la capacité d...

le 17/10/2022 à 20:05
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Recharger en même temps, quelle idée, graduellement, chacun son tour grâce aux bornes intelligentes, connectées, télécommandées par une IA. :-) La quantité d'énergie à mettre dedans dépendra également des trajets, si vous roulez peu chaque jour et re...

à écrit le 17/10/2022 à 16:34
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Un article salutaire. L'état français fait la même erreur, avec la voiture électrique, que l'erreur qu'il a faite avec la voiture Diésel : S'engouffrer dedans, à grand coup de subventions, sans réfléchir aux défauts de cette motorisation. Dans quelqu...

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